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Espèces protégées : qu’est-ce qu’une « raison d’intérêt public majeur » ?

CAA de DOUAI

N° 14DA02064   
Inédit au recueil Lebon
1re chambre – formation à 3
M. Yeznikian, président
M. Hadi Habchi, rapporteur
M. Riou, rapporteur public
CABINET BUSSON, avocat

lecture du jeudi 15 octobre 2015

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’association  » Ecologie pour Le Havre  » a demandé au tribunal administratif de Rouen d’annuler l’arrêté du 11 mars 2014 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a autorisé la perturbation et la destruction d’espèces animales protégées pour l’aménagement de six parcelles situées boulevard Jules Durand au Havre.

Par un jugement n° 1401916 du 4 novembre 2014, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par un recours, enregistré le 31 décembre 2014, le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif par l’association  » Ecologie pour Le Havre « .

…………………………………………………………………………………………….

Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 ;
– le code de l’environnement ;
– le code de l’urbanisme ;
– la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
– l’arrêté du 19 février 2007 fixant les conditions de demande et d’instruction des dérogations définies au 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées ;
– l’arrêté du 19 novembre 2007 fixant les listes des amphibiens et des reptiles protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
– l’arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Hadi Habchi, premier conseiller,
– et les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public.

Sur le motif d’annulation retenu par le tribunal :

1. Considérant que pour annuler, à la demande de l’association  » Ecologie pour Le Havre « , l’arrêté du 11 mars 2014 du préfet de la Seine-Maritime accordant à Réseau Ferré de France (RFF), sur le fondement de l’article L. 411-2 du code de l’environnement et pour les besoins d’implantation de trois entreprises, une dérogation à l’interdiction de destruction de spécimens et d’habitats d’espèces animales protégées, le tribunal administratif de Rouen s’est fondé sur l’absence de raison impérative d’intérêt public majeur pouvant justifier la dérogation ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, qui transpose l’article 16 de la directive du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages :  » Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / (…) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / (…) / c) Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, (…) / (…)  » ; qu’aux termes de l’article R. 411-6 du même code :  » Les dérogations définies au 4° de l’article L. 411-2 sont accordées par le préfet (…)  » ;

3. Considérant qu’il ne saurait être exclu que des travaux destinés à l’implantation ou à l’extension d’entreprises soient regardés comme une raison impérative d’intérêt public majeur d’accorder la dérogation prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement lorsque le projet, bien que de nature privée, présente réellement, à la fois par sa nature et par le contexte économique et social dans lequel il s’insère, un intérêt public majeur, qui doit pouvoir être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels et de la faune sauvage, poursuivis par la directive ;

4. Considérant, d’une part, que le projet d’aménagement des parcelles en cause porte sur la réhabilitation d’anciennes friches industrielles dans le cadre d’un programme national de mobilisation de terrains publics pour des opérations d’aménagement durable, et vise à permettre l’extension de l’activité économique dans les quartiers sud de la commune du Havre ; qu’il assurera en particulier le développement de l’urbanisation de la commune au sein d’un secteur déjà largement urbanisé et bien desservi par des voies de communication, sans étalement urbain ; qu’il ressort également des pièces du dossier que l’extension de l’activité de l’une des trois entreprises comporte une création d’emplois, et le transfert des deux autres entreprises depuis le centre-ville de la commune s’accompagne de la constitution d’un pôle logistique à proximité immédiate du port ; qu’en outre, compte tenu du contexte économique dans lequel elles s’insèrent, ces activités, quoique de caractère privé, participent d’un projet qui, par sa nature, peut être regardé comme présentant un intérêt public majeur au sens des dispositions du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ;

5. Considérant, d’autre part, que s’il ressort des pièces du dossier, et notamment de l’étude écologique jointe à la demande de dérogation, que le projet de développement économique en cause est susceptible, sur son terrain d’assiette, de perturber deux espèces de reptiles, une espèce d’amphibiens et trente-deux espèces d’oiseaux protégées en application des dispositions du code de l’environnement transposant la directive précitée du 21 mai 1992, en particulier le lézard des murailles, l’orvet fragile, le triton palmé, le rossignol philomèle et le bouvreuil pivoine, et de comporter un risque de destruction qualifié de fort du fait de l’atteinte à l’habitat naturel, l’arrêté préfectoral prescrit, non seulement, des mesures dites  » d’évitement et de réduction  » qui favorisent la survie des animaux du site et leur installation à proximité d’une vaste friche ferroviaire, mais également des mesures compensatoires de reconstitution des milieux favorables à l’habitat des deux espèces d’oiseaux et de l’espèce de reptile nichant exclusivement sur le site ; qu’il ressort des pièces du dossier que ces mesures réduisent de manière significative l’atteinte à l’objectif de conservation des habitats naturels et de la faune sauvage ;

