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Expropriation : rétrocession d’un immeuble démoli, possible ou pas ? (oui)

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 17 décembre 2014
N° de pourvoi: 13-18990
Publié au bulletin Rejet

M. Terrier (président), président
SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 14 mars 2013), que la parcelle bâtie BJ 150, expropriée au profit de la commune de Drancy n’ayant pas reçu la destination prévue par la déclaration d’utilité publique, la société civile immobilière Jacpat (la SCI) a assigné la commune afin de voir reconnaître son droit à rétrocession ; que les bâtiments ayant été détruits par l’expropriant, la SCI a sollicité des dommages-intérêts en réparation, notamment, du préjudice résultant de l’impossibilité de procéder à cette rétrocession ;

Sur le premier moyen pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que la société Jacpat fait grief à l’arrêt de dire que la rétrocession est possible et que le prix sera fixé à l’amiable ou à défaut par le juge de l’expropriation, alors, selon le moyen, que :

1°/ la rétrocession en nature d’un bien détruit étant impossible, l’administration doit, dans une telle hypothèse, procéder à une rétrocession par équivalent ; qu’en retenant néanmoins, pour débouter la société Jacpat de sa demande en rétrocession par équivalent, qu’une rétrocession en nature était possible, cependant qu’elle avait constaté que l’administration avait, après expropriation, détruit les immeubles situés sur le terrain, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article L. 12-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;

2°/ en retenant qu’une rétrocession en nature était possible, par la considération que les immeubles détruits par l’administration n’étaient pas exploités au moment de l’expropriation, sans répondre aux conclusions par lesquelles la société Jacpat faisait valoir que c’était précisément l’engagement de la procédure d’expropriation deux ans avant l’expropriation effective qui avait définitivement empêché toute exploitation des immeubles situés sur son terrain, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d’appel a exactement retenu, abstraction faite de motifs surabondants relatifs à l’état du bien à la date de l’ordonnance d’expropriation, que la démolition de l’immeuble construit sur la parcelle ne rendait pas impossible la rétrocession ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les autres moyens qui ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la SCI Jacpat aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SCI Jacpat à payer à la commune de Drancy la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de la SCI Jacpat ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept décembre deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, avocat aux Conseils, pour la SCI Jacpat.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l’arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, D’AVOIR dit que la rétrocession était possible et que le prix de la rétrocession serait fixé par accord amiable ou, à défaut, par le juge de l’expropriation ;

