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Enquête publique : annulation, avis du commissaire enquêteur insuffisamment motivé !

AA de NANTES

N° 14NT00255   
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. LENOIR, président
M. Jérôme FRANCFORT, rapporteur
M. DURUP de BALEINE, rapporteur public
COLLET, avocat

lecture du vendredi 15 avril 2016

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un jugement n°s 1104787 et 1104788 du 29 novembre 2013, le tribunal administratif de Rennes a, à la demande de Mme A…E…et de l’association  » Défense de l’environnement – L’air Libre « , annulé deux arrêtés du 6 juillet 2011 par lesquels le préfet d’Ille-et-Vilaine a respectivement autorisé la société IEL Exploitation 6 à implanter deux éoliennes sur le territoire de la commune de La Dominelais et deux éoliennes et un poste de livraison électrique sur le territoire de la commune du Grand-Fougeray, formant un unique parc éolien au lieu-dit  » La Lande du Haut Bout  » ;

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 3 février 2014 et 9 février 2015, la société IEL Exploitation 6, représentée par MeC…, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 29 novembre 2013 ;

2°) de rejeter les demandes de Mme A…E…et de l’association  » Défense de l’environnement L’air Libre  » ;

3°) de mettre à la charge de Mme A…E…et de l’association  » Défense de l’environnement L’air Libre  » le versement d’une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– c’est à tort que le tribunal administratif a estimé que l’étude paysagère et l’étude acoustique étaient insuffisantes, l’ensemble de l’étude d’impact n’étant entachée d’aucune insuffisance ;
– c’est à tort que le tribunal administratif a jugé que l’enquête publique était irrégulière au motif que le commissaire-enquêteur n’avait pas émis un avis personnel motivé ;
– aucun des autres moyens de première instance non retenus par le tribunal administratif n’était fondé.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 octobre 2014 et le 8 juin 2015, Mme E…et l’association  » Défense de l’environnement – L’air Libre  » concluent au rejet de la requête et à ce que le versement d’une somme de 3 000 euros soit mis à la charge de la société IEL Exploitation 6, d’une part à Mme E…et d’autre part à l’association  » Défense de l’environnement – L’air Libre  » au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

Par ordonnance du 26 mai 2015, la clôture d’instruction a été fixée au 12 juin 2015.

Un mémoire présenté pour la société IEL Exploitation 6 a été enregistré le 9 juillet 2015.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de l’environnement ;
– le code de la santé publique ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Francfort, président-assesseur,
– les conclusions de M. Durup de Baleine, rapporteur public,
– les observations de MeD…, substituant MeC…, pour la société IEL Exploitation 6, et celles de MeB…, pour Mme A…E…et l’association  » Défense de l’environnement – L’air Libre « .

Deux notes en délibéré présentées pour la société IEL Exploitation 6 ont été enregistrées les 18 mars et 1er avril 2016.

Deux notes en délibéré présentées pour Mme A…E…et l’association  » Défense de l’environnement – L’air Libre  » ont été enregistrées les 23 mars et 4 avril 2016.

1. Considérant que, par deux arrêtés du 6 juillet 2011, le préfet d’Ille-et-Vilaine a délivré à la société IEL Exploitation 6 deux permis de construire pour l’implantation, sur des terrains d’assiette situés respectivement sur le territoire des communes de La Dominelais et du Grand-Fougeray, d’un parc éolien comportant au total quatre aérogénérateurs et un poste de livraison ; que par un jugement du 29 novembre 2013, le tribunal administratif de Rennes a, à la demande de Mme A…E…et de l’association  » Défense de l’environnement – L’air Libre « , annulé ces deux permis de construire aux motifs, d’une part, de l’irrégularité de l’étude d’impact en raison des lacunes affectant le volet paysager et l’étude acoustique de cette partie du dossier et, d’autre part, de l’irrégularité de l’enquête publique, due à l’insuffisance de motivation des conclusions du commissaire-enquêteur ; que la société IEL Exploitation 6 relève appel de ce jugement ;

Sur les conclusions à fins d’annulation :

En ce qui concerne la régularité de l’étude d’impact :

