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Un PPRI doit prévoir un zonage précis !

Cour administrative d’appel de Douai

N° 11DA00186
Inédit au recueil Lebon
1re chambre – formation à 3
M. Yeznikian, président
M. David Moreau, rapporteur
M. Larue, rapporteur public
SCP FRISON ET ASSOCIÉS, avocat


lecture du mercredi 16 mai 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Texte intégral

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d’appel de Douai par télécopie le 7 février 2011 et régularisée par la production de l’original le 8 février 2011, présentée pour M. et Mme Patrick A, demeurant …, et pour M. Roland A, demeurant …, par la SCP Frison et associés, avocat ; ils demandent à la cour :

1°) d’annuler le jugement nos 0802645-0802646 du 7 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif d’Amiens a rejeté leurs demandes tendant à l’annulation de l’arrêté du 22 juillet 2008 du préfet de la Somme approuvant le plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) de la commune de Curlu ;

2°) d’annuler pour excès de pouvoir cette décision ;

3°) d’ordonner la requalification de la zone  » V2  » et le classement de leur propriété en zone blanche, en application des dispositions de l’article L. 911-2 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat le versement à chacun d’une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

……………………………………………………………………………………………

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. David Moreau, premier conseiller,

– et les conclusions de M. Xavier Larue, rapporteur public ;


Considérant que, par un arrêté du 22 juillet 2008, le préfet de la Somme a approuvé le plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) de la commune de Curlu ; que M. et Mme Patrick A et M. Roland A, dont les propriétés ont été classées en zone de type 2, prescrivant notamment une limitation du développement des constructions, relèvent appel du jugement du 7 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif d’Amiens a rejeté leurs demandes tendant à l’annulation de cet arrêté ;


Sur la légalité de l’arrêté contesté :

Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 562-1 du code de l’environnement dans sa rédaction alors applicable :  » I. – L’Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations, (…). / II. – Ces plans ont pour objet, en tant que de besoin : / 1° De délimiter les zones exposées aux risques, dites  » zones de danger « , en tenant compte de la nature et de l’intensité du risque encouru, d’y interdire tout type de construction, d’ouvrage, d’aménagement ou d’exploitation agricole, forestière, artisanale, commerciale ou industrielle ou, dans le cas où des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient y être autorisés, prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités ; / 2° De délimiter les zones, dites  » zones de précaution « , qui ne sont pas directement exposées aux risques mais où des constructions, des ouvrages, des aménagements ou des exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux et y prévoir des mesures d’interdiction ou des prescriptions telles que prévues au 1° ; / 3° De définir les mesures de prévention, de protection et de sauvegarde qui doivent être prises, dans les zones mentionnées au 1° et au 2°, par les collectivités publiques dans le cadre de leurs compétences, ainsi que celles qui peuvent incomber aux particuliers ; / 4° De définir, dans les zones mentionnées au 1° et au 2°, les mesures relatives à l’aménagement, l’utilisation ou l’exploitation des constructions, des ouvrages, des espaces mis en culture ou plantés existants à la date de l’approbation du plan qui doivent être prises par les propriétaires, exploitants ou utilisateurs. / (…)  » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 562-4 du même code :  » Le plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvé vaut servitude d’utilité publique. Il est annexé au plan d’occupation des sols, conformément à l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme  » ;

Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article R. 562-3 du même code :  » Le dossier de projet de plan comprend : / 1° Une note de présentation indiquant le secteur géographique concerné, la nature des phénomènes naturels pris en compte et leurs conséquences possibles, compte tenu de l’état des connaissances ; / 2° Un ou plusieurs documents graphiques délimitant les zones mentionnées aux 1° et 2° du II de l’article L. 562-1 ; / 3° Un règlement précisant, en tant que de besoin : / a) Les mesures d’interdiction et les prescriptions applicables dans chacune de ces zones en vertu des 1° et 2° du II de l’article L. 562-1 ; / b) Les mesures de prévention, de protection et de sauvegarde mentionnées au 3° du II de l’article L. 562-1 et les mesures relatives à l’aménagement, l’utilisation ou l’exploitation des constructions, des ouvrages, des espaces mis en culture ou plantés existant à la date de l’approbation du plan, mentionnées au 4° de ce même II. Le règlement mentionne, le cas échéant, celles de ces mesures dont la mise en oeuvre est obligatoire et le délai fixé pour celle-ci  » ;