AUX MOTIFS QUE sur la possibilité de la rétrocession, bien que la parcelle BJ 150 expropriée ait fait l’objet de divisions cadastrales successives, celles-ci ne mettaient pas obstacle à la rétrocession en nature du terrain exproprié à la condition que son emprise puisse se retrouver libre d’empiétement ; qu’à cet égard, l’expert judiciaire nommé à cette fin, avait conclu que l’emprise de l’ancienne parcelle cadastrée BJ 150 pouvait être rétrocédée à la société Jacpat ; qu’il avait relevé que cette parcelle, qui abritait une ancienne caserne de pompiers détruite en 1997, consistait, à la date de l’expertise, en un terrain nu dont la superficie initiale était de 1. 338 mètres carrés avec un développement de façade de 30, 50 mètres sur une profondeur de 44 mètres ; que l’homme de l’art avait indiqué qu’à la suite de l’édification d’un ensemble immobilier sur la parcelle contiguë, la parcelle BJ 150 avait subi une suppression de terrain par la création d’une parcelle BJ 199 constituée d’un terrain nu appartenant à la mairie, qui pouvait être rétrocédée, et par l’intégration d’une partie de sa surface dans la parcelle BJ 192 qui, propriété de la commune, pouvait également être rétrocédée ; que, s’agissant des divisions cadastrales, dans un premier temps, la parcelle BJ 150 avait été réunie à la parcelle voisine BJ 133 pour être renumérotée BJ 189 pour être à nouveau divisée en quatre parcelles numérotées BJ 190, 191, 192 et 193 ; que, par la suite, la parcelle BJ 190 avait été divisée en deux parcelles, cadastrées respectivement BJ 198 et BJ 199, tandis que la parcelle BJ 191 était également divisée en deux parcelles cadastrées BJ 201 (correspondant à une partie de l’ancienne parcelle BJ 150) et BJ 199 ; que, par acte authentique du 11 juillet 2006 qui relatait les divisions précitées au titre de l’origine de propriété, la commune de Drancy avait vendu à la société Kaufman & Broad, d’une part, un terrain à bâtir cadastré BJ 198 et BJ 200, d’autre part, un volume à bâtir dépendant d’un ensemble immobilier cadastré BJ 193 ; qu’ainsi, il ressortait des constatations de l’expert, des plans cadastraux à la suite des divisions successives, de l’acte de vente du 11 juillet 2006, que la surface de l’ancienne parcelle BJ 150, qui n’avait pas été vendue par la commune à un tiers, pouvait être reconstituée et rétrocédée ; qu’en ce qui concernait le tréfonds de la parcelle BJ 150, monsieur X…, avec l’aide d’un sapiteur, monsieur Alain Y…, géomètre-expert, n’avait pas constaté d’empiétement sur le tréfonds lié à l’extension de l’école située sur la parcelle voisine, la seule incertitude qui subsistait résidant dans l’épaisseur du mur pignon en tréfonds et des fondations ; que le sapiteur avait précisé qu’à supposer que cet empiétement existât, incertitude qui ne pouvait être levée que par un affouillement coûteux, il serait en infrastructure au maximum de 30 centimètres ; que, dès lors, il y avait lieu de dire qu’il n’existait pas d’empiétement faisant obstacle à la rétrocession du terrain ; que, sur la conséquence de la démolition des bâtiments en 1997, antérieurement à l’expropriation du 28 février 1995, la préfecture de police avait résilié par lettre du 20 janvier 1993, le bail de ces locaux utilisés à usage de caserne de pompiers ; que le constat dressé par huissier de justice le 11 mai 1993, à la demande de la société Jacpat en l’absence de la préfecture de police, qui mentionnait que le « bâtiment sembl ait avoir été détérioré pour ne pas pouvoir être utilisé ultérieurement » était insuffisant à établir que, comme l’affirmait la société Jacpat, la préfecture aurait volontairement détérioré les locaux qui n’auraient été libérés que pour favoriser le projet d’expropriation de la commune ; qu’il ressortait du rapport de l’administration des Domaines du 30 décembre 1992, que les bâtiments étaient délabrés, vétustes et non exploités à la date de l’expropriation, que le procès-verbal de constat dressé le 28 septembre 1995, soit à une période à laquelle la société Jacpat avait conservé la garde des immeubles dans l’attente de la fixation de l’indemnité d’expropriation, corroborait ce mauvais état ; que ces constatations n’étaient pas contredites par le procès-verbal de visite du 25 octobre 1995 cité par le jugement du 16 janvier 1996 relatant l’état d’abandon du bâtiment, même si la Cour dans son arrêt du 7 novembre 1996 avait attribué une valeur économique aux constructions en raison de leur solidité ; qu’ainsi, la société Jacpat, qui n’exploitait plus les bâtiments et ne les avait pas remis en état, ne pouvait utilement soutenir que la transformation de la parcelle en terrain nu la rendrait non conforme à l’usage qui en était fait par elle, rendant impossible la rétrocession ; qu’en conséquence, il convenait de dire que rien ne s’opposait à la rétrocession laquelle était donc possible, de sorte que, d’une part, la demande de dommages-intérêts de la société Jacpat devait être rejetée, d’autre part, il y avait lieu de dire, comme le demandait la commune de Drancy, que le prix de la rétrocession serait fixé par accord amiable ou, à défaut, par le juge de l’expropriation (arrêt, p. 4, § § 2 à 9, p. 5, § § 1 à 4) ;

ALORS, EN PREMIER LIEU, QUE la rétrocession en nature d’un bien détruit étant impossible, l’administration doit, dans une telle hypothèse, procéder à une rétrocession par équivalent ; qu’en retenant néanmoins, pour débouter la société Jacpat de sa demande en rétrocession par équivalent, qu’une rétrocession en nature était possible, cependant qu’elle avait constaté que l’administration avait, après expropriation, détruit les immeubles situés sur le terrain, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article L. 12-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;

ALORS, EN DEUXIEME LIEU, QU’en retenant qu’une retrocession en nature était possible, par la considération que les immeubles détruits par l’administration n’étaient pas exploités au moment de l’expropriation, sans répondre aux conclusions par lesquelles la société Jacpat faisait valoir (p. 12, § 4) que c’était précisément l’engagement de la procédure d’expropriation deux ans avant l’expropriation effective qui avait définitivement empêché toute exploitation des immeubles situés sur son terrain, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

