Dans une zone agricole (NC), un POS peut interdire la construction de la maison de l’exploitant agricole (l’agriculteur).
Conseil d’État
N° 331671
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
1ère et 6ème sous-sections réunies
M. Arrighi de Casanova, président
M. Jean Lessi, rapporteur
Mme Vialettes Maud, commissaire du gouvernement
SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats
lecture du mercredi 15 décembre 2010
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 septembre et 7 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. et Mme A, demeurant … ; M. et Mme A demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 07MA04252 du 2 juillet 2009 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille, à la demande de la commune de Saussines, a, d’une part, annulé le jugement n° 0405488 du tribunal administratif de Montpellier du 2 juillet 2007 annulant l’arrêté du 2 août 2004 du maire de cette commune refusant de leur délivrer un permis de construire une habitation et, d’autre part, rejeté la demande d’annulation de cet arrêté ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la commune de Saussines ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saussines le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Jean Lessi, Auditeur,
– les observations de la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de M. et Mme A et de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune de Saussines,
– les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de M. et Mme A et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune de Saussines ;
Considérant que si un permis de construire ne constitue pas un acte d’application de la réglementation d’urbanisme en vigueur et si, par suite, un requérant demandant son annulation ne saurait utilement se borner à soutenir, pour l’obtenir, qu’il a été délivré sous l’empire d’un document d’urbanisme illégal, mais doit faire valoir, en outre, que ce permis méconnaît les dispositions d’urbanisme pertinentes remises en vigueur en application de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, cette règle ne s’applique pas au refus de permis de construire, lorsqu’il trouve son fondement dans un document d’urbanisme ; que, dans ce cas, l’annulation ou l’illégalité de ce document d’urbanisme entraîne l’annulation du refus de permis de construire pris sur son fondement, sauf au juge à procéder, le cas échéant, à une substitution de base légale ou de motifs dans les conditions de droit commun ;
Considérant que, pour annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 2 juillet 2007 et rejeter les conclusions de M. et Mme A tendant à l’annulation du refus opposé par le maire de Saussines, sur le fondement de l’article 2 du règlement de la zone NC du plan d’occupation des sols de la commune, à leur demande de permis de construire une habitation sur une parcelle leur appartenant, la cour administrative d’appel de Marseille s’est fondée sur ce que ce refus ne constituait pas un acte d’application du plan d’occupation des sols, dont l’illégalité ne pouvait donc utilement être invoquée par voie d’exception ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’en statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, pour ce motif, être annulé ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. et Mme A :
Considérant que le maire de Saussines a reçu délégation du conseil municipal pour ester en justice au nom de la commune, sur le fondement de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales ; que, par suite, l’appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 2 juillet 2007 est recevable ;
Sur la légalité du refus de permis de construire :
Considérant que M. et Mme A, qui exploitent depuis 1998 un élevage de porcs naisseurs sur une parcelle située dans la zone NC du plan d’occupation des sols de Saussines, ont sollicité la délivrance d’un permis de construire une habitation sur cette parcelle, afin d’assurer le fonctionnement de cette exploitation agricole et de mettre fin aux vols dont ils indiquent avoir été victimes ;
Considérant qu’en vertu de l’article 1er du règlement de la zone NC du plan d’occupation des sols de la commune de Saussines, approuvé le 3 mai 2000, y sont notamment admises les constructions des bâtiments d’exploitation destinés au logement des récoltes, du matériel agricole, et les équipements nécessaires à l’exploitation ; qu’y sont en revanche interdites, en vertu de son article 2, les occupations et utilisations du sol non mentionnées à l’article 1er, notamment les mazets, les habitations, même liées au gardiennage des exploitations ;
