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Plan Local d’Urbanisme : peut-on transformer une zone urbanisée en zone naturelle ?

Cour administrative d’appel de Bordeaux

N° 13BX03319   
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre – formation à 3
Mme GIRAULT, président
M. Olivier GOSSELIN, rapporteur
Mme MEGE, rapporteur public
SCP DELAVALLADE – GELIBERT – DELAVOYE, avocat

lecture du jeudi 19 mars 2015

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 décembre 2013 et 9 juillet 2014, présentés pour la SCI 290 cours du Maréchal Gallieni, dont le siège est au 290 cours du Maréchal Gallieni à Talence (33400), par la Scp Delavallade – Gelibert – Delavoye ;

La SCI 290 cours du Maréchal Gallieni demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1103635 du 10 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la délibération du 25 mars 2011 par laquelle le conseil de la communauté urbaine de Bordeaux a approuvé la 5ème modification du plan local d’urbanisme en tant qu’elle a procédé au classement en zone N2g du secteur Haut-Brion, Peybouquey, Avison sur le territoire de la commune de Talence, précédemment classé en zone UDC 3 et de la décision du 7 juillet 2011 du président de la communauté urbaine de Bordeaux ayant rejeté son recours gracieux du 24 mai 2011 ;

2°) d’annuler ladite délibération en tant qu’elle classe la zone en N2g et, ensemble, la décision du 7 juillet 2011 du président de la communauté urbaine de Bordeaux ayant rejeté son recours gracieux du 24 mai 2011 ;

3°) de mettre à la charge de la communauté urbaine de Bordeaux une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

…………………………………………………………………………………………….

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 19 février 2015 :

– le rapport de M. Olivier Gosselin, président-assesseur ;
– les conclusions de Mme Christine Mège, rapporteur public ;
– et les observations de Me Chambord, avocat de la SCI 290 cours du Maréchal Gallieni et de Me Raux, avocat de Bordeaux Métropole venant aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux ;

1. Considérant que, par délibération du 25 mars 2011, le conseil de la communauté urbaine de Bordeaux a approuvé la 5ème modification du plan local d’urbanisme de la communauté urbaine ; que la SCI 290 cours du Maréchal Gallieni relève appel du jugement n° 1103635 du 10 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d’annulation de cette délibération en tant qu’elle a procédé au classement en zone N2g du secteur Haut-Brion Peybouquey Avison sur le territoire de la commune de Talence, précédemment classé en zone UDc3 ;

Sur la légalité du plan local d’urbanisme modifié :

2. Considérant qu’aux termes de l’article R. 123-8 du code de l’urbanisme dans sa rédaction alors applicable :  » Les zones naturelles et forestières sont dites « zones N ». Peuvent être classés en zone naturelle et forestière les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison soit de la qualité des sites, des milieux naturels, des paysages et de leur intérêt, notamment du point de vue esthétique, historique ou écologique, soit de l’existence d’une exploitation forestière, soit de leur caractère d’espaces naturels. / En zone N peuvent être délimités des périmètres à l’intérieur desquels s’effectuent les transferts des possibilités de construire prévus à l’article L. 123-4. Les terrains présentant un intérêt pour le développement des exploitations agricoles et forestières sont exclus de la partie de ces périmètres qui bénéficie des transferts de coefficient d’occupation des sols. / En dehors des périmètres définis à l’alinéa précédent, des constructions peuvent être autorisées dans des secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées, à la condition qu’elles ne portent atteinte ni à la préservation des sols agricoles et forestiers ni à la sauvegarde des sites, milieux naturels et paysages  » ;

3. Considérant qu’il appartient aux auteurs d’un plan local d’urbanisme de délimiter des zones urbaines, normalement constructibles, et des zones dites naturelles, dans lesquelles la construction peut être limitée ou interdite ; que l’appréciation à laquelle se livrent les auteurs du plan, lorsqu’ils classent en zone naturelle un secteur dans lequel ils entendent limiter l’urbanisation, ne peut être discutée devant le juge de l’excès de pouvoir que si elle repose sur des faits matériellement inexacts ou si elle est entachée d’erreur manifeste ;

4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le secteur de la commune de Talence en litige est situé dans une partie de l’agglomération bordelaise marquée par la persistance de vignobles, appartenant à des crus prestigieux et formant la pointe nord de l’appellation Pessac-Léognan, insérés dans le tissu urbain ; que la zone N2g est constituée, dans le prolongement des vignes du château de la Mission Haut-Brion, de trois parcelles construites occupées par le cabinet médical appartenant à la société requérante, par un bâtiment commercial dans lequel la société Clarence Dillon, membre du groupe qui exploite les vignes des châteaux Haut Brion et La mission Haut Brion, exerce une activité de courtage en vins, et par le réservoir d’eau de Lavardens, lequel alimente, par un forage de 400 mètres de profondeur, la communauté urbaine de Bordeaux en eau potable ; qu’elle est située dans le prolongement d’un vaste espace agricole consacré à la vigne ; que cette zone, qui forme une des limites de ce secteur, est contigüe sur trois côtés à des zones UD d’habitat pavillonnaire et de constructions proches de la gare de chemin de fer de la Médoquine, mais en est séparée par des axes routiers importants, la zone agricole formant le quatrième côté ;

