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Droit de préemption : le coût global de l’opération détermine la consultation de France Domaine !

CAA de NANTES

N° 15NT02379   
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. FRANCFORT, président
Mme Barbara MASSIOU, rapporteur
M. DURUP de BALEINE, rapporteur public
SCP SOUCHON – CATTE – LOUIS & ASSOCIES, avocat

lecture du lundi 19 décembre 2016

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Orest a demandé au tribunal administratif d’Orléans d’annuler les décisions n° 2014.D.009 et n° 2014.D.010 du 29 avril 2014 par lesquelles le maire de Saint-Denis-en-Val (Loiret) a décidé d’exercer, au nom de cette commune, le droit de préemption urbain sur un immeuble bâti et un terrain situés 80 rue de Melleray.

Par un jugement n° 1403526-1403527 du 9 juillet 2015, le tribunal administratif d’Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 juillet 2015, la société Orest, représentée par la SCP A…- Catte – Louis et associés, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif d’Orléans du 9 juillet 2015 ;

2°) d’annuler les décisions du maire de Saint-Denis-en-Val du 29 avril 2014 ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Denis-en-Val la somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, dont 4 000 euros au titre des frais exposés en première instance et non compris dans les dépens.

Elle soutient que :
– les décisions contestées sont illégales, faute de consultation préalable du service des domaines, qui s’imposait au titre notamment des dispositions de l’article R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques, selon lesquelles cette obligation de consultation concerne les opérations d’ensemble d’un montant égal ou supérieur à 75 000 euros, incluant les tranches d’acquisition d’un montant inférieur ;
– les décisions contestées sont insuffisamment motivées au regard des exigences des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme ;
– ces dernières dispositions ont également été méconnues, dès lors que le projet en vue duquel le droit de préemption urbain a été exercé n’est pas réalisable et n’est pas, en toute hypothèse, au nombre de ceux pouvant justifier l’exercice de ce droit.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 novembre 2015 la commune de Saint-Denis-en-Val, représentée par la SELARL Casadei-Jung, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Orest au titre de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Orest ne sont pas fondés.

L’instruction a été close au 2 novembre 2016, date d’émission d’une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– l’arrêté du 17 décembre 2001 modifiant l’arrêté du 5 septembre 1986 relatif aux opérations immobilières poursuivies par les collectivités et organismes publics ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Massiou,
– les conclusions de M. Durup de Baleine, rapporteur public,
– les observations de MeA…, représentant la société Orest, et MeC…, substituant MeB…, représentant la commune de Saint-Denis-en-Val.

Une note en délibéré présentée pour la commune de Saint-Denis-en-Val a été enregistrée le 2 décembre 2016.

1. Considérant que par deux décisions du 29 avril 2014, le maire de Saint-Denis-en-Val (Loiret) a exercé le droit de préemption urbain au nom de la commune sur une maison d’habitation et un terrain situés 80 rue de Melleray, dont la société Orest avait été déclarée adjudicataire à l’issue d’une audience du tribunal de grande instance de Bergerac du 17 avril 2014 au titre d’une vente aux enchères par licitation ; que la société Orest relève appel du jugement du 9 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif d’Orléans a rejeté sa demande tendant à l’annulation des décisions du 29 avril 2014 ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme :  » Toute aliénation visée à l’article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration comporte obligatoirement l’indication du prix et des conditions de l’aliénation projetée ou, en cas d’adjudication, l’estimation du bien ou sa mise à prix (…)  » ; que selon l’article R. 213-6 de ce même code :  » Dès réception de la déclaration, le maire en transmet copie au directeur des services fiscaux en lui précisant si cette transmission vaut demande d’avis. (…)  » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article R. 213-21 de ce code :  » Le titulaire du droit de préemption doit recueillir l’avis du service des domaines sur le prix de l’immeuble dont il envisage de faire l’acquisition dès lors que le prix ou l’estimation figurant dans la déclaration d’intention d’aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par l’arrêté du ministre chargé du domaine prévu à l’article R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques. (…)  » ; qu’en outre, selon l’article L. 1311-9 du code général des collectivités territoriales :  » Les projets d’opérations immobilières mentionnés à l’article L. 1311-10 doivent être précédés, avant toute entente amiable, d’une demande d’avis de l’autorité compétente de l’Etat lorsqu’ils sont poursuivis par les collectivités territoriales (…)  » ; qu’enfin, aux termes de l’article L. 1311-10 du même code :  » Ces projets d’opérations immobilières comprennent : (…) 2° Les acquisitions à l’amiable, par adjudication ou par exercice du droit de préemption, d’immeubles, de droits réels immobiliers, (…) d’une valeur totale égale ou supérieure à un montant fixé par l’autorité administrative compétente, ainsi que les tranches d’acquisition d’un montant inférieur, mais faisant partie d’une opération d’ensemble d’un montant égal ou supérieur ; (…)  » ; que ce montant, comme celui auquel fait référence l’article R. 213-21 précité du code de l’urbanisme, est fixé à 75 000 euros par l’arrêté du 17 décembre 2001 modifiant l’arrêté du 5 septembre 1986 relatif aux opérations immobilières poursuivies par les collectivités et organismes publics ;

