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Section de commune : quelles sont les modalités d’attribution des terres ?

Arrêt rendu par Conseil d’Etat
19-11-2025
n° 490285
Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

Le groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) du Cézallier a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’annuler la délibération du 15 juillet 2019 du conseil municipal de Marcenat, agissant pour le compte de la section de commune du Saillant, en ce qu’elle ne lui a pas attribué les lots 5, 6 et 8 des surfaces agricoles de la section de commune. Par un jugement n° 1901801 du 9 décembre 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 22LY00271 du 19 octobre 2023, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel formé par le GAEC du Cézallier contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 décembre 2023 et 19 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le GAEC du Cézallier demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Marcenat et de la section de commune du Saillant la somme de 3 500 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code général des collectivités territoriales ;

– le code des relations entre le public et l’administration ;

– le code rural et de la pêche maritime ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Nicole da Costa, conseillère d’Etat,

– les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin – Gougeon, avocat du groupement agricole d’exploitation en commun du Cezallier et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la commune de Marcenat ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 15 juillet 2019, le conseil municipal de Marcenat (Cantal) a procédé à la répartition de l’ensemble des surfaces agricoles de la section de commune du Saillant et décidé la mise en place de conventions pluriannuelles avec les différents attributaires. Le groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) du Cézallier, qui exploitait alors, sur cette section, une surface totale de 38 hectares 33 ares composée des lots 7, 8, 9 et 10, s’est vu attribuer les seuls lots 7, 9 et 10, pour une superficie de 23 hectares 81 ares, tandis que les lots 1, 2, 3, 5, 6 et 8 étaient attribués au GAEC Vernet, pour une superficie de 69 hectares 40 ares. Le GAEC du Cézallier a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’annuler cette délibération en tant qu’elle ne lui a pas attribué les lots 5 et 6 de la section, sur lesquels il demandait à étendre son exploitation, et le lot 8, qu’il demandait à continuer d’exploiter. Ce GAEC se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 19 octobre 2023 par lequel la cour administrative de Lyon a rejeté l’appel qu’il avait formé contre le jugement du 9 décembre 2021 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand rejetant cette demande.

Sur le cadre juridique applicable :

2. Aux termes de l’article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : « Les membres de la section ont, dans les conditions résultant soit des décisions des autorités municipales, soit des usages locaux, la jouissance de ceux des biens de la section dont les fruits sont perçus en nature, à l’exclusion de tout revenu en espèces. / Les terres à vocation agricole ou pastorale propriétés de la section sont attribuées par bail rural ou par convention pluriannuelle d’exploitation agricole ou de pâturage conclue dans les conditions prévues à l’article L. 481-1 du code rural et de la pêche maritime […] : 1° Au profit des exploitants agricoles ayant leur domicile réel et fixe, un bâtiment d’exploitation et le siège de leur exploitation sur le territoire de la section et exploitant des biens agricoles sur celui-ci ; et, si l’autorité compétente en décide, au profit d’exploitants agricoles ayant un bâtiment d’exploitation hébergeant, pendant la période hivernale, leurs animaux sur le territoire de la section conformément au règlement d’attribution et exploitant des biens agricoles sur ledit territoire ; / 2° A défaut, au profit des exploitants agricoles utilisant des biens agricoles sur le territoire de la section et ayant un domicile réel et fixe sur le territoire de la commune ; / 3° A titre subsidiaire, au profit des exploitants agricoles utilisant des biens agricoles sur le territoire de la section ; / 4° Lorsque cela est possible, au profit de l’installation d’exploitations nouvelles. […] Pour toutes les catégories précitées, les exploitants devront remplir les conditions prévues par les articles L. 331-2 à L. 331-5 du code rural et de la pêche maritime et celles prévues par le règlement d’attribution défini par le conseil municipal. / Le fait de ne plus remplir les conditions retenues par l’autorité compétente au moment de l’attribution entraîne la résiliation du bail rural ou de la convention pluriannuelle d’exploitation agricole ou de pâturage, notifiée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, avec application d’un préavis minimal de six mois. […]. »