ALORS, EN TROISIEME LIEU, QUE la rétrocession en nature est impossible lorsque le bien exproprié fait l’objet d’un empiètement, si minime soit-il ; qu’en retenant au contraire que l’empiètement dont le bien exproprié était susceptible de faire l’objet n’était pas de nature à faire obstacle à la rétrocession, par la considération que ledit empiètement était minime, la cour d’appel a violé l’article L. 12-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l’arrêt attaqué D’AVOIR débouté la société Jacpat, expropriée, de ses demandes en dommages-intérêts pour impossibilité de rétrocession, pour expropriation abusive et pour comportement abusif dans le cadre du droit de rétrocession ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE rien ne s’opposait à la rétrocession, laquelle était donc possible, de sorte que, d’une part, la demande de dommages-intérêts de la société Jacpat devait être rejetée, d’autre part, il y avait lieu de dire, comme le demandait la commune de Drancy, que le prix de la rétrocession serait fixé par accord amiable ou, à défaut, par le juge de l’expropriation ; que sur la demande de dommages-intérêts de la société Jacpat pour expropriation abusive, si la parcelle litigieuse n’avait pas reçu la destination prévue par la déclaration d’utilité publique, cependant, cet état de fait, qui n’était pas en lui-même fautif, n’avait pas été caché à l’expropriée, la commune l’en ayant avertie, une première fois, le 20 décembre 2004, l’informant de son souhait de pouvoir en disposer librement et d’obtenir la purge du droit de rétrocession, puis, en l’absence de réponse de la société Jacpat, une seconde fois par lettre du 28 février 2005 ; que la réalisation en 2006 d’un projet immobilier sur les terrains voisins de la parcelle expropriée ne manifestait pas un détournement de la procédure d’expropriation ; qu’en conséquence, la demande de la société Jacpat serait rejetée ; qu’il se déduisait de ce qui venait d’être dit que l’existence d’un dol commis par la commune dans le cadre du droit de rétrocession n’était pas établie, de sorte que la société Jacpat serait déboutée de sa demande de dommages-intérêts de ce chef (arrêt, p. 5, § § 3 à 5) ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE sur la demande de dommage intérêts au visa de l’article 1382 du code civil, le demandeur arguait d’un détournement de procédure précisant que les intentions de la commune n’avaient jamais été de réaliser un programme d’utilité publique ; que la chronologie des faits permettait d’écarter cet argument ; qu’en effet rien ne permettait de démontrer que l’opération d’expropriation menée en 1993 en vue de l’extension d’une école cachait l’intention de céder le terrain en 2006 pour profiter de la hausse des prix de l’immobilier ; qu’en conséquence, en l’absence de démonstration d’un intention malicieuse de la commune, la demande de dommages-intérêts ne pouvait prospérer plus avant (jugement, p. 7, § § 1 à 5) ;

ALORS QUE la cassation à intervenir sur le premier moyen du présent pourvoi, du chef de la possibilité d’une rétrocession, emportera par voie de conséquence cassation du chef du rejet des demandes indemnitaires formées par la société expropriée, en l’état du lien de dépendance nécessaire unissant les diverses dispositions concernée, conformément à l’article 624 du code de procédure civile ;

ALORS, DE SURCROIT, QUE commet un abus de droit la collectivité publique qui engage une procédure d’expropriation en considération d’un projet d’utilité publique qu’elle n’a en réalité jamais eu l’intention de mener à bien et c’est à ladite collectivité, assignée en réparation du préjudice causé par un tel éventuel abus, qu’il incombe de prouver qu’elle a effectué des actes concrets ou pris des décisions préparatoires en vue d’une réalisation effective du projet ; qu’en l’état de conclusions (pp. 26 et 27) par lesquelles la société Jacpat, expropriée, avait fait valoir que la commune expropriante n’avait jamais eu la réelle intention de mener à terme le projet d’extension d’une école maternelle visé au soutien de la procédure d’expropriation et que cette procédure était donc abusive, la cour d’appel, qui a seulement retenu qu’il n’aurait pas été démontré que l’opération d’expropriation menée en 1993 cachait l’intention de la commune de céder le terrain en 2006 pour profiter de la hausse du prix de l’immobilier, et qui n’a pas recherché, comme elle y était invitée par les écritures susvisées de l’expropriée, si la commune justifiait du moindre acte concret attestant sa volonté réelle initiale de réaliser le projet, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 12-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

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