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Domanialité : surplomber le domaine public maritime est autorisé si cela n’affecte pas son utilisation !

Conseil d’État 

N° 410651    
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
8ème – 3ème chambres réunies
M. Laurent Domingo, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD, avocat

lecture du mercredi 6 juin 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Le préfet du Var a déféré M. A… B…au tribunal administratif de Toulon, comme prévenu d’une contravention de grande voirie prévue et réprimée par l’article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques, sur la base d’un procès-verbal dressé le 29 janvier 2015 constatant, sur le territoire de la commune de Saint-Raphaël, l’occupation sans autorisation du domaine public maritime par un escalier d’accès à la mer et un mur de soutènement, un escalier d’accès à un appontement en béton, une passerelle et un mât pour drapeaux et lui a demandé de condamner l’intéressé à l’amende prévue à cet effet, de lui enjoindre de libérer les lieux dans un délai de trois mois sous astreinte de 200 euros par jour de retard en autorisant l’administration, en tant que de besoin, à exécuter d’office aux frais, risques et périls du contrevenant, la remise en état des lieux, et au paiement d’une somme de 150 euros correspondant aux frais d’établissement du procès-verbal.

Par un jugement n° 1501489 du 12 janvier 2016, le tribunal administratif de Toulon a condamné M. B… à payer une amende de 1 500 euros et une somme de 150 euros au titre des frais d’établissement du procès-verbal et a enjoint à l’intéressé de libérer la surface de 32 m² qu’il occupe sans autorisation sur le domaine public maritime, de démolir les ouvrages implantés sur ces zones et de remettre les lieux dans leur état naturel dans un délai de trois mois à compter de la notification de son jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par un arrêt n° 16MA00942 du 16 mars 2017, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par M. B…contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 mai et 18 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. B… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code de procédure pénale ;
– le décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Laurent Domingo, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de M.B….

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet du Var a déféré M. A… B…au tribunal administratif de Toulon, comme prévenu d’une contravention de grande voirie prévue et réprimée par l’article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques, sur la base d’un procès-verbal dressé le 29 janvier 2015 constatant, sur le territoire de la commune de Saint-Raphaël, l’occupation sans autorisation du domaine public maritime par un escalier d’accès à la mer et un mur de soutènement, un escalier d’accès à un appontement en béton, une passerelle et un mât pour drapeaux. Par un jugement du 12 janvier 2016, le tribunal administratif de Toulon a condamné M. B…à payer une amende de 1 500 euros et une somme de 150 euros au titre des frais d’établissement du procès-verbal et lui a enjoint de libérer la surface de 32 m² qu’il occupe sans autorisation sur le domaine public maritime, de démolir les ouvrages implantés sur ces zones et de remettre les lieux dans leur état naturel dans un délai de trois mois à compter de la notification de son jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. M. B…se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 16 mars 2017 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté son appel formé contre ce jugement.

2. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 2132-2 du code général de la propriété des personnes publiques :  » Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l’amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n’appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l’intégrité ou de l’utilisation de ce domaine public, soit d’une servitude administrative mentionnée à l’article L. 2131-1 « . Aux termes du premier alinéa de l’article L. 2132-3 du même code :  » Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d’amende « . Selon l’article L. 2111-4 du même code :  » Le domaine public maritime naturel de L’Etat comprend : 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu’elle couvre et découvre jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles (…) ; 3° Les lais et relais de la mer (…) « .

3. Il résulte de ces dispositions qu’est réprimée l’implantation de constructions, ouvrages et autres aménagements sur le domaine public maritime. Celui-ci ne comprend pas la masse des eaux. Ne sont en revanche pas réprimées les implantations dans l’espace compris au-dessus du domaine public maritime, sauf s’ils font obstacle à son utilisation.

