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Servitudes administratives sur propriétés privées : c’est constitutionnel

Servitude de passage de lutte contre les incendies (servitude d’utilité publique ou servitude d’intérêt général) sur une propriété privée (espace boisé).

Critère finaliste de la servitude : intérêt général, sécurité des personnes et des biens.

 

Conseil constitutionnel
vendredi 14 octobre 2011 – Décision N° 2011-182 QPC
Journal officiel du 15 octobre 2011, p. 17465

NOR : CSCX1128130S

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 juillet 2011 par le Conseil d’État (décision n° 349657 du 18 juillet 2011), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Pierre T., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 321-5-1 du code forestier.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code forestier ;
Vu la loi n° 2001-602 du 9 juillet 2001 d’orientation sur la forêt ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 11 août 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 11 août 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Vincent Delaporte pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 4 octobre 2011 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 321-5-1 du code forestier dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-602 du 9 juillet 2001 susvisée : « Dans les bois classés en application de l’article L. 321-1 et dans les massifs forestiers mentionnés à l’article L. 321-6, une servitude de passage et d’aménagement est établie par l’État à son profit ou au profit d’une autre collectivité publique, d’un groupement de collectivités territoriales ou d’une association syndicale pour assurer exclusivement la continuité des voies de défense contre l’incendie, la pérennité des itinéraires constitués, ainsi que l’établissement des équipements de protection et de surveillance des forêts. L’assiette de cette servitude ne peut excéder la largeur permettant l’établissement d’une bande de roulement de six mètres pour les voies. Si les aménagements nécessitent une servitude d’une largeur supérieure, celle-ci est établie après enquête publique.

« En zone de montagne, une servitude de passage et d’aménagement nécessaire à l’enlèvement des bois bénéficie à tout propriétaire.

« À défaut d’accord amiable, le juge fixe l’indemnité comme en matière d’expropriation.

« Si l’exercice de cette servitude rend impossible l’utilisation normale des terrains grevés, leurs propriétaires peuvent demander l’acquisition de tout ou partie du terrain d’assiette de la servitude et éventuellement du reliquat des parcelles.

« Les voies de défense contre l’incendie ont le statut de voies spécialisées, non ouvertes à la circulation générale » ;

2. Considérant que, selon le requérant, ces dispositions, en instituant une servitude de passage et d’aménagement, n’apportent pas seulement des limites à l’exercice du droit de propriété mais organisent, sans garantie légale, une privation de propriété en violation des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; qu’elles méconnaîtraient également les articles 16 de la Déclaration de 1789 et 7 de la Charte de l’environnement ;

3. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;

4. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l’homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu’aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité » ; qu’en l’absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l’article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ;

5. Considérant, en premier lieu, que le droit accordé à l’État, par les dispositions contestées, d’établir une servitude de passage et d’aménagement pour assurer la continuité des voies de défense contre l’incendie, la pérennité des itinéraires constitués, ainsi que l’établissement des équipements de protection et de surveillance des forêts n’entraîne pas une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 ;

6. Considérant, en second lieu, d’une part, qu’en permettant l’établissement d’une servitude de passage et d’aménagement dans les propriétés privées pour faciliter la lutte contre les incendies de forêts, les dispositions contestées poursuivent un but d’intérêt général ;

7. Considérant, d’autre part, que le législateur a délimité la portée et l’objet de la servitude de passage et d’aménagement et prévu que l’assiette de celle-ci ne pouvait excéder la largeur permettant l’établissement d’une bande de roulement de six mètres pour les voies ; qu’il a précisé que si les aménagements nécessitent une servitude d’une largeur supérieure, celle-ci est établie après enquête publique ; qu’il a prévu l’indemnisation des propriétaires des terrains grevés par la servitude en posant la règle qu’à défaut d’accord amiable, le juge fixait l’indemnité comme en matière d’expropriation ;

8. Considérant, toutefois, que le législateur s’est en l’espèce borné à prévoir une enquête publique pour les seuls cas où les aménagements nécessitent une servitude d’une largeur supérieure à six mètres ; que, faute d’avoir prévu, dans les autres cas, le principe d’une procédure destinée à permettre aux propriétaires intéressés de faire connaître leurs observations ou tout autre moyen destiné à écarter le risque d’arbitraire dans la détermination des propriétés désignées pour supporter la servitude, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution ;

9. Considérant qu’en principe une déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la question prioritaire de constitutionnalité ; que, toutefois, l’abrogation immédiate de l’article L. 321-5-1 du code forestier aurait des conséquences manifestement excessives ; que, par suite, afin de permettre au législateur de mettre fin à cette inconstitutionnalité, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2013 la date de cette abrogation,

DÉCIDE :

Article 1er.- L’article L. 321-5-1 du code forestier est contraire à la Constitution.

Article 2.- La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet le 1er janvier 2013 dans les conditions fixées au considérant 9.

Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 octobre 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

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