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ICPE : impossibilité de délivrer l’autorisation d’exploiter s’il n’y a pas de capacités techniques !

Conseil d’État

N° 384821   
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème / 1ère SSR
Mme Mireille Le Corre, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP TIFFREAU, MARLANGE, DE LA BURGADE ; SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats

lecture du lundi 22 février 2016

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La commune de Sarralbe, d’une part, la commune d’Herbitzheim et l’association de défense contre la pollution de Sarreguemines et environs, d’autre part, ont respectivement demandé au tribunal administratif de Strasbourg l’annulation de l’arrêté du préfet de la Moselle du 25 juin 2010 autorisant la société Hambrégie à exploiter une centrale de production d’électricité sur un terrain situé au sein de la zone d’aménagement concerté Europôle 2, sur le territoire de la commune d’Hambach. Par deux jugements n° 1103183 et n° 1006144, 1103322 du 15 février 2012, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté.

Par un arrêt n° 12NC00669, 12NC00670, 12NC00705 du 25 juillet 2014, la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté les requêtes de la société Hambrégie tendant à l’annulation de ces deux jugements du tribunal administratif de Strasbourg ainsi que le recours du ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement tendant à l’annulation du jugement n° 1103183.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 septembre 2014, 22 décembre 2014 et 22 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Hambrégie demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses requêtes d’appel ;

3°) de mettre à la charge des communes de Sarralbe et d’Herbitzheim et de l’association de défense contre la pollution de Sarreguemines et environs une somme globale de 7 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la directive 2005/89/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 janvier 2006 ;
– la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Mireille Le Corre, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société Hambrégie, à la SCP Tiffreau, Marlange, de la Burgade, avocat de la commune de Sarralbe, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de la commune d’Herbitzheim et à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de l’association de défense contre la pollution de Sarreguemines et environs ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 janvier 2016, présentée par la société Hambrégie ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 janvier 2016, présentée par l’association de défense contre la pollution de Sarreguemines et environs (ADPSE) ;

1. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, par un arrêté du 25 juin 2010, pris au titre de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, le préfet de la Moselle a autorisé la société Hambrégie à exploiter une centrale de production d’électricité, constituée de deux unités à cycle combiné fonctionnant au gaz naturel, sur un terrain situé sur le territoire de la commune d’Hambach, ainsi qu’une station de pompage d’eau dans la Sarre, comprenant une prise d’eau située sur le territoire de la commune de Sarralbe et un bâtiment électrique implanté sur le territoire de la commune de Willerwald ; qu’à la demande de la commune de Sarralbe, d’une part, de la commune d’Herbitzheim et de l’association de défense contre la pollution de Sarreguemines et environs, d’autre part, le tribunal administratif de Strasbourg a, par deux jugements du 15 février 2012, annulé cet arrêté ; que, par un arrêt du 25 juillet 2014, contre lequel la société Hambrégie se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté les requêtes de la société Hambrégie et le recours du ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement tendant à l’annulation de ces jugements ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 511-1 du code de l’environnement :  » Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d’une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (…)  » ; qu’aux termes de l’article L. 512-1 du code de l’environnement, l’autorisation d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement  » (…) prend en compte les capacités techniques et financières dont dispose le demandeur, à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts visés à l’article L. 511-1 et d’être en mesure de satisfaire aux obligations de l’article L. 512-6-1 lors de la cessation d’activité  » ; qu’en vertu du 5° de l’article R. 512-3 du même code, la demande d’autorisation mentionne  » les capacités techniques et financières de l’exploitant  » ; qu’il résulte de ces dispositions non seulement que le pétitionnaire est tenu de fournir des indications précises et étayées sur ses capacités techniques et financières à l’appui de son dossier de demande d’autorisation, mais aussi que l’autorisation d’exploiter une installation classée ne peut légalement être délivrée, sous le contrôle du juge du plein contentieux des installations classées, si ces conditions ne sont pas remplies ; que le pétitionnaire doit notamment justifier disposer de capacités techniques et financières propres ou fournies par des tiers de manière suffisamment certaine, le mettant à même de mener à bien son projet et d’assumer l’ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l’exploitation et de la remise en état du site au regard, des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, ainsi que les garanties de toute nature qu’il peut être appelé à constituer à cette fin en application des article L. 516-1 et L. 516-2 du même code ;

