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Domaine public : pas de « bail commercial » possible sans commettre une faute !

Conseil d’État

N° 388010   
Inédit au recueil Lebon
10ème chambre
M. Laurent Domingo, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats

lecture du jeudi 19 janvier 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La SARL A…a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Cassis (Bouches-du-Rhône) à lui verser la somme d’un million d’euros en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait du non-renouvellement d’un bail commercial. Par un jugement n° 0902534 du 21 novembre 2011, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 12MA00338 du 16 décembre 2014, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement en tant qu’il a rejeté les conclusions relatives à la période courant du mois d’octobre 1996 au 28 septembre 2003, condamné la commune de Cassis à verser à la société A…la somme de 30 000 euros et rejeté le surplus de ses conclusions.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 février et 20 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Cassis demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler les articles 2 et 3 de cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la sociétéA… ;

3°) de mettre à la charge de la société A…la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Laurent Domingo, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la commune de Cassis.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 24 janvier 1976, M. A… a fait l’acquisition du fonds de commerce de restauration  » Chez Blanche « , situé plage du Bestouan sur le territoire de la commune de Cassis et exploité par la SARL A…en vertu d’une convention de  » bail commercial  » prenant effet le 29 septembre 1976, puis d’un  » nouveau bail de concession d’un emplacement pour la vente au public sur un terrain communal jouxtant la plage du Bestouan  » prenant effet le 29 septembre 1985. Par une délibération du 19 décembre 2002, le conseil municipal de Cassis a décidé de mettre fin à ce bail à compter du 28 septembre 2003. La commune de Cassis se pourvoit en cassation contre les articles 2 et 3 de l’arrêt du 16 décembre 2014 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille l’a condamnée à verser à la société A…une indemnité de 30 000 euros et mis à sa charge une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2. En raison du caractère précaire et personnel des titres d’occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d’un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l’autorité gestionnaire du domaine public conclut un  » bail commercial  » pour l’exploitation d’un bien sur le domaine public ou laisse croire à l’exploitant de ce bien qu’il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l’ensemble des dépenses dont il justifie qu’elles n’ont été exposées que dans la perspective d’une exploitation dans le cadre d’un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers, qui résultent directement de la faute qu’a commise l’autorité gestionnaire du domaine public, en l’induisant en erreur sur l’étendue de ses droits.

3. Par l’arrêt attaqué, la cour administrative d’appel de Marseille a jugé que la responsabilité de la commune de Cassis était engagée à l’égard de la sociétéA…, au motif que cette dernière avait pu, du fait du comportement de la commune, légitimement croire être titulaire d’un bail commercial sur une parcelle appartenant au domaine public. Elle a en outre jugé que la société n’avait pour sa part commis aucune faute susceptible d’exonérer, en tout ou en partie, la responsabilité de la commune.

4. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Cassis a conclu avec la sociétéA…, le 27 janvier 1986, un  » nouveau bail de concession « , en renouvellement d’un précédent  » bail commercial  » comportant des clauses identiques et prenant effet le 29 septembre 1976. En vertu de cette convention, la société A… était autorisée, d’une part, à exploiter, pour une durée de neuf ans renouvelable tacitement et moyennant un loyer semestriel, un débit de boissons et de coquillages sur une parcelle appartenant au domaine privé de la commune et, d’autre part, à exploiter onze cabines de bains sur une parcelle désignée comme faisant partie du domaine public maritime. La société A… ayant été contrainte, en exécution d’un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 28 février 1992, de procéder à la démolition de l’établissement de restauration qu’elle exploitait sur le domaine privé communal, le conseil municipal de Cassis, par une délibération du 20 septembre 1996, a accepté que cette société puisse  » redéployer son activité sur l’espace actuellement occupé sur la plage par des cabines de bains désaffectées, espace qui est compris dans le bail consenti par la commune  » et a, en conséquence, sans modifier la convention du 27 janvier 1986, autorisé la société A…a déposé une demande de permis de construire un nouveau restaurant sur la parcelle cadastrée section CO n° 32 DP. Le dossier de demande de permis de construire déposé par la société A…comportait l’indication selon laquelle la construction projetée serait implantée pour partie sur le domaine public communal et pour autre partie sur le domaine public maritime.

5. Compte tenu des éléments qui viennent d’être rappelés, en jugeant que la commune de Cassis a ainsi commis une faute en ayant pu faire croire à la société A…qu’elle était titulaire d’un bail commercial pour l’exploitation de son nouvel établissement édifié sur le domaine public, la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits de l’espèce. Elle n’a pas, non plus, procédé à une exacte qualification juridique des faits qui lui étaient soumis, compte tenu notamment, ainsi d’ailleurs qu’elle l’a relevé, de la connaissance par la société A…du statut juridique des terrains occupés, en écartant toute faute de la société susceptible d’exonérer ou d’atténuer la responsabilité de la commune. La commune de Cassis est, dès lors, fondée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l’annulation des articles 2 et 3 de l’arrêt qu’elle attaque.

6. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Cassis au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Les articles 2 et 3 de l’arrêt n° 12MA00338 de la cour administrative d’appel de Marseille du 16 décembre 2014 sont annulés.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d’appel de Marseille.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Cassis au titre l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Cassis et à la société à responsabilité limitéeA….

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