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Occupation irrégulière du domaine public : comment liquider l’astreinte ?

Cour Administrative d’Appel de Marseille

N° 12MA02132   
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre – formation à 3
M. BEDIER, président
M. René CHANON, rapporteur
M. DELIANCOURT, rapporteur public
CABINET NATIVI-ROUSSEAU, avocat

lecture du mardi 11 février 2014

REPUBLIQUE FRANCAISEAU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu I°), sous le n° 12MA02132, la requête, enregistrée le 29 mai 2012, présentée pour M. A… B…, demeurant…, par MeC… ;

M. B… demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1200048 du 12 avril 2012 par lequel le tribunal administratif de Bastia, sur la demande du préfet de la Corse-du-Sud, l’a condamné à verser à l’Etat la somme de 88 575 euros au titre de la liquidation de l’astreinte prononcée à son encontre par un jugement du 28 juin 2004, pour la période du 12 juin 2008 au 7 septembre 2011 inclus ;

2°) de rejeter la demande présentée par le préfet de la Corse-du-Sud devant le tribunal administratif de Bastia ;

3°) à titre subsidiaire, de réformer le jugement en liquidant l’astreinte sur le fondement d’un montant journalier de 25 euros ;
………………………………………………………………………………………

Vu II°), sous le n° 13MA03248, la requête, enregistrée le 5 août 2013, présentée pour M. A… B…, demeurant…, par MeC… ;

M. B… demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1300403 du 18 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Bastia, sur la demande du préfet de la Corse-du-Sud, l’a condamné à verser à l’Etat la somme de 43 425 euros au titre de la liquidation de l’astreinte prononcée à son encontre par un jugement du 28 juin 2004, pour la période du 8 septembre 2011 au 9 avril 2013 inclus ;

2°) de rejeter la demande présentée par le préfet de la Corse-du-Sud devant le tribunal administratif de Bastia ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
……………………………………………………………………………………..

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu la Constitution ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 21 janvier 2014 :

– le rapport de M. Chanon, premier conseiller ;

– les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public ;

– et les observations de M. B… ;

1. Considérant que les requêtes n° 12MA02132 et 13MA03248 présentées pour M. B… présentent à juger des questions semblables et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

2. Considérant que M. B… a bénéficié, jusqu’au 31 décembre 2003, d’une autorisation d’occuper temporairement le domaine public maritime au droit de sa propriété, située sur le territoire de la commune de Bonifacio, lieu-dit  » Piantarella « , pour un emplacement total de 67,80 m² servant d’assiette à un appontement (18,29 m²), une terrasse (32,45 m²), un escalier (2,13 m²) et une cale de mise à l’eau (14,97 m²) ; que, par jugement du 28 juin 2004, le tribunal administratif de Bastia, saisi d’un procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 26 janvier 2004 par le préfet de la Corse-du-Sud, a condamné M. B…à remettre dans leur état primitif les lieux occupés sans titre sur le domaine public maritime, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 75 euros par jour de retard ; que, par arrêt du 27 février 2006 devenu définitif, la Cour a confirmé ce jugement, sauf en tant que la condamnation était relative à la terrasse ; que, par jugement devenu définitif du 28 juillet 2006, le tribunal a liquidé l’astreinte à la somme de 6 000 euros pour la période du 7 mars 2005 au 1er juin 2005, au motif que M. B…ne justifiait pas avoir évacué du domaine public maritime l’escalier, la cale de mise à l’eau et l’appontement ; que, par arrêt devenu définitif du 30 mai 2011, la Cour, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 mai 2009, a liquidé l’astreinte à la somme de 22 120 euros pour la période du 2 juin 2005 au 11 juin 2008, après avoir relevé que seul l’escalier avait été démonté ; que, par jugements des 12 avril 2012 et 18 juillet 2013, le tribunal a liquidé l’astreinte aux sommes respectives de 88 575 euros pour la période du 12 juin 2008 au 7 septembre 2011 inclus et de 43 425 euros pour la période du 8 septembre 2011 au 9 avril 2013 inclus ; que M. B… relève appel de ces deux derniers jugements ;
Sur la régularité des jugements :
3. Considérant que le juge de la liquidation est tenu par le jugement ayant prononcé l’injonction sous astreinte ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce que les juridictions administratives ne détiennent pas le pouvoir de prononcer une astreinte à l’encontre d’un particulier était inopérant, le tribunal n’étant dès lors pas tenu d’y répondre ; que, s’agissant du pouvoir de liquidation de l’astreinte, les premiers juges, qui se sont expressément fondés sur les dispositions des articles L. 911-7 et R. 921-7 du code de justice administrative, ont implicitement mais nécessairement écarté le même moyen ; que, par suite, le tribunal n’a pas entaché les jugements d’irrégularité ;
Sur la liquidation de l’astreinte :
En ce qui concerne les moyens communs soulevés à l’encontre des deux jugements :