3. Considérant, en premier lieu, qu’une telle interprétation des articles L. 512-1 et R. 512-3 du code de l’environnement n’est, en tout état de cause, nullement incompatible avec les dispositions de la directive 2005/89/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 janvier 2006 concernant des mesures visant à garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité et les investissements dans les infrastructures et de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour a relevé que la demande d’autorisation d’exploiter une centrale de production d’électricité avait été présentée par la société Hambrégie, société par actions simplifiée au capital de 37 500 euros, porté ultérieurement à 7 537 500 euros, filiale à 100 % de la SARL Direct Energie Génération, société par actions simplifiée, au capital de 1 million d’euros, elle-même filiale à 100 % de Direct Energie, devenue Poweo Direct Energie ; que la société Hambrégie précisait dans sa demande que la mise en service de la centrale projetée impliquerait un investissement de 772 millions d’euros qui devrait être financé à hauteur de 70 % environ par de la dette bancaire à long terme et de 30 % par des fonds propres que la société Poweo Direct Energie s’est engagée à fournir postérieurement à la décision attaquée ; que la société Hambrégie, qui a été créée pour la réalisation de ce projet indiquait en outre qu’elle ferait appel pour la construction et l’exploitation de la centrale à des  » entreprises réputées du secteur  » ;

5. Considérant qu’eu égard aux principes rappelés au point 2, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en recherchant si la société Hambrégie apportait la preuve qu’elle justifiait de capacités techniques et financières suffisantes pour conduire son projet et satisfaire aux obligations résultant de l’application de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement et en vérifiant, dans ce cadre, si la société apportait la preuve qu’elle disposait d’engagements fermes sur ces capacités ; que s’agissant, en particulier, des capacités financières, elle n’a pas commis d’erreur de droit en examinant si, au vu des éléments fournis par la société devant la cour, la société Hambregie pouvait être regardée comme ayant justifié d’engagements fermes de financement relatifs au projet, dès lors qu’il ressortait des motifs retenus par la cour que le pétitionnaire ne disposait pas lui-même du capital lui permettant de financer le projet en cause ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu’en relevant, s’agissant des capacités financières, que la société requérante s’était bornée, pour établir le caractère effectif des ressources d’emprunt qui devaient couvrir 70 % de l’investissement, à produire une note  » sur les principes de financement de projet d’une centrale électrique au gaz  » explicitant le recours à la technique du financement de projet, ainsi que des lettres de banques indiquant que le montage financier envisagé constituait une pratique courante dans ce domaine, mais ne comportant aucun engagement précis de financement, la cour a porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier, exempte de dénaturation ; qu’en en déduisant que la société ne justifiait pas de ses capacités financières, la cour n’a pas entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique ;

7. Considérant, en quatrième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour justifier des capacités techniques requises, la société Hambrégie s’est bornée à produire des attestations d’Alstom Power SA, en date des 2 février 2012 et 18 février 2013, indiquant qu’un accord de coopération avait été signé avec elle en décembre 2010, afin de fixer les principes essentiels du contrat de construction de la centrale, et un projet de contrat avec cette société, qui comportait un certain nombre de clauses non formalisées et ne portait au demeurant que sur la construction et non l’exploitation de l’installation ; qu’en estimant que les pièces ainsi produites ne suffisaient pas à établir que les négociations entre les sociétés auraient atteint un stade d’avancement suffisant pour que leur issue puisse être regardée comme suffisamment certaine, la cour a porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier, exempte de dénaturation ; qu’en déduisant de ces constatations que la société requérante ne pouvait être regardée comme justifiant de ses capacités techniques, la cour n’a pas entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique ;

8. Considérant, en cinquième lieu, qu’il résulte de ce qui a été dit au point 2 que l’autorisation ne peut légalement être délivrée à un pétitionnaire qui n’a pas justifié de ses capacités financières et techniques ; que, dès lors, contrairement à ce qui est soutenu, la cour n’avait pas à rechercher si les insuffisances du dossier de demande relatives aux capacités techniques et financières auraient pu nuire à l’information du public ou avoir une influence sur le sens de la décision prise par le préfet ;

9. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société Hambrégie n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque, qui est suffisamment motivé ;

10. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Hambrégie le versement aux communes de Sarralbe et de Herbitzheim ainsi qu’à l’association de défense contre la pollution de Sarreguemines et environs de la somme de 1 000 euros chacune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge des communes de Sarralbe et d’Herbitzheim et de l’association de défense contre la pollution de Sarreguemines et environs, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes ;

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Hambrégie est rejeté.
Article 2 : La société Hambrégie versera aux communes de Sarralbe et de Herbitzheim ainsi qu’à l’association de défense contre la pollution de Sarreguemines et environs (ADPSE) la somme de 1 000 euros chacune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Hambrégie, aux communes de Sarralbe et de Herbitzheim, à l’association de défense contre la pollution de Sarreguemines et environs et à la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer.

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