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Loi littoral : contester le statut de commune riveraine de la mer ?

Conseil d’État

N° 369147   
Publié au recueil Lebon
1ère et 6ème sous-sections réunies
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur
Mme Maud Vialettes, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD ; SCP LEVIS, avocat

lecture du mercredi 12 novembre 2014

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A…B…a demandé au tribunal administratif de Rennes d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 14 septembre 2006 par lequel le maire de Pont-Aven (Finistère) a délivré à Mme D…un permis de construire pour la réalisation d’une maison d’habitation. Par un jugement nos 0804281, 0804283 du 30 août 2011, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 11NT02805 du 5 avril 2013, la cour administrative d’appel de Nantes, sur requête de MmeB…, a annulé le jugement du 30 août 2011 du tribunal administratif de Rennes ainsi que l’arrêté du 14 septembre 2006 du maire de Pont-Aven.

Procédure devant le Conseil d’Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 juin et 9 septembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Pont-Aven demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt n° 11NT02805 de la cour administrative d’appel de Nantes du 5 avril 2013 ;

2°) de mettre à la charge de Mme B…la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :
– les autres pièces du dossier ;
– le code de l’environnement ;
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code de l’urbanisme ;
– le décret du 21 février 1852 relatif à la fixation des limites des affaires maritimes dans les fleuves et rivières affluant à la mer et sur le domaine public maritime ;
– le décret n° 2004-309 du 29 mars 2004 ;
– le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la commune de Pont-Aven et à la SCP Lévis, avocat de MmeB….

1. Considérant que l’article L. 146-1 du code de l’urbanisme dispose que :  » Les dispositions du présent chapitre déterminent les conditions d’utilisation des espaces terrestres, maritimes et lacustres : / – dans les communes littorales définies à l’article 2 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (…)  » ; que l’article 2 de la loi du 3 janvier 1986, désormais codifié à l’article L. 321-2 du code de l’environnement, dispose que :  » Sont considérées comme communes littorales, au sens du présent chapitre, les communes de métropole et des départements d’outre-mer : / 1° Riveraines des mers et océans, des étangs salés, des plans d’eau intérieurs d’une superficie supérieure à 1 000 hectares ; / 2° Riveraines des estuaires et des deltas lorsqu’elles sont situées en aval de la limite de salure des eaux et participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux. La liste de ces communes est fixée par décret en Conseil d’Etat, après consultation des conseils municipaux intéressés  » ;

2. Considérant qu’il appartient au juge administratif de vérifier, le cas échéant d’office, que les dispositions invoquées devant lui sont applicables au litige qui lui est soumis et en particulier, s’agissant des articles L. 146-1 et suivants du code de l’urbanisme, de s’assurer que la commune dans laquelle a été délivré un permis de construire contesté sur le fondement de ces dispositions peut être regardée comme littorale, au sens de l’article L. 321-2 du code de l’environnement ; que, s’il résulte du 2° de cet article que les communes riveraines des estuaires ne peuvent être classées comme communes littorales par décret en Conseil d’Etat que si elles sont situées en aval de la limite de salure des eaux, ni ces dispositions ni aucun autre texte ne définissent la limite en aval de laquelle les communes doivent être considérées comme  » littorales  » en application du 1° du même article, c’est-à-dire comme riveraines de la mer ; que cette dernière limite doit être regardée comme correspondant à la limite transversale de la mer, déterminée, en application de l’article L. 2111-5 du code général de la propriété des personnes publiques, conformément aux dispositions, désormais codifiées aux articles R. 2111-5 à R. 2111-14 du même code, du décret du 29 mars 2004 et, avant l’entrée en vigueur de ce décret, conformément aux dispositions de l’article 2 du décret du 21 février 1852 ; que la délimitation de la mer à l’embouchure des cours d’eaux repose sur l’observation combinée de plusieurs indices, tels que la configuration des côtes et notamment l’écartement des rives, la proportion respective d’eaux fluviales et d’eaux de mer, l’origine des atterrissements, le caractère fluvial ou maritime de la faune et de la végétation ; que la part relative de chacun de ces indices, dont se dégage l’influence prépondérante ou non de la mer, doit être appréciée en fonction des circonstances propres à chaque espèce ; qu’eu égard au caractère recognitif d’un tel acte, la délimitation à laquelle il procède peut être contestée à toute époque ;

3. Considérant que, par l’arrêt attaqué du 5 avril 2013, la cour administrative d’appel de Nantes a jugé que le permis de construire délivré à Mme D…par le maire de Pont-Aven le 14 septembre 2006 méconnaissait les dispositions du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme limitant l’extension de l’urbanisation dans les communes littorales ; que pour juger que ces dispositions étaient applicables à la commune de Pont-Aven, qui en contestait l’application, elle a relevé que la limite transversale de la mer à l’embouchure de la rivière Aven avait été fixée, sur le fondement du décret précité du 21 février 1852, par un décret du 3 juin 1899 suivant une ligne tracée le long de la crête du déversoir commun à des moulins situés sur le territoire de la commune ; qu’elle en a déduit, une partie du territoire de Pont-Aven jouxtant ainsi l’Aven en aval de cette limite transversale de la mer, que la commune devait, pour l’intégralité de son territoire, être regardée comme une commune littorale au sens et pour l’application des articles L. 146-1 et suivants du code de l’urbanisme ;

4. Considérant qu’en statuant ainsi, sans mettre les parties à même de débattre de la portée du décret du 3 juin 1899 qu’aucune d’entre elles n’avait invoqué, alors qu’il résulte de ce qui a été dit au point de 2 que, si ce décret avait alors été publié au Journal officiel de la République française, cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que la délimitation de la mer à l’embouchure de la rivière Aven fût discutée à l’occasion du litige dont elle était saisie, la cour a méconnu les exigences du caractère contradictoire de la procédure et, par suite, entaché son arrêt d’irrégularité ; qu’il suit de là que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, la commune de Pont-Aven est fondée à en demander l’annulation ;

5. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune de Pont-Aven, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de Mme B…la somme demandée au même titre par la commune de Pont-Aven ;

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 5 avril 2013 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Nantes.
Article 3 : Les conclusions de la commune de Pont-Aven et de Mme B…présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Pont-Aven et à Mme A…B….
Copie en sera adressée pour information à Mme B…D….

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