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 553-2 du code de l’environnement, alors en vigueur :  » I. – L’implantation d’une ou plusieurs installations produisant de l’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent dont la hauteur du mât dépasse 50 mètres est subordonnée à la réalisation préalable : / a) De l’étude d’impact définie à la section 1 du chapitre II du titre II du livre Ier du présent code ; / b) D’une enquête publique soumise aux prescriptions du chapitre III du titre II du livre Ier du présent code.  » ; qu’aux termes de l’article R. 122-3 du même code, dans sa rédaction applicable en l’espèce :  » I. – Le contenu de l’étude d’impact doit être en relation avec l’importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l’environnement / II. -L’étude d’impact présente successivement : / 1° Une analyse de l’état initial du site et de son environnement, portant notamment sur les richesses naturelles et les espaces naturels agricoles, forestiers, maritimes ou de loisirs, affectés par les aménagements ou ouvrages ; / 2° Une analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents du projet sur l’environnement, et en particulier sur la faune et la flore, les sites et paysages, le sol, l’eau, l’air, le climat, les milieux naturels et les équilibres biologiques, sur la protection des biens et du patrimoine culturel et, le cas échéant, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses) ou sur l’hygiène, la santé, la sécurité et la salubrité publique  » ;

S’agissant du volet acoustique de l’étude d’impact :

3. Considérant que le volet acoustique de l’étude d’impact a pour but de rechercher si le fonctionnement du parc éolien projeté permettra de respecter les limites réglementaires applicables à ces équipements, lesquelles correspondent, en l’absence de réglementation spécifique, aux valeurs limites imposées par les dispositions de l’article R. 1334-33 du code de la santé publique, soit une émergence globale de maximale de 5 décibels en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 décibels en période nocturne (de 22 heures à 7 heures) ;

4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’étude acoustique figurant à l’étude d’impact a été réalisée par la société JLBI Conseil, spécialisée dans ce domaine, et a reçu un avis favorable de l’agence régionale de santé ; qu’elle décrit le protocole d’étude, rend compte des normes réglementaires applicables en la matière, énumère le matériel utilisé, justifie le choix des périodes de mesure et des conditions de mesurage et rend compte d’un très grand nombre de mesures effectuées auprès des habitations les plus proches ; que cette campagne de mesure se fonde, conformément à l’arrêté du 5 décembre 2006 relatif aux modalités de mesurage des bruits de voisinage, sur la norme NF S 31-010, dont les principes méthodologiques laissent aux mesureurs le choix des intervalles d’observation ainsi que celui des dates et périodes appropriées de mesurage ; qu’en l’espèce, si l’étude exclut dans la détermination des valeurs d’émergence les mesures pratiquées durant la période allant de 20 heures à 22 heures, ce choix, justifié par le bureau d’études par la volonté de rechercher des intervalles typiquement diurnes ou nocturne et d’exclure les périodes transitoires, n’a pu entacher d’insuffisance les conclusions du volet acoustique, lequel retrace l’émergence prévisible sur la période postérieure à 22 heures où les valeurs résiduelles sont moindres que durant la période omise tandis que les valeurs d’émergence limites sont plus contraignantes ; que si l’étude acoustique ne comporte aucune mesure des niveaux de bruits résiduels prévisionnels du futur parc éolien pour des vitesses de vent inférieures à 5 mètres par seconde, il n’est pas contesté que les éoliennes sont à l’arrêt pour des vitesses de vent inférieures ou égales à 3 mètres seconde ; qu’à supposer utile un calcul relatif à une vitesse de vent inférieure à 4 mètres par seconde, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu des très faibles valeurs d’émergence à 4 mètres par seconde, que cette omission aurait eu pour objet ou pour effet de masquer une méconnaissance des valeurs réglementaires limites à cette vitesse du vent ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme E…et l’association  » Défense de l’environnement – L’air Libre  » ne sont pas fondées à soutenir que le volet acoustique de l’étude d’impact n’aurait pas été en relation avec l’importance des travaux et aménagements projetés au sens des dispositions précitées du I de l’article R. 122-3 du code de l’environnement ;

S’agissant de la prise en compte, par le volet paysager de l’étude d’impact, des monuments historiques :

6. Considérant que l’étude paysagère, telle que complétée en octobre 2010, comporte une analyse des covisibilités du parc avec les monuments historiques, dont le donjon du château de Grand-Fougeray, dit la tour de Duguesclin, monument classé situé à 5 400 mètres de l’éolienne la plus proche ; que contrairement à ce que soutiennent Mme E…et l’association  » Défense de l’environnement – L’air Libre  » il ne ressort pas des pièces du dossier que les éoliennes en cause seront visibles depuis les abords de la tour Duguesclin, dès lors notamment que ce site est entouré de boisements empêchant toute vue vers les éoliennes depuis le parc entourant cette tour ; qu’il résulte de plus des productions au contentieux de la société exploitante non utilement contestées par les intimés que les aérogénérateurs en cause ne seront que modérément perceptibles depuis le dernier étage du monument, lequel n’est accessible qu’exceptionnellement ; que dans ces conditions l’étude d’impact comportait les indications suffisantes quant à l’impact du projet de parc éolien sur les perspectives de ce donjon ;

