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Expropriation : quid de l’appréciation de l’objet réel par le juge administratif ?

Conseil d’État

N° 392181   
Inédit au recueil Lebon
6ème – 1ère chambres réunies
Mme Marie-Françoise Guilhemsans, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats

lecture du vendredi 17 mars 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

M. A…B…a demandé au tribunal administratif de Caen d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 2 septembre 2012 par lequel le préfet de la Manche a déclaré d’utilité publique le projet d’aménagement de la zone du Taillais sur les communes de Granville et Yquelon, la décision implicite rejetant son recours gracieux contre cet arrêté et l’arrêté du 25 octobre 2012 par lequel le préfet de la Manche a déclaré cessibles, au profit de la communauté de communes du pays Granvillais, ses parcelles cadastrées n° AE54, AE 66 et AE 68 à Yquelon et sa parcelle n° BV8 à Granville. Par un jugement n° 1202526, 1202527, 1300359, 1300360 du 21 novembre 2013, le tribunal administratif a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 14NT00092 du 29 mai 2015, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé ce jugement ainsi que les arrêtés et la décision implicite contestés.

1° Sous le n° 392181, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 29 juillet 2015, 23 octobre 2015 et 11 octobre 2016, la communauté de communes Granville Terre et Mer demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête de M. B…;

3°) de mettre à la charge de M. B…la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 392189, par un pourvoi, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 30 juillet 2015, le ministre de l’intérieur demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête de M.B….

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
– le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Marie-Françoise Guilhemsans, conseiller d’Etat,

– les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la communauté de communes Granville Terre et Mer, et à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. B…et autres.

1. Considérant que les pourvois de la communauté de communes Granville Terre et Mer et du ministre de l’intérieur sont dirigés contre le même arrêt ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;

2. Considérant que la communauté de communes Granville Terre et Mer et le ministre de l’intérieur demandent l’annulation de l’arrêt du 29 mai 2015 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a, sur la requête de M.B…, annulé pour excès de pouvoir l’arrêté du 2 septembre 2012 par lequel le préfet de la Manche a déclaré d’utilité publique le projet d’aménagement de la zone du Taillais sur les communes de Granville et Yquelon, la décision implicite rejetant son recours gracieux contre cet arrêté, et l’arrêté du 25 octobre 2012 par lequel le préfet de la Manche a déclaré cessibles, au profit de la communauté de communes du pays Granvillais, des parcelles lui appartenant dans cette zone ;

3. Considérant qu’aux termes de l’article R. 11-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, applicable au présent litige :  » L’expropriant adresse au préfet pour être soumis à l’enquête un dossier qui comprend obligatoirement : / I. – Lorsque la déclaration d’utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d’ouvrages : / 1° Une notice explicative ; / 2° Le plan de situation ; / 3° Le plan général des travaux ; / 4° Les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ; / 5° L’appréciation sommaire des dépenses ; (…) / II. – Lorsque la déclaration d’utilité publique est demandée en vue de l’acquisition d’immeubles, ou lorsqu’elle est demandée en vue de la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’urbanisme importante et qu’il est nécessaire de procéder à l’acquisition des immeubles avant que le projet n’ait pu être établi : / 1° Une notice explicative ; / 2° Le plan de situation ; / 3° Le périmètre délimitant les immeubles à exproprier ; / 4° L’estimation sommaire des acquisitions à réaliser. / Dans les cas prévus aux I et II ci-dessus, la notice explicative indique l’objet de l’opération et les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de l’insertion dans l’environnement, parmi les partis envisagés, le projet soumis à l’enquête a été retenu (…)  » ;

4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la communauté de communes du pays Granvillais a demandé au préfet de la Manche de déclarer d’utilité publique un projet d’acquisitions et de travaux nécessaires à l’aménagement de la zone d’activités du Taillais, sur le territoire des communes de Granville et Yquelon, en vue, d’une part, de la mise en place d’une nouvelle zone d’activité commerciale complétant celle existant à proximité et de la réalisation d’aménagements de nature à améliorer la circulation routière dans ce secteur, d’autre part, d’une nouvelle implantation plus pérenne et plus sécurisée de centre de secours des sapeurs-pompiers de Granville, que le service départemental d’incendie et de secours de la Manche souhaitait déplacer ; que c’est par une appréciation souveraine, exempte de dénaturation nonobstant l’erreur affectant le montant des coûts de l’acquisition des terrains et des travaux de viabilisation indiqué dans l’arrêt, que la cour administrative d’appel de Nantes a jugé que si, selon son intitulé, la déclaration d’utilité publique litigieuse porte sur la réalisation d’une zone d’activité, il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que l’opération déclarée d’utilité publique était en réalité essentiellement destinée à accueillir le nouveau centre de secours des sapeurs pompiers ;

5. Considérant que les aménagements nécessaires à la création de cette zone d’activités, ainsi que leur coût étant connus à la date de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique de la zone d’activités du Taillais, le dossier de cette enquête devait être constitué dans les conditions prévues au I de l’article R. 11-3, précité, du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, et non, comme le soutient le ministre de l’intérieur, dans celles prévues au II de cet article ; qu’à ce titre, il devait comporter une appréciation sommaire des dépenses nécessaires à la réalisation du projet qu’il était envisagé de déclarer d’utilité publique ; qu’il résulte de l’appréciation portée par la cour sur la nature de l’objet principal de l’opération envisagée que son utilité publique était subordonnée à celle de la construction du nouveau centre de secours de Granville, dont le coût était l’un des éléments d’appréciation ; que, dès lors, ce coût, qui était connu à la date de l’enquête, devait figurer dans l’appréciation sommaire des dépenses du projet d’aménagement de cette zone d’activités ;

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la communauté de communes de Granville Terre et Mer et le ministre de l’intérieur ne sont pas fondés à soutenir que la cour administrative d’appel de Nantes, dont l’arrêt est suffisamment motivé, a commis une erreur de droit en jugeant que l’arrêté du 4 septembre 2012 déclarant d’utilité publique les acquisitions de terrains et les aménagements nécessaires à la réalisation de la zone d’activités du Taillais avait été pris à l’issue d’une procédure irrégulière, faute que le coût des travaux de réalisation du centre de secours ait été pris en compte dans l’estimation sommaire des dépenses figurant au dossier soumis à enquête publique ; que, dès lors, leurs pourvois doivent être rejetés ;

7. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées par la communauté de communes Granville Terre et Mer soient mises à la charge des ayant-droits de M.B…, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de la communauté de communes Granville Terre et Mer et du ministre de l’intérieur sont rejetés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la communauté de communes de Granville Terre et Mer, au ministre de l’intérieur et, pour l’ensemble des défendeurs, à M. C…B…, premier dénommé.

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