3. Lorsque l’autorité gestionnaire des biens d’une section de commune est saisie d’une demande d’attribution par un exploitant d’un rang supérieur ou tout au moins égal, au regard de l’ordre de priorité défini par l’article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales, aux exploitants déjà attributaires de biens, il lui revient de procéder à un nouveau partage des terres concernées entre tous les candidats à l’attribution, qu’ils soient nouveaux demandeurs ou déjà attributaires, selon cet ordre de priorité. Dans l’hypothèse où certains exploitants déjà en place ne remplissent plus, en raison des nouvelles demandes, les conditions pour prétendre à l’attribution des terres, il lui revient aussi, avant de conclure un bail rural ou une convention pluriannuelle avec le nouvel attributaire, d’obtenir par la voie amiable ou par défaut par la voie judiciaire la résiliation des contrats en cours, qui est alors de plein droit par l’effet des dispositions du neuvième alinéa du même article L. 2411-10. Dans ces conditions, la circonstance qu’un bail rural ou une convention pluriannuelle conclu avec l’exploitant d’un lot serait encore en cours est, par elle-même, sans incidence sur la légalité de la décision administrative par laquelle ce lot fait l’objet d’une nouvelle attribution.

4. D’autre part, si les deuxième, troisième et quatrième alinéas de l’article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales prévoient que l’autorisation à laquelle est soumise, le cas échéant, en vertu des dispositions des articles L. 331-2 à L. 331-5 du code rural et de la pêche maritime, l’exploitation de terres à vocation agricole ou pastorale appartenant à une section de commune par la ou les personnes qui en demandent l’attribution doit être obtenue par le pétitionnaire, au plus tard, à la date de conclusion du bail rural ou de la convention pluriannuelle, ils n’exigent pas que cette autorisation soit délivrée au pétitionnaire avant que l’autorité compétente ne choisisse l’attributaire de ces terres ou ne classe les demandes d’attribution au regard des priorités qu’elles énoncent. Toutefois, si un candidat à l’attribution des biens de la section s’est vu refuser cette autorisation d’exploiter avant que ne soit décidée l’attribution des terres, sa demande d’attribution peut être légalement rejetée pour ce motif dès lors qu’en toute hypothèse, en l’absence d’une telle autorisation, aucun bail ou convention ne pourra être conclu avec l’intéressé.

5. Enfin, lorsqu’une personne morale est créée pour gérer une exploitation agricole, c’est cette personne morale qui est attributaire de terres au titre de cette exploitation. Le respect des critères d’attribution des terres définis au l’article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales doit alors être apprécié au regard de la situation de la seule personne morale, dont le siège social doit être regardé comme le « domicile réel et fixe » au sens de ses dispositions. La condition, distincte, tenant à l’implantation du « siège de l’exploitation » au sens des mêmes dispositions ne renvoie pas, pour sa part, à l’implantation du siège social mais à celle du centre effectif de l’activité agricole, appréciée sur l’ensemble des sites exploités par la personne morale.

Sur le pourvoi en tant qu’il porte sur le refus d’attribution des lots n° 5 et 6 :

6. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que le conseil municipal avait pu légalement se fonder, pour refuser l’attribution au GAEC du Cézallier des lots 5 et 6, sur la circonstance que, par une décision du 30 avril 2019, le préfet du Cantal avait rejeté la demande d’autorisation d’exploiter les mêmes terres présentée par ce GAEC au titre des articles L. 331-2 à L. 331-5 du code rural et de la pêche maritime.

Sur le pourvoi en tant qu’il porte sur le refus d’attribution du lot n° 8 :

7. Aux termes de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Les personnes physiques et morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : […] 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits. […]. »

8. Pour écarter comme inopérant le moyen soulevé par le GAEC du Cézallier, tiré de ce que la délibération en litige aurait méconnu ces dispositions faute d’être motivée, la cour administrative d’appel a retenu que cette délibération se borne à constater la nécessité de mettre en place des conventions d’exploitation et à répartir les terres exploitables disponibles entre membres de la section ayant présenté des demandes. En statuant ainsi, alors que cette délibération, en ce qu’elle concerne le lot n° 8, abroge nécessairement la précédente décision d’attribution du même lot, dont le GAEC du Cézallier soutenait être bénéficiaire, et présente ainsi le caractère d’une décision individuelle abrogeant une décision créatrice de droits, la cour a commis une erreur de droit.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que le GAEC du Cézallier est seulement fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il porte sur le refus d’attribution du lot n° 8.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler dans cette mesure l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la légalité du refus d’attribution du lot n° 8 :

En ce qui concerne la légalité externe :

11. Aux termes de l’article L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration : « La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ».

