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Exploitation de carrière, les limites du pouvoir d’appréciation du juge

Saisi de la contestation d’une autorisation d’exploitation d’une carrière, le juge administratif (en plein contentieux) doit faire application des règles de fond d’un schéma départemental ds carrière (même postérieur à l’autorisation). Attention, le juge ne peut pas apprécier la régularité de la procédure d’élaboration du schéma dans ce cas de figure. 

Conseil d’État

N° 317076   
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Vigouroux, président
M. Raphaël Chambon, rapporteur
M. Guyomar Mattias, commissaire du gouvernement
SCP MONOD, COLIN ; BROUCHOT, avocats

lecture du lundi 10 janvier 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 juin et 11 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’ASSOCIATION OISEAUX NATURE, dont le siège est Scierie d’Avin à Xertigny (88220), et l’ASSOCIATION DE SAUVEGARDE DES VALLEES ET DE PREVENTION DES POLLUTIONS, dont le siège est 8, rue Pierre Pierron à Thiaville-sur-Meurthe (54120) ; l’ASSOCIATION OISEAUX NATURE et l’ASSOCIATION DE SAUVEGARDE DES VALLEES ET DE PREVENTION DES POLLUTIONS demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt n° 06NC01583 – 06NC01604 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a, d’une part, réformé le jugement n° 0401321, 0401323, 0401367 du 10 octobre 2006 du tribunal administratif de Nancy et porté à 20 ans la durée de l’autorisation accordée par le préfet des Vosges à la Société Sagram par l’article 1er de l’arrêté du 24 juin 2004 d’exploiter une carrière de sables et graviers à Thaon-Les-Vosges, Igney et Vaxoncourt, d’autre part, rejeté les conclusions des associations requérantes tendant à l’annulation de cet arrêté ;

2°) réglant l’affaire au fond, d’annuler le jugement du 10 octobre 2006 du tribunal administratif de Nancy et l’arrêté du 24 juin 2004 du préfet des Vosges ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu le décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 ;

Vu l’arrêté du 22 septembre 1994 relatif aux exploitations de carrières et aux installations de premier traitement des matériaux de carrières ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Raphaël Chambon, Auditeur,

– les observations de Me Brouchot, avocat de l’ASSOCIATION OISEAUX NATURE et de l’ASSOCIATION DE SAUVEGARDE DES VALLES ET DE PREVENTION DES POLLUTIONS et de la SCP Monod, Colin, avocat de la société Sagram,

– les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Brouchot, avocat de l’ASSOCIATION OISEAUX NATURE et de l’ASSOCIATION DE SAUVEGARDE DES VALLES ET DE PREVENTION DES POLLUTIONS et à la SCP Monod, Colin, avocat de la société Sagram ;

Sur la régularité de l’arrêt attaqué :

Considérant, en premier lieu, qu’en relevant, pour écarter le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact, que cette étude comportait une analyse très précise et exhaustive, incluant toutes les données utiles concernant les effets de l’exploitation, notamment en raison du détournement de deux ruisseaux, sur la nappe alluviale, sur les puits d’alimentation en eau potable et sur la zone humide du Grand Paquis, la cour administrative d’appel, qui n’était pas tenue de se prononcer sur tous les détails de l’argumentation des associations requérantes, a suffisamment motivé son arrêt sur ce point ;

Considérant, en second lieu, que le schéma départemental des carrières des Vosges oblige, s’agissant de la création, à l’issue de l’exploitation, de plans d’eau à vocation de loisirs et de tourisme , à procéder à des études prospectives sur la validité économique de l’opération et des équipements sportifs et d’accueil, et sur l’impact à long terme d’un plan d’eau à grande dimension ; que si l’ASSOCIATION OISEAUX NATURE et l’ASSOCIATION DE SAUVEGARDE DES VALLEES ET DE PREVENTION DES POLLUTIONS avaient soulevé devant la cour administrative d’appel un moyen tiré de ce que l’autorisation litigieuse serait incompatible avec les préconisations de ce schéma faute pour la société ayant demandé l’autorisation d’avoir réalisé de telles études, ce moyen était inopérant dès lors que la légalité de l’autorisation contestée ne saurait être appréciée au regard de règles de procédure posées par le schéma départemental des carrières des Vosges, alors que celui a été adopté postérieurement à l’arrêté d’autorisation ; que, par suite, en s’abstenant d’y répondre, la cour n’a pas entaché son arrêt d’une insuffisance de motifs ;

Sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué :

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes du XI de l’article L. 212-1 du code de l’environnement, seuls les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l’eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux ; que les associations requérantes soutiennent que la cour a commis une erreur de qualification juridique des faits en estimant que l’autorisation contestée ne méconnaissait pas le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux ; que, toutefois, la cour a jugé, implicitement mais nécessairement, que la décision litigieuse d’autorisation d’exploiter une carrière de sables et de graviers alluvionnaires ne constituait pas une décision administrative dans le domaine de l’eau au sens de l’article L. 212-1 du code de l’environnement, et que, par suite, cette décision n’était pas soumise à l’obligation de compatibilité avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux ; qu’il en résulte que le moyen ne peut qu’être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, que l’article L. 515-3 du code de l’environnement dispose que : Le schéma départemental des carrières définit les conditions générales d’implantation des carrières dans le département. Il prend en compte l’intérêt économique national, les ressources et les besoins en matériaux du département et des départements voisins, la protection des paysages, des sites et des milieux naturels sensibles, la nécessité d’une gestion équilibrée de l’espace, tout en favorisant une utilisation économe des matières premières. Il fixe les objectifs à atteindre en matière de remise en état et de réaménagement des sites. (…) / Il est approuvé, après avis du conseil général, par le préfet. Il est rendu public dans des conditions fixées par décret. / Les autorisations d’exploitation de carrières délivrées en application du présent titre doivent être compatibles avec ce schéma (…) ;

Considérant, d’une part, qu’eu égard à l’office du juge de plein contentieux, la cour a pu estimer, sans commettre d’erreur de droit, que la légalité de l’autorisation contestée devait être appréciée au regard des règles de fond posées par le schéma départemental des carrières des Vosges en vigueur à la date à laquelle elle a statué, alors même que ce dernier a été adopté postérieurement audit arrêté ;

Considérant, d’autre part, que si le schéma départemental des carrières des Vosges limite à dix hectares la superficie des plans d’eau à vocation de pratiques de loisirs au niveau local , il ne comporte pas une telle limite pour les autres catégories de plans d’eau, à vocation paysagère et écologique ou à vocation de loisirs et de tourisme ; qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les trois plans d’eau dont la création est prévue à l’issue de l’exploitation relèvent de ces deux dernières catégories ; que, par suite, la cour a pu, sans erreur de qualification juridique, juger que la création, à l’issue de l’exploitation, de bassins d’une superficie supérieure à dix hectares ne rendait pas l’autorisation litigieuse incompatible avec les dispositions de ce schéma ;

Considérant, en troisième lieu, qu’en estimant que la carrière dont l’exploitation est autorisée par l’arrêté querellé est située en dehors du fuseau de mobilité de la Moselle, à 100 mètres, au plus près de sa rive gauche, la cour administrative d’appel a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation ; qu’elle a fait de même en écartant le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation commise par le préfet dans la définition du périmètre de l’exploitation ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’ASSOCIATION OISEAUX NATURE et l’ASSOCIATION DE SAUVEGARDE DES VALLEES ET DE PREVENTION DES POLLUTIONS ne sont pas fondées à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ; que leurs conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence ; qu’il y a lieu en revanche de mettre à la charge des associations requérantes le versement à la société Sagram de la somme de 2 000 euros en application de ces dispositions ;

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l’ASSOCIATION OISEAUX NATURE et de l’ASSOCIATION DE SAUVEGARDE DES VALLEES ET DE PREVENTION DES POLLUTIONS est rejeté.
Article 2 : L’ASSOCIATION OISEAUX NATURE et l’ASSOCIATION DE SAUVEGARDE DES VALLEES ET DE PREVENTION DES POLLUTIONS verseront solidairement une somme de 2 000 euros à la société Sagram au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION OISEAUX NATURE, à l’ASSOCIATION DE SAUVEGARDE DES VALLEES ET DE PREVENTION DES POLLUTIONS, à la société Sagram et à la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

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