4. Considérant, en premier lieu, que la faculté reconnue aux juges, et notamment au juge administratif, de prononcer une astreinte à l’encontre d’un particulier, en vue de l’exécution de leurs décisions, a le caractère d’un principe général du droit ; qu’il en va de même, par voie de conséquence, de la faculté de liquider l’astreinte prononcée ; que la faculté de prononcer une astreinte, puis de la liquider, ne constitue pas une sanction financière ayant le caractère d’une punition et ne relève pas de l’action pénale ; qu’eu égard à sa nature, d’une part, elle ne méconnaît aucune disposition à valeur constitutionnelle, et en particulier n’empiète pas sur le pouvoir législatif, protégé notamment par l’article 34 de la Constitution, dès lors qu’aucune disposition législative ne détermine ou ne restreint ses limites, et, d’autre part, elle ne porte pas atteinte à la propriété privée en violation de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le juge administratif ne dispose pas du pouvoir de prononcer et de liquider une astreinte à l’encontre d’un particulier ne peut être accueilli ;

5. Considérant, en second lieu, que, comme il a été dit au point 3, le juge de la liquidation est tenu par le jugement ayant prononcé l’injonction sous astreinte ; que, par suite, M. B… ne peut utilement soutenir, dans les présentes instances, qu’il n’a jamais fait l’objet d’une condamnation pénale pour contravention de grande voirie, que le domaine public maritime n’a pas fait l’objet d’un arrêté de délimitation au droit de sa propriété ou que la présence du ponton lui est étrangère ; qu’il ne peut davantage se prévaloir utilement de ce que la liquidation d’astreinte serait en contradiction flagrante avec le jugement du tribunal administratif de Bastia en date du 29 décembre 2011, lequel est relatif à un procès-verbal de contravention de grande voirie en date du 27 septembre 2011 distinct de celui ayant servi de fondement au jugement du 28 juin 2004 ;

En ce qui concerne la période du 12 juin 2008 au 7 septembre 2011 inclus :

6. Considérant qu’un agent assermenté de l’administration a constaté, le 7 septembre 2011, que la cale de mise à l’eau et l’appontement étaient toujours présents sur le domaine public maritime ; que ce constat ne saurait être regardé comme visant une nouvelle contravention de grande voirie mais seulement comme contrôlant l’exécution du jugement du 28 juin 2004 ; qu’aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe, n’imposait que les photographies jointes à ce constat soient communiquées à M. B… par le préfet de la Corse-du-Sud avant qu’il ne saisisse les premiers juges d’une demande de liquidation ; que le contrevenant, qui ne conteste pas que l’appontement n’a pas été démoli, ne rapporte pas la preuve de ce que le jugement a été exécuté s’agissant du rail amovible de mise à l’eau en se bornant à soutenir sans l’établir qu’il n’était pas matériellement possible de prendre les photographies aux heures mentionnées ;

7. Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, l’arrêt de la Cour du 30 mai 2011 n’a pas réduit le montant de l’astreinte mais a seulement réduit le taux journalier appliqué pour la période qui lui était soumise, au regard des circonstances de l’espèce, au demeurant en indiquant expressément que l’astreinte provisoire continuait à courir, au taux journalier initial de 75 euros, à compter du 12 juin 2008 jusqu’à exécution complète du jugement ; qu’eu égard à l’absence de diligence du contrevenant et à l’intérêt qui s’attache à la remise en état du domaine public maritime, c’est à juste titre que les premiers juges ont liquidé l’astreinte selon le taux journalier de 75 euros fixé par le jugement du 28 juin 2004 ;
En ce qui concerne la période du 8 septembre 2011 au 9 avril 2013 inclus :

8. Considérant qu’il résulte de l’instruction que le rail de mise à l’eau amovible n’était pas présent sur le domaine public maritime à la date du constat du 9 avril 2013 ; que, toutefois, l’appontement était encore en place ; que le jugement n’était donc toujours pas complètement exécuté ; que, toutefois, eu égard à l’exécution partielle de ce jugement, il y a lieu de ramener à 20 euros le taux journalier de l’amende pour la période en cause, l’astreinte provisoire continuant à courir, au taux journalier initial de 75 euros, à compter du 10 avril 2013 jusqu’à exécution complète du jugement ; que, par suite, l’astreinte doit être liquidée pour cette période à la somme de 11 580 euros ;
9. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. B… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le premier jugement attaqué du 12 avril 2012, le tribunal administratif de Bastia a liquidé l’astreinte à la somme de 88 575 euros pour la période du 12 juin 2008 au 7 septembre 2011 inclus ; que, s’agissant du second jugement attaqué du 18 juillet 2013, M. B… est seulement fondé à soutenir que l’astreinte doit être ramenée à la somme de 11 580 euros pour la période du 8 septembre 2011 au 9 avril 2013 inclus ; que, dans les circonstances de l’espèce, les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative dans l’instance 13MA03248 doivent être rejetées ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête n° 12MA02132 présentée par M. B… est rejetée.
Article 2 : La somme que M. B… a été condamné à verser à l’Etat par le jugement du 18 juillet 2013 est ramenée à 11 580 euros.
Article 3 : L’article 1er du jugement du 18 juillet 2013 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête n° 13MA03248 présentée par M. B…est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… B…et au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

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