12. La délibération litigieuse du 15 juillet 2019, d’une part, se réfère au règlement d’attribution des biens de la section approuvé par le conseil municipal le 24 septembre 2018, lequel rappelle l’ensemble des règles de droit régissant cette attribution et, d’autre part, énonce les considérations qui ont conduit à attribuer le lot n° 8 au GAEC Vernet plutôt qu’au GAEC du Cézallier. Le moyen tiré de ce que cette délibération ne serait pas motivée ne peut ainsi, en tout état de cause, qu’être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

13. En premier lieu, le GAEC du Cézallier fait valoir que les conventions pluriannuelles conclues en 1992 pour l’exploitation de lots de la section de commune, dont le lot n° 8, avec les exploitants agricoles qui ont ultérieurement formé entre eux le GAEC ont été tacitement reconduites depuis cette date et qu’ainsi elles avaient encore cours quand a été prise la délibération en litige, de sorte que le lot n’aurait pas été disponible pour une nouvelle attribution. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 3 que cette circonstance, à la supposer établie, est sans incidence sur la légalité de la délibération procédant à une nouvelle attribution des terres.

14. En second lieu, il ressort des énonciations de la délibération du 15 juillet 2019 que la candidature à l’attribution du lot n° 8 du GAEC Vernet a été préférée à celle du GAEC du Cézallier au motif que seul le premier avait obtenu, à la date de cette délibération, l’autorisation d’exploiter ce lot au titre des articles L. 331-2 à L. 331-5 du code rural et de la pêche maritime. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu’un tel motif ne peut légalement fonder la décision en litige.

15. Toutefois, dans ses écritures produites en défense à l’appel du GAEC du Cézallier, la commune de Marcenat, agissant au nom de la section de commune du Saillant, demande que soit substitué au motif sur lequel elle s’est initialement fondée celui tiré de ce que le GAEC Vernet était prioritaire, dès lors qu’il remplissait les conditions énumérées au 1° de l’article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales, tandis que le GAEC du Cézallier, n’ayant pas son siège d’exploitation sur le territoire de la section, ne remplissait que les conditions énumérées au 2° du même article.

16. S’il est constant que le siège social du GAEC du Cézallier est implanté dans la section de commune du Saillant, cette circonstance, ainsi qu’il a été dit au point 5 et contrairement à ce que soutient ce GAEC, n’implique pas que le siège de son exploitation s’y trouve également. Il ressort au contraire des pièces du dossier que le GAEC du Cézallier dispose de plusieurs sites d’exploitation atteignant une superficie totale supérieure à 400 hectares, dont un site de 147 hectares avec stabulations dans la commune d’Anzat-le-Luguet, tandis que le site implanté sur la section du Saillant, d’une superficie de 38 hectares 33 ares, n’abrite pas plus d’un dixième de son cheptel d’animaux. Dans ces conditions, c’est sans méconnaître les dispositions de l’article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales, ni commettre d’erreur d’appréciation que la commune de Marcenat fait valoir que le GAEC du Cézallier ne remplit que les conditions définies au 2° de cet article.

17. Il y a par suite lieu de substituer ce motif, qui implique l’attribution du lot en litige au GAEC Vernet dès lors qu’il n’est pas contesté que ce dernier remplit les conditions définies au 1° du même article, et dont la prise en compte ne prive le GAEC du Cézallier d’aucune garantie procédurale, au motif initialement retenu, et d’écarter le moyen tiré de ce l’attribution du lot n° 8 se serait faite en méconnaissance des dispositions de l’article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le GAEC du Cézallier n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, en outre suffisamment motivé, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la délibération du 15 juillet 2019 du le conseil municipal de Marcenat en tant qu’elle lui refuse l’attribution du lot n° 8 de la section de commune du Saillant.

19. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Marcenat ou de la section de commune du Saillant, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée à ce titre par le GAEC du Cézallier. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de ce GAEC la somme de 3 000 € à verser à ce titre, pour la procédure devant la cour administrative d’appel de Lyon et devant le Conseil d’Etat, à la commune de Marcenat, agissant au nom de la section de commune du Saillant.

Décide :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 19 octobre 2023 est annulé en tant qu’il rejette les conclusions du GAEC du Cézallier dirigées contre le refus d’attribution du lot n° 8.

Article 2 : Les conclusions présentées par le GAEC du Cézallier devant la cour administrative d’appel de Lyon dirigées contre le refus d’attribution du lot n° 8 sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par le GAEC du Cézallier au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi du GAEC du Cézallier est rejeté.

Article 5 : Le GAEC du Cézallier versera la somme de 3 000 € à la commune de Marcenat, agissant au nom de la section de commune du Saillant, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au groupement agricole d’exploitation en commun du Cézallier et à la commune de Marcenat, représentant la section de commune du Saillant.

Conseil d’Etat, 19 novembre 2025, n° 490285, GAEC du Cézallier

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