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Aménagement : une concession d’aménagement est un « marché public » en raison de l’absence de transfert de risque d’exploitation !

Arrêt rendu par Conseil d’Etat
18-05-2021
n° 443153
Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

M. A. B. et MM. J. B., L. D., R. F., A. I. et H. S. ont demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, d’annuler le protocole transactionnel conclu le 13 août 2015 entre la communauté d’agglomération de Lens-Liévin et la société Territoires 62, ayant pour objet de mettre fin au litige concernant la concession d’aménagement de la zone d’aménagement concerté Sabès et d’ordonner les restitutions qu’implique l’annulation du contrat et, à titre subsidiaire, d’annuler la délibération par laquelle le conseil communautaire de la communauté d’agglomération Lens-Liévin a autorisé son président à signer ce protocole transactionnel et d’enjoindre aux parties de se rapprocher pour procéder à la résolution du contrat ou, à défaut, de saisir le juge du contrat afin qu’il prononce l’annulation de la transaction. Par un jugement n° 1504894 du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé le protocole transactionnel conclu le 13 août 2015, sauf à ce que le conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin adopte, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, une nouvelle délibération autorisant la signature de ce contrat, au terme d’une procédure respectant le droit à l’information des élus, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un arrêt n° 18DA02505 du 27 février 2020, la cour administrative d’appel de Douai a, sur appel de M. B., annulé ce jugement, annulé le protocole transactionnel conclu le 13 août 2015 et rejeté le surplus de ses demandes.

1° Sous le n° 443153, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 août et 20 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la communauté d’agglomération de Lens-Liévin demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de M. B. et de faire droit à ses demandes de première instance ;

3°) de mettre à la charge de M. B. la somme de 4 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 443158, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 août et 19 novembre 2020, la société Territoires 62 demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de M. B. et de faire droit à ses demandes de première instance ;

3°) de mettre à la charge de M. B. la somme de 4 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– la directive 71/305/CEE du Conseil du 26 juillet 1971 ;

– le code des marchés publics ;

– le code de l’urbanisme ;

– la loi n° 94-679 du 8 août 1994 ;

– la décision du 23 décembre 2020 par laquelle le Conseil d’Etat statuant au contentieux n’a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Territoires 62 ;

– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,

– les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la communauté d’agglomération de Lens-Lievin et à Me Corlay, avocat de M. B. ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois visés ci-dessus sont dirigés contre la même décision. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Liévin a confié, par un contrat conclu le 12 août 1991, l’aménagement de la friche Sabès à Liévin à la société immobilière de construction de Liévin. Ce contrat a été repris tant par la communauté d’agglomération de Liévin, venue aux droits de la commune de Liévin, que par la société Territoires 62, succédant à la société Adévia qui avait elle-même succédé à la société Artois Développement, laquelle était venue aux droits de la société immobilière de construction de Liévin. Par une délibération du 17 mars 2006, la communauté d’agglomération de Lens-Liévin a clôturé l’opération d’aménagement de la friche Sabès, en arrêtant le déficit à la somme de 857 664,64 €. Par une délibération du 1er juin 2015, le conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin a autorisé son président à signer un contrat de transaction avec la société Territoires 62, en vue de lui régler une somme égale à ce déficit, en contrepartie de la renonciation de cette société à réclamer des intérêts moratoires qui s’élèvent à la somme de 158 746 € et de son désistement ou renonciation de toute action relative à l’exécution du contrat. La transaction a été signée le 13 août 2015. Plusieurs élus au sein du conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin, au nombre desquels M. B., ont alors contesté devant le tribunal administratif de Lille la validité de ce contrat de transaction. Par jugement du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé ce protocole transactionnel sauf à ce que le conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin adopte, dans un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement, une nouvelle délibération autorisant la signature de ce contrat. Par l’arrêt attaqué du 27 février 2020, la cour administrative d’appel de Douai a, sur appel de M. B., annulé ce jugement, annulé le protocole transactionnel conclu le 13 août 2015 et rejeté le surplus de ses demandes. Il s’ensuit que les pourvois de la communauté d’agglomération Lens-Liévin et de la société Territoires 62 dirigés contre cet arrêt doivent être regardés comme tendant à l’annulation de ses seuls articles 1er, 2, 4 et 5.

3. En premier lieu, aux termes de l’article 67 de la loi du 8 août 1994 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, applicable à la date de la transaction litigieuse : « Dans le cadre des marchés publics, y compris les travaux sur mémoires et achats sur factures, est réputée non écrite toute renonciation au paiement des intérêts moratoires exigibles en raison du défaut, dans les délais prévus, soit du mandatement des sommes dues, soit de l’autorisation d’émettre une lettre de change-relevé, soit du paiement de celle-ci à son échéance. / La présente disposition est applicable à toute clause de renonciation conclue à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi. » Ces dispositions interdisent de façon absolue toute renonciation aux intérêts moratoires dus en raison de retards dans le règlement des marchés publics, que cette renonciation intervienne lors de la passation du marché ou postérieurement. Il s’ensuit que la cour administrative d’appel de Douai n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’interdiction de la renonciation au paiement des intérêts moratoires était susceptible de s’appliquer à un protocole transactionnel relatif à un litige né d’un contrat, alors même que ce contrat avait été conclu avant l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 1994.

