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Contentieux ICPE et appréciation de l’intérêt à agir

Conseil d’État

N° 339592
ECLI:FR:CESSR:2012:339592.20120713
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Jacques Arrighi de Casanova, président
M. Didier Ribes, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; RICARD, avocats


lecture du vendredi 13 juillet 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Texte intégral


Vu, 1° sous le n° 339592, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 mai et 18 août 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour la Société Moulins Soufflet, dont le siège est quai du général Sarrail, BP 12, à Nogent-sur-Seine (10402), représentée par son président ; la société demande au Conseil d’État :

1°) d’annuler l’arrêt n° 08VE02622 du 18 mars 2010 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a annulé, à la demande des consorts C, le jugement n° 0406045 du 20 mai 2008 du tribunal administratif de Versailles et l’arrêté du 10 novembre 2000 par lequel le préfet de l’Essonne a autorisé la Société Française de Meunerie, devenue la Société Moulins Soufflet, à procéder à l’extension de ses installations de stockage de céréales ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel des consorts C ;

3°) de mettre à la charge des consorts C la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu, 2° sous le n° 340356, le pourvoi, enregistré le 8 juin 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présenté par le ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat ; le ministre demande au Conseil d’État :

1°) d’annuler le même arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel des consorts C ;


…………………………………………………………………………


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu l’arrêté du 29 juillet 1998 relatif aux silos et aux installations de céréales, de graines, de produits alimentaires ou de tous autres produits organiques dégageant des poussières inflammables ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Didier Ribes, Maître des Requêtes,

– les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Société Moulins Soufflet, et de Me Ricard, avocat de M. Jacques C, de M. Jean Victor C, de M. Julien C, de M. Thomas C, de Mlle Anne Noémi C et de Mme Delphine C,

– les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Société Moulins Soufflet et à Me Ricard, avocat de M. Jacques C, de M. Jean Victor C, de M. Julien C, de M. Thomas C, de Mlle Anne Noémi C et de Mme Delphine C ;




1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 10 novembre 2000, le préfet de l’Essonne a autorisé la Société française de Meunerie, devenue la Société Moulins Soufflet, à procéder à l’extension des installations de stockage de céréales dont elle dispose à Corbeil-Essonne en construisant un silo plat ; que, par un jugement du 20 mai 2008, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande des consorts C tendant à l’annulation de cet arrêté ; que par un arrêt du 18 mars 2010, la cour administrative d’appel de Versailles a annulé ce jugement et cet arrêté ; que les pourvois de la Société Moulins Soufflet et du ministre chargé de l’écologie sont dirigés contre ce même arrêt ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant, en premier lieu, que les dispositions du I de l’article L. 514-6 du code de l’environnement, dans leur rédaction alors en vigueur, disposaient :  » Les décisions prises en application des articles L. 512-1, L. 512-3, L. 512-7-3 à L. 512-7-5, L. 512-8, L. 512-12, L. 512-13, L. 512-20, L. 513-1 à L. 514-2, L. 514-4, L. 515-13 I et L. 516-1 sont soumises à un contentieux de pleine juridiction. Elles peuvent être déférées à la juridiction administrative : (…) / 2° Par les tiers, personnes physiques ou morales, les communes intéressées ou leurs groupements, en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l’installation présente pour les intérêts visés à l’article L. 511-1, dans un délai de quatre ans à compter de la publication ou de l’affichage desdits actes, ce délai étant, le cas échéant, prolongé jusqu’à la fin d’une période de deux années suivant la mise en activité de l’installation. (…)  » ; qu’aux termes de l’article L. 511-1 du même code :  » Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d’une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique  » ;

3. Considérant qu’en application de ces dispositions, il appartient au juge administratif d’apprécier si les tiers personnes physiques qui contestent une décision prise au titre de la police des installations classées justifient d’un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l’annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l’installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux ; qu’en relevant, au terme d’une appréciation souveraine des pièces du dossier, que les consorts C occupaient des maisons situées sur la rive droite de la Seine, face au site d’exploitation situé sur la rive gauche, à une distance d’environ trois cent soixante quinze mètres du terrain d’assiette de celui-ci et que l’installation présentait, en raison de son importance et de sa nature, des risques pour la salubrité et la sécurité publiques susceptibles d’affecter un périmètre étendu, puis en déduisant de ces constatations que les requérants justifiaient d’un intérêt leur donnant qualité pour agir contre la décision litigieuse, la cour a exactement qualifié les faits de la cause et n’a pas commis d’erreur de droit ;

4. Considérant toutefois, en second lieu, qu’aux termes de l’article 7 de l’arrêté du 29 juillet 1998 relatif aux silos et aux installations de stockage de céréales, de graines, de produits alimentaires ou de tous autres produits organiques dégageant des poussières inflammables :  » La délivrance de l’autorisation d’exploiter un silo est subordonnée à l’éloignement des capacités de stockage (…) et des tours d’élévation par rapport aux habitations, aux immeubles occupés par des tiers, aux immeubles de grande hauteur, aux établissements recevant du public, aux voies de circulation dont le débit est supérieur à 2 000 véhicules par jour, aux voies ferrées ouvertes au transport de voyageurs ainsi qu’aux zones destinées à l’habitation par des documents d’urbanisme opposables aux tiers. Cette distance est au moins égale à 1,5 fois la hauteur de l’installation concernée sans être inférieure à 25 m pour les silos plats et à 50 m pour les autres types de stockage et les tours d’élévation  » ;

5. Considérant que, pour juger illégale la décision litigieuse, la cour s’est fondée sur le motif tiré de ce que la distance d’éloignement de l’installation était inférieure à celle imposée par les dispositions précitées, dès lors que la hauteur de l’installation devait être déterminée en tenant compte de la présence d’une  » tour d’élévation  » adossée à l’édifice ; que n’ont toutefois pas le caractère d’une  » tour d’élévation « , au sens des dispositions ainsi rappelées, les équipements légers auxiliaires qui, étant extérieurs au silo et ne procédant pas au confinement des produits destinés à y être stockés, ne sont pas de nature à augmenter les risques d’incendie et d’explosion ; que, par suite, en regardant comme inopérante la circonstance qu’il s’agissait d’une installation extérieure, munie d’ouvertures et non confinée pour juger que l’élévateur extérieur devait être regardé comme une  » tour d’élévation « , la cour a commis une erreur de droit ;

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des pourvois, la Société Moulins Soufflet et le ministre sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt du 18 mars 2010 de la cour administrative d’appel de Versailles ;

7. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge des consorts C le versement à la Société Moulins Soufflet de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par les consorts C ;



D E C I D E :
————–

Article 1er : L’arrêt du 18 mars 2010 de la cour administrative d’appel de Versailles est annulé.

Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Versailles.

Article 3 : Les consorts C verseront à la Société Moulins Soufflet la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par les consorts C au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Société Moulins Soufflet, à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et à M. Jacques C, premier défendeur nommé. Les autres défendeurs seront informés de la présente décision par la SCP Piwnica Molinié, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d’Etat.

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