6. Considérant qu’il résulte des points 4 et 5 que les travaux destinés à l’aménagement des friches industrielles du Havre et à l’implantation ou à l’extension des entreprises peuvent être regardés comme une raison impérative d’intérêt public majeur justifiant d’accorder la dérogation prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement, après que ce projet a été mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels et de la faune sauvage, poursuivi dans le secteur ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Rouen a retenu le motif tiré de l’absence d’intérêt public majeur pour prononcer l’annulation de l’arrêté préfectoral en litige ;

8. Considérant toutefois qu’il y a lieu pour la cour, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par l’association  » Ecologie pour Le Havre  » devant la juridiction administrative ;

Sur la motivation de l’arrêté attaqué :

9. Considérant que l’arrêté attaqué, qui déroge à la règle générale d’interdiction de perturbation et de destruction de spécimens d’espèces protégées comporte l’énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, en application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ; que, par suite, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation de la décision attaquée manque en fait ;

Sur le caractère complet du dossier de demande de dérogation :

10. Considérant qu’aux termes de l’article 4 de l’arrêté du 19 février 2007 fixant les conditions de demande et d’instruction des dérogations définies au 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées :  » La décision précise : / (…) / En cas d’octroi d’une dérogation et, en tant que de besoin, en fonction de la nature de l’opération projetée, les conditions de celle-ci, notamment :/ (…) / -nombre et sexe des spécimens sur lesquels porte la dérogation / (…)  » ;

11. Considérant que l’opération projetée, consistant en l’aménagement de parcelles occupées par des espèces d’amphibiens, de reptiles et d’oiseaux, ne nécessitait pas l’indication, au demeurant quasiment impossible à recueillir, du nombre et du sexe des spécimens concernés par la dérogation sollicitée ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des autres conditions posées à la dérogation :

12. Considérant, en premier lieu, que des inventaires animaliers réalisés pour des terrains proches du site en cause n’ont pas constaté la présence de mammifères ou d’insectes protégés en vertu des dispositions prises pour la transposition de la directive du 21 mai 1992 ;

13. Considérant, en deuxième lieu, que si l’arrêté, dans son article 12, constate que le pétitionnaire, RFF, ne dispose pas de la maîtrise foncière des parcelles NS 97 et NS 98, d’une contenance totale de 13 350 m², il recommande la conclusion d’un bail ou de toute autre solution permettant d’assurer que ces parcelles puissent servir de support aux mesures compensatoires prescrites par l’article 5 de l’arrêté ; qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment de l’étude écologique jointe à la demande, que les mesures compensatoires, pour l’essentiel, se situent dans une parcelle NS 99 dont le pétitionnaire est propriétaire ;

14. Considérant, en troisième lieu, que l’arrêté comporte des indications précises de la localisation et de la contenance des secteurs de la vaste parcelle NS 99 utilisés pour la réalisation des mesures compensatoires ;

15. Considérant que, pour les raisons indiquées aux points 12 à 14 et celles mentionnées au point 5, le préfet de la Seine-Maritime, en accordant la dérogation sollicitée, a pu légalement estimer que cette dérogation ne nuisait pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans les environs immédiats du site en cause, et dans leur aire de répartition naturelle ;

16. Considérant que, ainsi qu’il a été dit aux points 3 à 5, le site du projet contribue à la fois à la requalification d’une friche ferroviaire, à la limitation de l’étalement urbain et au développement d’un secteur déjà largement urbanisé, à proximité d’axes routiers et du port ; que l’aménagement de ce site est susceptible de porter atteinte, de perturber ou de détruire les espèces animales qui s’y trouvent ; que, cependant, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il aurait existé des solutions alternatives satisfaisantes de nature à éviter ou à réduire ces atteintes ; que, par suite, l’absence de solutions alternatives satisfaisantes doit être regardée comme établie ;

17. Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit aux points 12 à 16 que les trois conditions cumulatives à la dérogation sollicitée, posées par les dispositions précitées de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, étant remplies, le préfet de la Seine-Maritime pouvait légalement accorder cette dérogation ;

18. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, que le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé l’arrêté du 11 mars 2014 ; que, par voie de conséquence, les conclusions présentées par l’association  » Ecologie pour Le Havre  » sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 4 novembre 2014 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Rouen par l’association  » Ecologie pour Le Havre  » et ses conclusions présentées en appel au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et à l’association  » Ecologie pour Le Havre « .

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.

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