Considérant, en premier lieu, qu’en vertu des dispositions précitées de l’article L. 562-4 du code de l’environnement, le plan de prévention des risques naturels prévisibles d’inondation prévu à l’article L. 562-1 du même code, institue des servitudes d’utilité publique ; que, dès lors, en application du principe de sécurité juridique, le document graphique prévu par le 2° de l’article R. 562-3 de ce code doit permettre d’identifier précisément chaque parcelle susceptible d’être grevée de servitudes ; qu’en l’espèce, la carte du zonage réglementaire figurant dans le plan de prévention des risques d’inondation de la commune de Curlu, qui est à l’échelle 1/10 000, ne permet pas d’identifier précisément, même par un grossissement, les parcelles concernées par les zones qu’elle délimite ; qu’aucun autre document annexé au plan ne permet une telle identification ; que, par suite, l’ensemble de l’arrêté approuvant le plan de prévention des risques d’inondation de Curlu encourt l’annulation pour méconnaissance de l’article R. 562-3 du code de l’environnement ;

Considérant, en second lieu, que, pour justifier le classement en zone d’aléa moyen de la propriété des époux A, l’Etat fait valoir qu’elle se trouve au pied d’une des combes reliant la RD 938 au lit de la Somme, que leur hangar agricole a déjà été inondé par les eaux de ruissellement il y a environ 35 ans et que ce bâtiment, qui est situé au pied d’un talus, freine l’écoulement de l’eau recueillie à ce point bas du relief ; que, pour justifier le classement en zone d’aléa moyen de la propriété de M. Roland A, l’Etat fait valoir qu’elle est située en bordure d’une voie parallèle à la ligne de plus grande pente du versant et qu’à plusieurs reprises, cette voie et celle qui lui est parallèle ont concentré des eaux de ruissellement qui ne se sont dispersées qu’au niveau du carrefour avec les rues adjacentes ;

Considérant, toutefois, que ni en première instance ni en cause d’appel, l’Etat, qui se borne à citer la note de présentation du plan de prévention des risques d’inondation, ne produit d’étude hydraulique ; qu’il ressort de la note de présentation du PPRI que seul le hameau de Fargny, dont ne dépendent pas les parcelles des consorts A, est sujet à des ruissellements récurrents ; qu’il n’est pas contesté que l' » inondation  » alléguée du hangar agricole des époux A, il y a environ 35 ans, n’a en réalité consisté qu’en la présence d’une flaque de 5 mm de profondeur sur une surface de 25 m² qui n’a causé aucun dégât et n’a pas même justifié une déclaration de sinistre auprès de leur compagnie d’assurances ; qu’il n’est pas contesté également que les parcelles des consorts A n’ont pas été affectées par les grandes inondations de 2001 ; qu’un constat d’huissier établit que le bassin versant de la Chapelle, au pied duquel se situent les parcelles considérées, n’a subi aucune coulée de boue lors des violents orages des 25 et 26 mai 2009 ; qu’il ressort encore du rapport du commissaire enquêteur, qui a émis une réserve sur cette partie du zonage, ainsi que du rapport d’un expert foncier et agricole en date du 3 juin 2009 produit par les requérants, que le bassin versant de la Chapelle ne comporte pas de risque particulier de ruissellement ou de ravinement, compte tenu notamment de la nature très perméable du sous-sol ; qu’enfin, il ressort de la note de présentation du PPRI que, nonobstant le risque allégué de ruissellement, les auteurs du plan ont accepté de modifier le classement d’une partie de la zone située au pied de la combe de la Chapelle uniquement pour permettre la poursuite de l’urbanisation du centre bourg, ce qui tend à faire douter de l’importance du risque encouru ; que, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le classement en zone V2 de la zone située au pied de la combe de la Chapelle est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ; que l’arrêté approuvant le plan de prévention des risques d’inondation de Curlu encourt ainsi également l’annulation dans la mesure où il classe en zone V2 les parcelles des consorts A ;

Considérant que, pour l’application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, aucun des autres moyens soulevés devant le tribunal ou devant la cour n’est de nature à justifier l’annulation de l’arrêté contesté ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les époux A et M. Roland A sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d’Amiens a rejeté leurs demandes ;


Sur les conclusions à fin d’injonction :

Considérant que le présent arrêt n’implique pas nécessairement que les parcelles des consorts A soient classées en  » zone blanche « , c’est-à-dire en zone d’aléa négligeable ; que, par suite, leurs conclusions à fin d’injonction doivent être rejetées ;


Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme Patrick A pour les deux instances et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu de mettre à sa charge la même somme au titre des frais de même nature exposés par M. Roland A ;



DÉCIDE :



Article 1er : Le jugement du 7 décembre 2010 du tribunal administratif d’Amiens ainsi que l’arrêté du 22 juillet 2008 du préfet de la Somme approuvant le plan de prévention des risques d’inondation de la commune de Curlu sont annulés.

Article 2 : L’Etat versera à M. et Mme Patrick A une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 3 : L’Etat versera à M. Roland A une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.


Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Patrick A, à M. Roland A et au Premier ministre, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

Copie sera adressée pour information au préfet de la Somme et au maire de Curlu.

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