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Qu’est-ce qu’un cours d’eau en droit de l’environnement ?

Conseil d’État

N° 334322
Publié au recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Jacques Arrighi de Casanova, président
Mme Nadia Bergouniou-Gournay, rapporteur
M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public
SCP HEMERY, THOMAS-RAQUIN, avocats

lecture du vendredi 21 octobre 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 décembre 2009 et 26 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés par le MINISTRE DE L’ECOLOGIE, DU DEVELOPPEMENT DURABLE, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT ; le ministre demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt n° 08NT03377 du 29 septembre 2009 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a annulé à la demande de l’EARL Cintrat, d’une part, le jugement n° 05-2228 du 17 octobre 2008 du tribunal administratif d’Orléans, d’autre part, la décision du 2 novembre 2004 par laquelle le préfet d’Indre-et-Loire a qualifié le ruisseau de l’Oie de cours d’eau non domanial et soumis à autorisation préfectorale les prélèvements d’eau effectués dans son plan d’eau, ainsi que la décision du 4 mai 2005 rejetant son recours gracieux ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de l’EARL Cintrat ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’environnement,

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Nadia Bergouniou-Gournay, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

– les observations de la SCP Hémery, Thomas-Raquin, avocat de l’EARL Cintrat,

– les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, avocat de l’EARL Cintrat ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 214-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction alors applicable : Sont soumis aux dispositions des articles L. 214-2 à L. 214-6 les installations ne figurant pas à la nomenclature des installations classées, les ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d’écoulement des eaux ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants ; que, selon le premier alinéa du I de l’article L. 214-3 du même code : Sont soumis à autorisation de l’autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d’accroître notablement le risque d’inondation, de porter atteinte gravement à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique ; qu’ainsi, les prélèvements effectués par un particulier sur un cours d’eau à des fins d’irrigation sont en principe soumis à autorisation préfectorale ;

Considérant que pour l’application de ces dispositions, constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 2 novembre 2004, confirmée le 4 mai 2005 sur recours gracieux, le préfet d’Indre-et-Loire a estimé que le ruisseau de l’Oie était un cours d’eau non domanial et a, en conséquence, demandé à l’EARL Cintrat de déposer une demande d’autorisation, en application des articles L 214-1 et suivants du code de l’environnement, pour les prélèvements d’eau auxquels elle procédait dans le plan d’eau dont elle est propriétaire sur le territoire de la commune de Neuvy-le-Roy, résultant d’un barrage réalisé sur ce ruisseau et alimenté par les eaux de celui-ci ; que, par l’arrêt attaqué, la cour administrative d’appel de Nantes a infirmé le jugement du 17 octobre 2008 du tribunal administratif d’Orléans et annulé ces décisions ;

Considérant que, pour refuser au ruisseau de l’Oie la qualification de cours d’eau non domanial, la cour administrative d’appel de Nantes s’est fondée notamment sur l’absence de vie piscicole significative ; qu’en statuant ainsi, alors que, si la richesse biologique du milieu peut constituer un indice à l’appui de la qualification de cours d’eau, l’absence d’une vie piscicole ne fait pas, par elle-même, obstacle à cette qualification, la cour a commis une erreur de droit ; que par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi, le ministre chargé de l’écologie est fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant, en premier lieu, que le tribunal administratif d’Orléans, qui a relevé que le préfet d’Indre-et-Loire ne s’était pas fondé, pour prendre la décision attaquée, sur les seuls critères fixés par le Conseil supérieur de la pêche, a suffisamment motivé son jugement ;

Considérant, en second lieu, qu’il résulte de l’instruction que le ruisseau de l’Oie s’écoule depuis une source située en amont du plan d’eau litigieux et captée par un busage et qu’il n’est pas seulement alimenté par des eaux de ruissellement et de drainage ; que, si l’eau s’écoule dans des fossés aménagés dans un talweg, le ruisseau présentait, antérieurement à ce réaménagement, un lit naturel, comme en attestent les données cartographiques disponibles ; que, si l’écoulement de l’eau n’est pas permanent, cette caractéristique ne prive pas le ruisseau de son caractère de cours d’eau non domanial dès lors qu’il a, en l’espèce, un débit suffisant la majeure partie de l’année, attesté par la présence d’une végétation hydrophile et d’invertébrés d’eau douce ; que, par suite, c’est à bon droit que le tribunal administratif d’Orléans a jugé que le préfet d’Indre-et-Loire était en droit de qualifier le ruisseau de l’Oie de cours d’eau non domanial et, dès lors, de soumettre les prélèvements effectués par l’EARL Cintrat dans son plan d’eau, en partie alimenté par ce cours d’eau, au dépôt préalable d’une demande d’autorisation en application des dispositions des articles L. 214-1 et suivants du code de l’environnement ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’EARL Cintrat n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d’Orléans a rejeté sa demande ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, dès lors, être rejetées ;

D E C I D E :
————–

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 29 septembre 2009 est annulé.

Article 2 : La requête de l’EARL Cintrat et ses conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement et à l’EARL Cintrat.

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