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Permis de construire : possibilité de prescrire la création d’une servitude de passage !

Conseil d’État

N° 427781   
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
10ème – 9ème chambres réunies
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
Mme Anne Iljic, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats

lecture du mercredi 3 juin 2020

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. et Mme A… C… ont demandé au tribunal administratif de Toulon d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 30 janvier 2017 par lequel le maire de Fréjus (Var) a délivré à la société Compagnie Immobilière Méditerranée et à M. B… D… un permis de construire en vue de la réalisation d’un ensemble immobilier de 208 logements, sur un terrain cadastré section AT n° 26, 29, 30 et 728, situé rue du Malbousquet au lieu-dit Caïs ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours gracieux.

Par un jugement n° 1702380 du 11 décembre 2018, le tribunal administratif de Toulon a annulé les décisions attaquées.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 février, 7 mai et 11 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Compagnie Immobilière Méditerranée demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la demande de M. et Mme C… ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme C… la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code civil ;
– le code de l’environnement ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d’Etat,

– les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Compagnie Immobilière Méditerranée et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. et Mme A… C… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 30 janvier 2017, le maire de Fréjus (Var) a délivré un permis de construire valant division parcellaire à la société Compagnie Immobilière Méditerranée et à M. D… en vue de la réalisation d’un ensemble immobilier de 208 logements sur un terrain situé rue du Malbousquet au lieu-dit Caïs. Par un jugement du 11 décembre 2018, le tribunal administratif de Toulon, sur la demande de M. et Mme C…, a annulé pour excès de pouvoir cet arrêté en retenant deux motifs d’illégalité, tirés respectivement de ce que l’étude d’impact prescrite par l’article L. 122-1-1 du code de l’environnement, n’avait pas été mise à la disposition du public avant la délivrance du permis de construire attaqué et de ce que le terrain d’assiette du projet ne disposait pas d’un accès à une voie ouverte à la circulation publique, en méconnaissance des dispositions de l’article 1 AU 3 du règlement du plan local d’urbanisme, la prescription dont est assorti le permis de construire ne pouvant pallier l’absence de titre valant servitude à la date de sa délivrance. Le tribunal a refusé de faire application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. La société Compagnie Immobilière Méditerranée se pourvoit en cassation contre ce jugement.

En ce qui concerne l’illégalité du permis de construire attaqué au regard de l’article 1 AU 3 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune :

2. L’article R. 111-5 du code de l’urbanisme dispose que :  » Le projet peut être refusé sur des terrains qui ne seraient pas desservis par des voies publiques ou privées dans des conditions répondant à son importance ou à la destination des constructions ou des aménagements envisagés, et notamment si les caractéristiques de ces voies rendent difficile la circulation ou l’utilisation des engins de lutte contre l’incendie./ Il peut également être refusé ou n’être accepté que sous réserve de prescriptions spéciales si les accès présentent un risque pour la sécurité des usagers des voies publiques ou pour celle des personnes utilisant ces accès. Cette sécurité doit être appréciée compte tenu, notamment, de la position des accès, de leur configuration ainsi que de la nature et de l’intensité du trafic « . L’article 1 AU 3 du règlement du plan local d’urbanisme de Fréjus, dans sa rédaction applicable à l’espèce, prévoit que :  » (…) 2 – Conditions d’accès aux voies ouvertes au public / Pour être constructible, un terrain doit avoir un accès à une voie publique ou privée, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un passage aménagé sur les fonds voisins, ou éventuellement obtenu en application de l’article 682 du code civil (…) « . Aux termes de l’article 682 du code civil :  » Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner « .

3. D’une part, le permis de construire, qui est délivré sous réserve des droits des tiers, a pour seul objet d’assurer la conformité des travaux qu’il autorise avec la réglementation d’urbanisme. Dès lors, l’autorité compétente et, en cas de recours, le juge administratif doivent, pour l’application des règles d’urbanisme relatives à la desserte et à l’accès des engins d’incendie et de secours, s’assurer de l’existence d’une desserte suffisante de la parcelle par une voie ouverte à la circulation publique et, le cas échéant, de l’existence d’un titre créant une servitude de passage donnant accès à cette voie.

4. D’autre part, l’administration ne peut assortir une autorisation d’urbanisme de prescriptions qu’à la condition que celles-ci, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet, aient pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le terrain d’assiette du projet de la société Compagnie Immobilière Méditerranée ne disposait d’aucun accès à une voie ouverte à la circulation publique et qu’un tel accès devait être créé sur des parcelles appartenant à des tiers. Le maire de Fréjus lui a néanmoins accordé le permis de construire sollicité en mentionnant à l’article 3 de son arrêté que  » le présent arrêté est conditionné à la production, par le bénéficiaire, de l’acte authentique de servitude de passage (…) au plus tard au dépôt de la déclaration d’ouverture de chantier « . En jugeant que cette réserve ne saurait pallier l’absence de titre créant une servitude de passage à la date de l’arrêté attaqué alors que la création d’une servitude de passage entraine seulement une modification portant sur un point précis et limité qui ne nécessite pas la présentation d’un nouveau projet, le tribunal administratif a entaché son arrêt d’erreur de droit.

En ce qui concerne l’application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme :

6. Aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction alors applicable :  » Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations « .

7. Saisi d’un pourvoi dirigé contre une décision juridictionnelle retenant plusieurs motifs d’illégalité d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, puis refusant de faire usage des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le juge de cassation, dans le cas où il censure une partie de ces motifs, ne peut rejeter le pourvoi qu’après avoir vérifié si les autres motifs retenus et qui demeurent justifient ce refus.

8. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal administratif a annulé l’arrêté du 30 janvier 2017 après avoir décidé de ne pas faire application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur, compte tenu des illégalités qu’il avait retenues. Cependant, d’une part, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en retenant le vice tiré de la méconnaissance de l’article 1 AU 3 du règlement du plan local d’urbanisme de Fréjus. D’autre part, le second motif d’annulation retenu par le tribunal administratif, tiré de ce que le permis de construire a été délivré à l’issue d’une procédure irrégulière faute que l’étude d’impact prescrite par l’article L. 122-1-1 du code de l’environnement, jointe au dossier de demande de permis de construire, ait été mise à la disposition du public avant la délivrance de ce dernier, dont le bien-fondé n’a pas été contesté devant le juge du fond, ne met en cause qu’une formalité préalable à la délivrance du permis de construire attaqué. Ce second motif d’illégalité apparaît susceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation en application des dispositions précitées de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme et n’est, par suite, pas de nature à justifier à lui seul le refus du tribunal administratif de faire application de ces dispositions.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la Compagnie Immobilière Méditerranée est fondée à demander l’annulation du jugement qu’elle attaque. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de renvoyer l’affaire au tribunal administratif de Toulon auquel il appartiendra, après avoir recueilli les observations des parties, de se prononcer sur le caractère de mesure de régularisation, au sens des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, entré en vigueur le 1er janvier 2019, du nouveau permis de construire délivré à la société Compagnie Immobilière Méditerranée le 29 avril 2019, qu’elle a produit à l’appui de ses écritures en cassation.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. et Mme C… la somme de 3 000 euros à verser à la société Compagnie Immobilière Méditerranée au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la société Compagnie Immobilière Méditerranée qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 11 décembre 2018 du tribunal administratif de Toulon est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de Toulon.
Article 3 : M. et Mme C… verseront la somme de 3 000 euros à la société Compagnie Immobilière Méditerranée au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de M. et Mme C… présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Compagnie Immobilière Méditerranée, à M. et Mme C… et à la commune de Fréjus.

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