4. En déduisant de la seule circonstance que la passerelle de M. B…surplombe la mer à une hauteur d’environ 7 mètres et qu’elle se trouverait ainsi comprise  » dans l’emprise du domaine public maritime « , qu’elle devait être regardée comme un aménagement réalisé sur le domaine public maritime au sens des dispositions précitées de l’article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques, la cour a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que M. B…est fondé, en premier lieu, à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il rejette ses conclusions d’appel dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Toulon le condamnant à une amende globale de 1 500 euros au titre de l’action publique, laquelle ne présente pas, en l’espèce, un caractère divisible et réprime l’implantation de l’ensemble des ouvrages au titre desquels le contrevenant a été poursuivi. En second lieu, dès lors que l’injonction de démolir les ouvrages en litige vise chacun d’eux distinctement et que l’intéressé ne conteste cette injonction qu’en tant qu’elle concerne la passerelle, M. B…est également fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il rejette ses conclusions d’appel dirigées contre le même jugement en tant qu’il lui enjoint de démolir sa passerelle au titre de l’action domaniale.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler, dans cette mesure, l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur l’action pénale :

En ce qui concerne la réalité de l’infraction :

7. La seule présence au surplomb de la mer de la passerelle de M. B…, qui ne fait par ailleurs pas obstacle, en l’espèce, à l’utilisation du domaine public maritime, ne constitue pas une contravention de grande voirie réprimée par les dispositions de l’article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques, ni par aucune autre disposition instituant une telle contravention. En outre, il ne résulte pas de l’instruction que les parties hautes des falaises que permet de relier la passerelle de M.B…, situées à environ 7 mètres au-dessus du niveau de la mer, soient atteintes par les plus hautes mers en l’absence de perturbations météorologiques. Les piliers d’ancrage de la passerelle de M. B…ne peuvent ainsi être regardés comme installés sur le domaine public maritime et ne peuvent, dès lors, faire l’objet d’une contravention de grande voirie ni sur le fondement des dispositions de l’article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques, ni sur le fondement d’aucune autre disposition instituant une telle contravention. M. B…est, par suite, fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l’a condamné au paiement d’une amende à raison de sa passerelle.

8. Il résulte en revanche de l’instruction que l’implantation de deux escaliers, d’un appontement, d’un mur de soutènement et d’un mât pour drapeaux sur le rivage de la mer, qui appartient au domaine public maritime, constitue une contravention de grande voirie.

En ce qui concerne la prescription :

9. En vertu de l’article 9 du code de procédure pénale, la prescription de l’action publique est d’une année révolue.

10. Le délai de prescription courait à compter du 29 janvier 2015, date à laquelle le procès verbal constatant une contravention de grande voirie à raison de l’occupation sans droit ni titre du domaine public maritime a été dressé à l’encontre de M.B…. Ce dernier n’est ainsi pas fondé à soutenir que l’action publique était prescrite à la date à laquelle le tribunal administratif de Toulon a été saisi, soit le 30 avril 2015.

En ce qui concerne l’amende :

11. Dans les circonstances de l’espèce, compte-tenu du nombre et de la nature des ouvrages occupant irrégulièrement le domaine public maritime, M. B…n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon l’a condamné à l’amende prévue par les dispositions de l’article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques et celles de l’article 1er du décret du 25 février 2003, pour un montant global de 1 500 euros.

Sur l’action domaniale :

12. Il résulte de ce qui été dit ci-dessus que la passerelle appartenant à M. B… ne constitue pas un aménagement réalisé sur le domaine public maritime, ni ne fait obstacle à son utilisation. M. B…est, par suite, fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon lui a fait injonction de démolir sa passerelle.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B…est seulement fondé à demander l’annulation de l’article 2 du jugement du 12 janvier 2016 du tribunal administratif de Toulon en tant qu’il concerne la passerelle.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 16 mars 2017 est annulé, d’une part, en tant qu’il se prononce sur l’action publique et, d’autre part, en tant qu’il se prononce sur l’action domaniale relative à la passerelle.

Article 2 : L’article 2 du jugement du tribunal administratif de Toulon du 12 janvier 2016 est annulé en tant qu’il concerne la passerelle.

Article 3 : L’Etat versera à M. B…une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi et des conclusions d’appel de M. B… est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M.A… B… et au ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.

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