4. En deuxième lieu, en vertu du code des marchés publics, dans sa version applicable le 12 août 1991, date de conclusion du traité de concession confiant l’aménagement de la zone Sabès à Liévin à la société immobilière de construction de Liévin, un marché public est un contrat conclu par les collectivités publiques en vue de la réalisation de travaux, fournitures et services en contrepartie d’un prix.

5. Aux termes de l’article L. 300-4 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la même date : « L’Etat, les collectivités locales ou leurs établissements publics peuvent confier l’étude et la réalisation des opérations d’aménagement prévues par le présent livre à toute personne publique ou privée y ayant vocation […]. » Selon son article R* 311-4, dans sa version applicable à la même date : « L’aménagement et l’équipement de la zone sont : 1. Soit conduits directement par la personne morale qui a pris l’initiative de sa création ; / […] / 3. Soit confiés, par cette personne morale, selon les stipulations d’une convention à une personne privée ou publique. » Ces dispositions n’ont toutefois pas pour effet de soustraire au respect des règles régissant les marchés publics les contrats confiant à un tiers l’étude et la réalisation d’opérations d’aménagement prévues par le code de l’urbanisme dans sa version alors applicable, s’ils entrent dans le champ de l’article 1er du code des marchés publics alors applicable.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le titulaire du contrat conclu le 12 août 1991 s’est engagé à réaliser l’aménagement de la friche Sabès située à Liévin, en vue d’y créer une zone d’activité commerciale et artisanale contribuant au développement économique de la ville et, à cette fin, d’effectuer les démolitions nécessaires, de réaliser les équipements secondaires de la zone, de procéder le cas échéant à la construction de bâtiments à vocation commerciale ou artisanale, de procéder aux études nécessaires et de coordonner l’opération. Selon les stipulations de l’article 3 du contrat relevées par le juge du fond : « La ville s’engage à garantir, dans les conditions déterminées par le cahier des charges, si la demande en est faite par les organismes prêteurs, le service des intérêts et le remboursement des emprunts que la société contractera pour la réalisation de la présente opération et à inscrire, en conséquence, à son budget les sommes correspondantes. / Elle s’engage à mettre à la disposition de la Société le produit des emprunts qu’elle aurait souscrit pour la réalisation de cette opération. » Les stipulations de l’article 5 du même contrat, également relevées par le juge du fond, prévoient que : « L’opération de concession est réalisée sous le contrôle de la ville et à ses risques financiers. En conséquence, à l’expiration de la concession, la Ville bénéficiera du solde positif ou prendra en charge le solde négatif résultant des comptes de l’opération, dans les conditions précisées au cahier des charges. » La cour a de plus retenu, d’une part, que l’article 29 du cahier des charges stipule que le bilan de clôture arrêté par le titulaire fixe « le montant définitif de la participation financière du concédant aux travaux d’aménagement de la zone nécessaire pour équilibrer les comptes, majoré de la rémunération de la société et de la perte cumulée » et, d’autre part, que les stipulations des articles 25 et 28 du cahier des charges prévoient en outre que la personne publique contractante s’engage à contribuer au remboursement des annuités des emprunts garantis du titulaire, si ses recettes ne suffisent pas y pourvoir, et que le titulaire perçoit une rémunération globale et forfaitaire pour ses frais généraux et de fonctionnement. Elle a souverainement déduit de ces stipulations, sans les dénaturer, que le concessionnaire n’a pris aucun risque financier dans cette opération, le concédant, c’est-à-dire la collectivité publique, supportant seul tous ces risques. Il s’ensuit que la cour a ni commis une erreur de droit ni une erreur de qualification juridique, en estimant que le contrat litigieux, bien que formellement conclu en qualité de concession d’aménagement soumis aux dispositions citées au point 4 de l’article L. 300-4 du code de l’urbanisme, dès lors que la rémunération du cocontractant n’est pas substantiellement liée aux résultats de l’opération d’aménagement, constitue un marché public.

7. Par suite, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que les dispositions de l’article 67 de la loi du 8 août 1994 lui sont applicables. Enfin, le moyen tiré de ce que la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, aurait commis une erreur de droit, faute d’avoir recherché si le contrat litigieux répondait aux critères d’un marché public, manque en fait.

8. En troisième lieu, il appartient au juge du contrat, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier l’importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés.

9. En jugeant que la méconnaissance de la règle prohibant la renonciation aux intérêts moratoires, laquelle entache d’illicéité le contenu du protocole transactionnel, est de nature à justifier son annulation, la cour n’a pas commis d’erreur de droit et a exactement qualifié les faits dont elle était saisie.

10. Il résulte de ce qui précède que la communauté d’agglomération de Lens-Liévin et la société Territoires 62 ne sont pas fondées à demander l’annulation de l’arrêt attaqué.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin et de la société Territoires 62 la somme de 1 500 € chacune à verser à M. B., au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de M. B. qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

Décide :

Article 1er : Les pourvois de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin et de la société Territoires 62 sont rejetés.

Article 2 : La communauté d’agglomération de Lens-Liévin et de la société Territoires 62 verseront la somme de 1 500 € chacune à M. B., au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la communauté d’agglomération de Lens-Liévin, à la société Territoires 62 et à M. A. B.

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