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Propriété publique : le juge administratif des référés peut protéger la propriété publique

Conseil d’État

N° 393895   
Publié au recueil Lebon
Juge des référés

lecture du vendredi 9 octobre 2015

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Le préfet des Yvelines a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’enjoindre à la commune de Chambourcy de procéder à la dépose partielle de sa jardinière et de faire enlever tout obstacle sur la portion de trottoir correspondante afin de rétablir le libre accès à la voie publique du  » Vieux Chemin de Mantes  » depuis la route départementale 113, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

2°) d’autoriser le président du conseil départemental des Yvelines, en sa qualité de gestionnaire de la RD 113, à procéder d’office, en cas de carence de la commune de Chambourcy à l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, à la dépose partielle de la jardinière, avec si besoin le concours de la force publique.

Par une ordonnance n° 1506215 du 25 septembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a fait droit à sa demande.

Par une requête, enregistrée le 2 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Chambourcy demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions de première instance du préfet des Yvelines ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– la condition d’urgence n’était pas remplie ;
– en effet, le centre technique municipal de Saint-Germain-en-Laye est en cours de construction et ne sera ouvert au public que d’ici un an à un an et demi ; le refus de déposer la jardinière n’a aucune incidence sur l’exécution des travaux, déjà engagés, dès lors qu’elle ne prive pas le centre de tout accès ;
– la gravité de l’atteinte à une liberté fondamentale n’est pas caractérisée ;
– ni la liberté d’accès au domaine public, ni l’égalité d’accès au domaine public ne constituent des libertés fondamentales ;
– l’atteinte au droit de propriété n’est pas caractérisée dès lors que la dépose de la jardinière n’a pas pour but de permettre l’accès de l’Etat ou du public à sa propriété mais seulement celle des engins du chantier du centre technique municipal de Saint-Germain-en-Laye.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2015, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence est remplie et que les moyens soulevés par la commune de Chambourcy ne sont pas fondés.
La commune de Saint-Germain-en-Laye a présenté des observations, enregistrées le 6 octobre 2015.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de la voirie routière ;
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la commune de Chambourcy, d’autre part, le ministre de l’intérieur ainsi que le département des Yvelines et la commune de Saint-Germain-en-Laye ;

Vu le procès-verbal de l’audience publique du 7 octobre 2015 à 9 heures au cours de laquelle ont été entendus :

– les représentants de la commune de Chambourcy ;
– le représentant du ministre de l’intérieur ;
– les représentants de la commune de Saint-Germain-en-Laye ;
et à l’issue de laquelle le juge des référés a clos l’instruction ;

1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :  » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures.  » ; que le droit de propriété des personnes publiques a le caractère d’une liberté fondamentale au sens de ces dispositions ;

2. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la commune de Chambourcy a installé, au mois d’août 2014, sur l’emprise de la route départementale 113, une jardinière de 15 mètres de long dont une partie se trouve au droit du  » Vieux Chemin de Mantes « , voie qui appartient à l’Etat ; que l’Etat a décidé de faire temporairement de ce chemin une voie de chantier permettant d’accéder, depuis la RD 113, à une parcelle appartenant à la commune de Saint-Germain-en Laye sur laquelle doit être construit un nouveau centre technique municipal ; qu’eu égard à son emplacement, la jardinière a pour effet de bloquer tout accès à la voie appartenant à l’Etat et, partant, de faire obstacle à la mise à disposition de cette dernière aux poids lourds et engins de chantier qui doivent accéder au terrain d’assiette de la construction pour la réalisation des travaux ; que, par un courrier du 5 juin 2015, le président du conseil départemental des Yvelines a demandé au maire de Chambourcy de procéder à la dépose partielle de la jardinière après avoir relevé qu’elle avait été installée, sans autorisation préalable, sur le domaine public départemental ; que, par un courrier du 30 juillet 2015, le sous-préfet de Saint-Germain-en-Laye a mis en demeure la commune de Chambourcy de réduire la superficie de la jardinière afin de rétablir le libre accès au chemin dont l’Etat est propriétaire ; qu’en l’absence de toute suite donnée à ces demandes, le préfet des Yvelines a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à la commune de Chambourcy de procéder à la dépose partielle de sa jardinière ou, à défaut, à ce que le département des Yvelines soit autorisé à procéder d’office à cette dépose, aux frais de la commune ; que, par l’ordonnance frappée d’appel, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a fait droit à ces conclusions ;

3. Considérant que, si c’est à bon droit que le premier juge a relevé l’existence d’une illégalité manifeste tenant à l’installation irrégulière d’une jardinière sur le domaine public du département des Yvelines ayant pour effet d’empêcher tout accès à une propriété de l’Etat, la commune de Chambourcy est fondée à soutenir que c’est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a constaté l’existence d’une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; qu’en effet, si l’installation de la jardinière et le refus de procéder à sa dépose partielle bloquent l’accès au  » Vieux Chemin de Mantes  » depuis la RD 113 et ont pour effet d’empêcher que des poids lourds et engins de chantier puissent l’emprunter pour rejoindre le chantier de construction du nouveau centre technique municipal de Saint-Germain-en-Laye, le ralentissement du cours des travaux qui en résulte ainsi que la perspective d’une interruption du chantier, d’ici quelques semaines, ne sont pas constitutifs d’une situation d’urgence caractérisée de nature à justifier l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; que cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l’Etat saisisse, s’il s’y croit fondé, le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative aux termes duquel :  » En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative  » ;

4. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune de Chambourcy est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance du 25 septembre 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles et le rejet des conclusions du préfet des Yvelines présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Chambourcy au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :
——————
Article 1er : L’ordonnance du 25 septembre 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est annulée.
Article 2 : Les conclusions du préfet des Yvelines présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune de Chambourcy est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Chambourcy, au ministre de l’intérieur et à la commune de Saint-Germain-en-Laye.
Copie en sera adressée, pour information, au département des Yvelines.

Analyse

Abstrats : 26-04 DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS. DROIT DE PROPRIÉTÉ. – DROIT DE PROPRIÉTÉ DES PERSONNES PUBLIQUES – LIBERTÉ FONDAMENTALE AU SENS DU RÉFÉRÉ-LIBERTÉ – EXISTENCE [RJ1].
54-035-03-03-01-01 PROCÉDURE. PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D’UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART. L. 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE). CONDITIONS D’OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE. ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE. LIBERTÉ FONDAMENTALE. – DROIT DE PROPRIÉTÉ DES PERSONNES PUBLIQUES – EXISTENCE [RJ1].
54-035-03-03-02 PROCÉDURE. PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D’UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART. L. 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE). CONDITIONS D’OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE. URGENCE. – INSTALLATION IRRÉGULIÈRE D’UNE JARDINIÈRE SUR LE DOMAINE PUBLIC EMPÊCHANT TOUT ACCÈS À UNE VOIE DE CHANTIER APPARTENANT À L’ETAT – 1) CONDITION NON REMPLIE – 2) FACULTÉ DE SAISIR LE JUGE DES RÉFÉRÉS SUR LE FONDEMENT DE L’ARTICLE L. 521-3 DU CJA – EXISTENCE [RJ2].
54-035-04-03 PROCÉDURE. PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE TOUTES MESURES UTILES (ART. L. 521-3 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE). CONDITIONS D’OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE. – INSTALLATION IRRÉGULIÈRE D’UNE JARDINIÈRE SUR LE DOMAINE PUBLIC EMPÊCHANT TOUT ACCÈS À UNE VOIE DE CHANTIER APPARTENANT À L’ETAT – 1) ABSENCE D’URGENCE CARACTÉRISÉE JUSTIFIANT L’INTERVENTION DU JUGE DES RÉFÉRÉS SUR LE FONDEMENT DE L’ARTICLE L. 521-2 DU CJA – 2) FACULTÉ DE SAISIR LE JUGE DES RÉFÉRÉS SUR LE FONDEMENT DE L’ARTICLE L. 521-3 DU CJA [RJ2].

Résumé : 26-04 Le droit de propriété des personnes publiques constitue une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA).
54-035-03-03-01-01 Le droit de propriété des personnes publiques constitue une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA).
54-035-03-03-02 1) L’installation manifestement illégale, par une commune, d’une jardinière sur le domaine public du département, a pour effet de bloquer l’accès à une voie de chantier appartenant à l’Etat, qui dessert le chantier de construction d’un nouveau centre technique municipal. Le ralentissement du cours des travaux qui en résulte et la perspective d’une interruption du chantier après quelques semaines ne sont pas constitutifs d’une situation d’urgence caractérisée de nature à justifier l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA).,,,2) L’Etat peut en revanche saisir le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-3 du CJA (référé mesures utiles).
54-035-04-03 1) L’installation manifestement illégale, par une commune, d’une jardinière sur le domaine public du département, a pour effet de bloquer l’accès à une voie de chantier appartenant à l’Etat, qui dessert le chantier de construction d’un nouveau centre technique municipal. Le ralentissement du cours des travaux qui en résulte et la perspective d’une interruption du chantier après quelques semaines ne sont pas constitutifs d’une situation d’urgence caractérisée de nature à justifier l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA).,,,2) L’Etat peut en revanche saisir le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-3 du CJA (référé mesures utiles).

[RJ1]Rappr. JRCE, 31 mai 2001, Commune d’Hyères-les-Palmiers, n° 234226, p. 253 ; CE, 29 mars 2002, SCI Stephaur et autres, n° 243338, p. 117.,,[RJ2]Comp., sur la faculté de saisir le juge du référé-liberté ou le juge du référé mesures utiles pour faire cesser un péril trouvant sa cause dans l’action ou la carence de l’administration, CE, Section, 16 novembre 2011, Ville de Paris et société d’économie mixte PariSeine, n°s 353172 353173, p. 553.

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