5. Considérant que le rapport de présentation du plan local d’urbanisme indique que la zone N2 correspond à  » une zone Naturelle partiellement constructible  » comprenant  » des espaces naturels de qualité variable en les déclinant en secteurs selon leurs spécificités naturelles, paysagères ou fonctionnelles. Cette classification concerne à la fois des espaces naturels, ruraux, sylvicoles, … ainsi que certains secteurs présentant une urbanisation diffuse insérée dans un contexte naturel prédominant. En complément d’un caractère naturel affirmé, quels que soient les secteurs inclus dans la zone N2, le PLU propose des modalités de gestion adaptées en fonction des évolutions souhaitées.  » ; que ce rapport de présentation décrit la forme urbaine de référence des zones N2g comme un  » Espace rural générique dont les composantes ne justifient pas un classement en zones N1 ou A : il s’agit notamment des espaces agricoles ne bénéficiant pas de qualités particulières : certaines zones de pâture ; la pinède (sylvicole ou non) ; certaines lisières urbaines plus ou moins bâties et mal équipées. Espace où la vocation agricole est globalement fragilisée par un déclin des activités agro-sylvicoles et par un « mitage » de constructions.  » ; que les objectifs assignés à ces zones tendent à  » maintenir la vocation agricole et paysagère en les réservant aux seules constructions agricoles ou ayant un lien direct avec ces espaces, ou autres constructions d’intérêt collectif  » et à  » accompagner l’évolution de l’ensemble des autres bâtiments existants  » ; que pour classer en N2g ce secteur précédemment classé en UDc, la communauté urbaine a entendu  » affirmer la vocation viticole des parcelles concernées et assurer une continuité du paysage de ce secteur  » ;

6. Considérant que la zone en cause, qui n’a jamais supporté de vignobles et n’est pas classée dans l’aire de l’appellation contrôlée Pessac-Léognan, ne présente pas de caractère rural et figure au demeurant en zone urbaine multifonctionnelle dans le schéma de cohérence territoriale ; qu’elle ne présente pas davantage un caractère naturel affirmé, même si elle jouxte un vignoble qui a été agrandi par suite de la démolition d’anciens abattoirs, et ne peut pas non plus être regardée comme une  » lisière urbaine plus ou moins bâtie et mal équipée « , alors qu’il est constant que les parcelles sont toutes trois bâties, raccordées à tous les réseaux et parfaitement desservies par le réseau routier comme par les transports en commun ; qu’il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le déclassement de ce secteur serait nécessaire pour préserver la qualité d’un paysage, alors que la zone est marquée par la diversité de constructions que la communauté urbaine reconnaît hétérogènes ; que, par ailleurs, la préservation des arbres remarquables, en l’occurrence un bouquet d’érables et de platanes, est déjà assurée par un classement en espace boisé classé ; qu’enfin, une protection paysagère au titre de l’article L. 123-1 7° du code de l’urbanisme a été instaurée pour harmoniser toute construction nouvelle avec le bâtiment ancien du groupe Clarence Dillon ; que, de plus, si la communauté urbaine a paru envisager à moyen terme la suppression du réservoir de Lavardens, une telle suppression n’est pas certaine au regard des difficultés techniques qu’elle entraînerait ; que, dans ces conditions et même si l’extension des bâtiments existants restait autorisée, cette zone ne pouvait être regardée comme une  » zone naturelle diversifiée et générique avec une dominante de fonctions agricoles peu valorisées  » ni comme ayant une vocation viticole susceptible d’être affirmée, ni enfin comme assurant une continuité de paysage ; que dès lors son classement en zone naturelle N2g est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ;

7. Considérant que, pour l’application de l’article L. 600-4 du code de l’urbanisme, aucun autre moyen ne parait susceptible, en l’état du dossier, de fonder l’annulation de la délibération litigieuse ;

8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, que la SCI 290 cours du Maréchal Gallieni est fondée à demander l’annulation du jugement attaqué du tribunal administratif de Bordeaux et l’annulation de la délibération du 25 mars 2011 en tant que le conseil de la communauté urbaine de Bordeaux, en approuvant la 5ème modification du plan local d’urbanisme, a classé la zone en N2g, ensemble l’annulation de la décision du 7 juillet 2011 du président de la communauté urbaine de Bordeaux ayant rejeté son recours gracieux du 24 mai 2011 ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCI 290 cours du Maréchal Gallieni, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la communauté urbaine de Bordeaux, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de Bordeaux Métropole venant aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SCI 290 cours du Maréchal Gallieni et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1103635 en date du 10 octobre 2013 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : La délibération du 25 mars 2011 du conseil de la communauté urbaine de Bordeaux, approuvant la 5ème modification du plan local d’urbanisme, est annulée en tant qu’elle a classé le secteur Haut-Brion, Peybouquey, Avison sur le territoire de la commune de Talence en zone N2g.
Article 3 : La décision du 7 juillet 2011 du président de la communauté urbaine de Bordeaux ayant rejeté le recours gracieux de la SCI 290 cours du Maréchal Gallieni est annulée.
Article 4 : Bordeaux Métropole venant aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux versera à la SCI 290 cours du Maréchal Gallieni la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions de la communauté urbaine de Bordeaux sont rejetées.

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