3. Considérant qu’il résulte des dispositions combinées des articles L. 1311-9 et L. 1311-10 du code général des collectivités territoriales et de l’article R. 213-21 du code de l’urbanisme que le titulaire du droit de préemption doit recueillir l’avis du service des domaines sur le prix de l’immeuble dont il envisage de faire l’acquisition, dès lors, non seulement, que le prix ou l’estimation figurant dans la déclaration d’intention d’aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par un arrêté du ministre des finances, mais encore lorsque l’acquisition envisagée constitue une tranche, d’un montant inférieur à ce prix, faisant partie d’une opération d’ensemble dont le montant est égal ou supérieur à ce seuil ;

4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par les deux décisions contestées, le maire de Saint-Denis-en-Val a exercé au nom de cette commune le droit de préemption urbain sur un immeuble à usage d’habitation édifié sur les parcelles cadastrées section AO n° 272, 275, 584 et 586, ainsi que sur une parcelle nue cadastrée section AO n° 585 et 587, pour des montants respectifs de 60 500 euros et 23 500 euros correspondant aux prix auxquels ces biens avait été adjugés à la société Orest, soit un montant total de 84 000 euros, sans procéder au préalable au recueil de l’avis du service France Domaine ; que l’ensemble de ces parcelles, qui appartenait à la même famille, sont d’un seul tenant et forment un tout homogène ; qu’elles sont destinées à être intégrées dans un même ensemble foncier visant à la réalisation d’une opération d’aménagement du centre-bourg de Saint-Denis-en-Val ; que, dans ces conditions, et alors même que ces biens avaient été adjugés en deux lots distincts, ces parcelles devaient être regardées comme faisant partie d’une opération d’ensemble au sens des dispositions précitées de l’article L. 1311-10 du code général des collectivités territoriales ; que par suite, dès lors que le montant total de cette opération excédait 75 000 euros, il incombait à la commune de Saint-Denis-en-Val de recueillir l’avis du service France Domaine préalablement à la mise en oeuvre de son droit de préemption sur les parcelles concernées ;

5. Considérant que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s’il a privé les intéressés d’une garantie ; que la consultation du service France Domaine, préalablement à l’exercice du droit de préemption au titre d’une vente aux enchères par licitation, constitue une garantie pour la collectivité publique titulaire de ce droit ; que, dès lors, l’absence de consultation de ce service par la commune de Saint-Denis-en-Val est de nature à entacher d’illégalité les décisions de préemption du 29 avril 2014 ;

6. Considérant que, pour l’application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, les autres moyens soulevés par la société Orest, tirés de la méconnaissance des dispositions des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme, ne sont pas susceptibles de fonder l’annulation des décisions attaquées ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société Orest est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d’Orléans a rejeté sa demande tendant à l’annulation des décisions du maire de Saint-Denis-en-Val du 29 avril 2014 ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 et du code de justice administrative :

8. Considérant qu’il y a lieu, au titre de ces dispositions, de mettre à la charge de la commune de Saint-Denis-en-Val la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées par la commune de Saint-Denis-en-Val, partie perdante, aux fins de remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d’Orléans du 9 juillet 2015 et les décisions du maire de Saint-Denis-en-Val du 29 avril 2014 sont annulés.
Article 2 : La commune de Saint-Denis-en-Val versera une somme de 1 500 euros à la société Orest en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Saint-Denis-en-Val au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Orest et à la commune de Saint-Denis-en-Val.

Délibéré après l’audience du 2 décembre 2016, à laquelle siégeaient :

– M. Francfort, président,
– M. Mony, premier conseiller,
– Mme Massiou, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 décembre 2016.
Le rapporteur,
B. MASSIOULe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
F. PERSEHAYE
La République mande et ordonne au ministre du logement et de l’habitat durable, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
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N° 15NT02379

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