Considérant qu’il ressort de ce règlement et du rapport de présentation du plan d’occupation des sols que la commune de Saussines a entendu, compte tenu de la présence de nombreux hangars agricoles vides dans le village , éviter que de pseudo-agriculteurs rachètent des terres et s’installent, puis abandonnent leur activité agricole , conduisant à une prolifération des habitations sans retombée économique pour la commune ; que la règle d’interdiction litigieuse, d’ailleurs analogue à celle qui est prévue dans la zone ND, s’applique à toutes les habitations, et non seulement à celles qui sont liées au gardiennage des exploitations, et s’étend à l’ensemble des parcelles de la zone NC où, contrairement à ce qu’a énoncé le tribunal administratif de Montpellier, plusieurs autres exploitations agricoles que celles de M. et Mme A étaient déjà installées à la date à laquelle elle a été édictée ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que cette disposition aurait ainsi été motivée par la poursuite d’un but étranger à l’intérêt général, en particulier la volonté de faire obstacle à l’installation de M. et Mme A dans la commune ; que, par suite, c’est à tort que le tribunal administratif s’est fondé, sans toutefois soulever ce moyen d’office, sur le détournement de pouvoir dont serait entaché l’article 2 du règlement de la zone NC du plan d’occupation des sols de la commune pour annuler le refus de permis de construire attaqué ;
Considérant qu’il y a lieu pour le Conseil d’Etat, saisi par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés en première instance par M. et Mme A ;
Considérant, en premier lieu, que la circonstance que la communication des avis émis sur la demande de permis de construire de M. et Mme A par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales et la direction départementale de l’agriculture et de la forêt, au demeurant sollicitée postérieurement au refus litigieux, leur a été refusée par le maire de Saussines et que le dossier de demande qu’ils ont déposé leur aurait été restitué de manière incomplète est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ;
Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article R. 123-18 du code de l’urbanisme, alors en vigueur : I – Les documents graphiques doivent faire apparaître les zones urbaines et les zones naturelles. Ces zones (…) sont : (…) / 2. Les zones naturelles, équipées ou non, dans lesquelles les règles et coefficients mentionnés ci-dessus peuvent exprimer l’interdiction de construire. / Ces zones naturelles comprennent en tant que de besoin : (…) / c) Les zones de richesses naturelles, dites Zones NC , à protéger en raison notamment de la valeur agricole des terres ou de la richesse du sol ou du sous-sol ; que l’article R. 123-21, applicable en l’espèce, dispose que le règlement du plan d’occupation des sols détermine l’affectation dominante des sols par zones selon les catégories prévues à l’article R. 123-18 en précisant l’usage principal qui peut en être fait et, s’il y a lieu, la nature des activités qui peuvent y être interdites ou soumises à des conditions particulières ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par l’article 2 du règlement de la zone NC de son plan d’occupation des sols, la commune de Saussines a entendu y interdire la construction d’habitations nouvelles, même liées à des exploitations agricoles, afin notamment de prévenir, autour des hangars agricoles édifiés dans cette zone, le développement de l’urbanisation ; que cette disposition ne méconnaît pas l’article R. 123-18 du code de l’urbanisme cité ci-dessus, lequel permet de prévoir une interdiction de construire sur des terres à protéger en raison de leur valeur agricole ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le refus opposé à M. et Mme A serait illégal comme étant fondé sur un document d’urbanisme lui-même illégal ne peut qu’être écarté ; que le maire a pu légalement se fonder sur les dispositions de l’article 2 de ce règlement pour refuser le permis sollicité, alors même que la construction de l’habitation que projetaient les pétitionnaires aurait été nécessaire à leur exploitation agricole ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune de Saussines est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision de refus de son maire du 2 août 2004 ;
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Saussines, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre une somme à ce même titre à la charge de M. et Mme A ;
D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt n° 07MA04252 de la cour administrative d’appel de Marseille du 2 juillet 2009 et le jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 0405488 du 2 juillet 2007 sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions présentées par M. et Mme A est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Saussines au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A et à la commune de Saussines.
Copie en sera adressée pour information à la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.