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Permis de construire obtenu par fraude : un permis de construire modificatif ne peut pas régulariser la situation !

Conseil d’État – 1ère – 4ème chambres réunies
N° 499971
ECLI:FR:CECHR:2025:499971.20251001
Inédit au recueil Lebon
Lecture du mercredi 01 octobre 2025
Rapporteur
Mme Claire Legras
Rapporteur public
M. Thomas Janicot
Avocat(s)
SCP FOUSSARD, FROGER
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. E… A… a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Caen, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-4 du code de justice administrative, de mettre fin à la suspension de l’exécution de l’arrêté du 11 décembre 2023 par lequel la maire de Saint-Pair-sur-Mer (Manche) lui a délivré un permis de construire portant sur la réalisation d’une maison individuelle, qui avait été prononcée par une ordonnance n° 2400660 du 2 avril 2024 du juge des référés du même tribunal saisi par Mme D… C…, M. B… C… et la société civile immobilière Treetops. Par une ordonnance n° 2402908 du 4 décembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 décembre 2024 et 7 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme C…, M. C… et la société Treetops demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la requête de M. A… ;

3°) de mettre à la charge, solidairement, de M. A… et de la commune de Saint-Pair-sur-Mer la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Claire Legras, conseillère d’Etat,
– les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat des consorts C… et autre ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Caen que ce dernier, saisi par Mme C…, M. C… et la société Treetops, a, par une ordonnance du 2 avril 2024 prise sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, suspendu l’exécution de l’arrêté du 11 décembre 2023 par lequel la maire de Saint-Pair-sur-Mer a délivré à M. A… un permis de construire portant sur la réalisation d’une maison individuelle. Par un arrêté du 19 juillet 2024, la maire de Saint-Pair-sur-Mer a délivré à M. A… un permis de construire modificatif en vue de régulariser le vice retenu par l’ordonnance du 2 avril 2024. A la suite de la délivrance de ce permis, M. A… a, sur le fondement de l’article L. 521-4 du code de justice administrative, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Caen d’une demande tendant à ce qu’il soit mis fin à la suspension prononcée par cette ordonnance. Par une ordonnance du 4 décembre 2024, contre laquelle les consorts C… et la société Treetops se pourvoient en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a fait droit à sa demande.

2. Aux termes de l’article L. 521-4 du code de justice administrative :  » Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d’un élément nouveau, modifier les mesures qu’il avait ordonnées ou y mettre fin « .

3. D’une part, lorsque le juge des référés a ordonné la suspension de l’exécution d’un permis de construire sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative en relevant l’existence d’un ou plusieurs vices propres à créer un doute sérieux quant à sa légalité et qu’il est ensuite saisi d’une demande tendant à ce qu’il soit mis fin aux effets de cette suspension dans le cadre de la procédure régie par l’article L. 521-4 du même code, au motif qu’un permis modificatif ou une mesure de régularisation, produit dans le cadre de cette nouvelle instance, régularise le ou les vices précédemment relevés, il appartient à ce juge, pour apprécier s’il est possible de lever la suspension du permis ainsi modifié, après avoir mis en cause le requérant ayant initialement saisi le juge du référé suspension, de tenir compte, d’une part, de la portée du permis modificatif ou de la mesure de régularisation sur les vices précédemment relevés et, d’autre part, des vices allégués ou d’ordre public dont le permis modificatif ou la mesure de régularisation serait entaché et qui seraient de nature à y faire obstacle.

4. D’autre part, lorsqu’un permis de construire initial a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’un permis modificatif dès lors que celui-ci assure les respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises. Les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial. Toutefois, lorsqu’un permis de construire a été obtenu par fraude, l’illégalité qui en résulte n’est pas de nature à être régularisée par la délivrance d’un permis de construire modificatif. Il s’ensuit qu’une telle illégalité peut être utilement invoquée à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial alors même qu’un permis modificatif aurait été délivré.

5. Pour mettre fin à la suspension du permis de construire délivré à M. A… le 11 décembre 2023, fondée sur la méconnaissance des dispositions de l’article UC 13.2 du règlement du plan local d’urbanisme aux termes desquelles :  » Les plantations doivent être maintenues ou remplacées par des plantations équivalentes. Tout projet de construction doit être accompagné d’un plan de plantations ou d’espaces verts (…) « , le juge des référés du tribunal administratif de Caen a jugé qu’eu égard à la portée du permis modificatif délivré le 19 juillet 2024, prévoyant sur le terrain d’assiette du projet la plantation de douze pins maritimes et vingt-sept arbustes, ce moyen n’était plus de nature à justifier la suspension prononcée, qu’il a levée après avoir jugé qu’aucun des autres moyens invoqués en défense n’était propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité du permis litigieux.

6. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif, notamment des photographies et des constats d’huissier produits en défense, que le terrain d’assiette du projet litigieux comportait une importante végétation dont de nombreux arbres de haute tige qui avaient été abattus par une personne qui est l’associé de M. A… dans une entreprise de construction, peu avant que cette personne ne sollicite trois permis de construire successifs sans faire état des plantations ainsi détruites, ou en n’en faisant état que de manière incomplète. Ces permis de construire ont été définitivement annulés par le juge administratif au motif, pour le troisième, qu’il était entaché de fraude, le pétitionnaire ayant entendu tromper l’administration quant au respect par son projet des dispositions de l’article UC 13.2 du règlement du plan local d’urbanisme. Eu égard à la chronologie des faits, à la nature et l’étroitesse des liens de M. A… avec le pétitionnaire des trois permis de construire précédemment annulés et à la similitude de sa demande de permis de construire avec les précédentes, témoignant de l’intention qu’il poursuivait à son tour de faire échapper ce projet à l’application des dispositions de l’article UC 13.2 du règlement du plan local d’urbanisme, le juge des référés du tribunal administratif a entaché son ordonnance de dénaturation en ne retenant pas comme propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire délivré le 11 décembre 2023 à M. A…, le moyen tiré de ce qu’il avait été obtenu par fraude. Il a, par suite, commis une erreur de droit en jugeant que la délivrance d’un permis de construire modificatif régularisant le vice tenant à la méconnaissance des dispositions de l’article UC 13.2 du règlement du plan local d’urbanisme permettait de lever la suspension qui avait été prononcée pour ce motif.

7. Les consorts C… et autre sont dès lors fondés, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, à demander l’annulation de l’ordonnance qu’ils attaquent.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par M. A… sur le fondement de l’article L. 521-4 du code de justice administrative, en application de l’article L. 821-2 du même code.

9. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le moyen tiré de ce que le permis de construire délivré le 11 décembre 2023 à M. A… a été obtenu par fraude est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à sa légalité et que ce motif justifie, par suite, à lui seul, la suspension prononcée par l’ordonnance du 2 avril 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Caen. Ainsi qu’il a été dit au point 4, ce même motif fait obstacle à ce que la délivrance d’un permis modificatif, le 19 juillet 2024, puisse être utilement invoquée par M. A… pour qu’il soit mis fin aux effets de cette suspension, quelle que soit la portée de ce permis de construire modificatif sur l’autre vice initialement relevé par le juge des référés.

10. En deuxième lieu, pour l’application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, il ressort des pièces du dossier que le projet déposé par M. A… ne comporte la conservation d’aucune plantation située sur le terrain d’emprise du projet, les arbres existants ayant été abattus au moment de la première demande d’autorisation de construire présentée par son associé le 21 décembre 2017. Les plantations nouvelles, envisagées par le permis de construire modificatif, s’effectuant selon un plan dont la réalisation apparaît peu crédible, la délivrance de ce permis ne paraît pas de nature, en l’état de l’instruction, à lever le doute sérieux quant à la légalité du permis en litige au regard des dispositions de l’article UC 13.2 du règlement du plan local d’urbanisme.

11. En troisième lieu et pour l’application des mêmes dispositions du code de l’urbanisme, il ressort des pièces du dossier que la demande de permis de M. A… présente un état des lieux des plantations sur le terrain d’assiette qui ne correspond pas à la situation existant avant cet abattage, le terrain comportant à l’origine plus de douze pins maritimes et non cinq pins, cinq autres arbres et vingt-quatre arbustes et buissons, de sorte qu’est également propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire en litige le moyen tiré de la méconnaissance par le projet de l’article UC 13.4 du règlement du plan local d’urbanisme, qui impose de présenter un état des lieux des plantations antérieur et postérieur au projet exhaustif et sincère et de viser la conservation maximale des plantations existantes.

12. En revanche, enfin, les moyens tirés de ce que des inexactitudes ou insuffisances entacheraient le volet architectural du projet, de la méconnaissance de l’article UC 3.2 du règlement du plan local d’urbanisme et de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, ainsi que de l’article UC 11 du règlement du plan local d’urbanisme et de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme ne sont pas, en l’état de l’instruction, susceptibles d’entraîner le maintien de la suspension du permis de construire initial.

Sur les frais de l’instance :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. A… une somme globale de 2 500 euros à verser aux consorts C… et à la société Treetops au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et à la charge de la commune de Saint-Pair-sur-Mer une somme globale de 2 500 euros à leur verser au même titre. Ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées par M. A… devant le juge des référés du tribunal administratif.

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’ordonnance du 4 décembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Caen est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. A… devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.
Article 3 : M. A… versera aux consorts C… et à la société Treetops une somme globale de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La commune de Saint-Pair-sur-Mer versera aux consorts C… et à la société Treetops une somme globale de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par M. A… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme D… C…, première dénommée, pour l’ensemble des requérants, à M. E… A… et à la commune de Saint-Pair-sur-Mer.
Délibéré à l’issue de la séance du 8 septembre 2025 où siégeaient : M. Denis Piveteau, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, Mme Anne Courrèges, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d’Etat et Mme Claire Legras, conseillère d’Etat-rapporteure.

Rendu le 1er octobre 2025.

Le président :
Signé : M. Denis Piveteau
La rapporteure :
Signé : Mme Claire Legras
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber

ECLI:FR:CECHR:2025:499971.20251001

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