En ce qui concerne la régularité de l’enquête publique :
7. Considérant qu’aux termes de l’article R. 123-22 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable à la présente espèce :  » (…) Le commissaire enquêteur (…) établit un rapport qui relate le déroulement de l’enquête et examine les observations recueillies. Le commissaire enquêteur (…) consigne, dans un document séparé, ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non à l’opération (…)  » ; qu’en application de ces dispositions, le commissaire enquêteur, qui n’est pas tenu de répondre à chacune des observations présentées au cours de l’enquête publique, doit donner son avis personnel en précisant s’il est ou non favorable et indiquer au moins sommairement, les raisons qui en déterminent le sens ;

8. Considérant que le rapport établi par le commissaire-enquêteur comporte une première partie intitulée  » rapport d’enquête  » qui rappelle l’objet de l’enquête ainsi que les conditions de son organisation et de la publicité dont elle a fait l’objet ; que le commissaire-enquêteur y décrit le contenu du dossier d’enquête, les actions qu’il a menées et y analyse les observations exprimées en cours d’enquête ; que la seconde partie du rapport, relative aux  » conclusions de l’enquête « , débute par des  » considérations générales « , se poursuit par un  » examen des observations « , consistant à rendre compte de la réponse apportée par le commissaire-enquêteur aux principales observations émises par les participants à l’enquête publique, et s’achève par des  » conclusions générales  » dont l’énoncé est le suivant :  » Après avoir longuement étudié les avantages et les contraintes proposés lors des demandes de permis de construire dans le cadre d’un projet de création de quatre éoliennes, après avoir analysé l’ensemble des observations et étudiées plus particulièrement certaines d’entre elles, j’émets un AVIS FAVORABLE à ce projet de parc éolien sur les communes de La Dominelais et Le Grand-Fougeray au lieudit La Lande du Haut Bout qui a fait l’objet de la présente enquête publique  » ;

9. Considérant que cette dernière mention ne permet pas de déterminer, même de manière sommaire, les motifs pour lesquels le commissaire-enquêteur a rendu un avis favorable ; que la compréhension des motifs ayant conduit le commissaire-enquêteur à émettre cet avis favorable ne peut pas davantage ressortir des mentions émises par ce dernier à propos des observations recueillies auprès du public, et qui portent, soit sur la démonstration de ce que l’ensemble des règles relatives à la publicité de l’enquête ont été respectées, soit sur les engagements pris par l’exploitant en vue de satisfaire à certaines critiques des riverains ; qu’ainsi l’avis favorable émis par le commissaire-enquêteur sur le projet en litige, qui ne peut être regardé comme assorti des raisons qui le déterminent, est intervenu en méconnaissance des dispositions précitées de l’article R. 123-22 du code de l’environnement ; que cette irrégularité, qui a privé le public de la garantie qui s’attache à l’expression d’une position personnelle du commissaire enquêteur, est de nature à entacher la légalité des permis en litige ;

10. Considérant qu’il résulte de ce qui précède au point 9 que la société IEL Exploitation 6 n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé les permis de construire qui lui ont été délivrés le 6 juillet 2011 ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme E…et l’association  » Défense de l’environnement – L’air Libre « , qui n’ont pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, la somme que demande la société IEL Exploitation 6 au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de cette société le versement à Mme E…et l’association  » Défense de l’environnement – L’air Libre  » d’une somme au même titre ;

DÉCIDE :
Article 1 : La requête présentée par la société IEL Exploitation 6 est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par Mme E…et l’association  » Défense de l’environnement – L’air Libre  » au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société IEL Exploitation 6, à Mme A…E…et à l’association  » Défense de l’environnement – L’air Libre « .
Copie en sera adressée au ministre du logement et de l’habitat durable.

Délibéré après l’audience du 18 mars 2016, à laquelle siégeaient :

– M. Lenoir, président de chambre,
– M. Francfort, président-assesseur,
– M. Mony, premier conseiller.

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