Vu la procédure suivante :
M. B. A. a demandé à la cour administrative d’appel de Bordeaux d’annuler l’arrêté du 29 juillet 2019 par lequel la préfète des Deux-Sèvres a délivré une autorisation environnementale à la société Ferme éolienne de Saint-Maurice pour l’implantation et l’exploitation, sur le territoire de la commune de Saint-Maurice-Etusson, d’un parc éolien comportant six éoliennes. Par un arrêt n° 19BX04539 du 28 septembre 2021, la cour administrative d’appel a, d’une part, annulé cet arrêté en tant qu’il ne comporte pas la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces animales non domestiques et de leurs habitats prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement, d’autre part, suspendu l’exécution de cet arrêté jusqu’à la délivrance de la dérogation prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement, enfin, sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la requête de M. A., jusqu’à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la notification de l‘arrêt, pour permettre à la société titulaire de l’autorisation de notifier le cas échéant à la cour une mesure de régularisation du vice tenant aux insuffisances du volet écologique de l’étude d’impact sur les chiroptères.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 novembre 2021 et 4 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Ferme éolienne de Saint-Maurice demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête de M. A. ;
3°) de mettre à la charge de M. A. la somme de 4 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d’Etat,
– les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de la société Ferme éolienne de Saint-Maurice et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. A. ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par un arrêté du 29 juillet 2019, la préfète des Deux-Sèvres a délivré à la société Ferme éolienne de Saint-Maurice une autorisation environnementale afin de construire et exploiter une installation comprenant six éoliennes sur le territoire de la commune de Saint-Maurice-Etusson. Saisie par M. A., la cour administrative d’appel de Bordeaux a, par un arrêt du 28 septembre 2021, annulé cet arrêté en tant qu’il ne comportait pas la dérogation prévue par l’article L. 411-2 du code de l’environnement, suspendu l’exécution de cet arrêté jusqu’à la délivrance de la dérogation et sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la requête de M. A., jusqu’à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la notification de l’arrêt, afin de permettre à la société Ferme éolienne de Saint-Maurice de notifier à la cour une mesure de régularisation du vice tenant aux insuffisances du volet écologique de l’étude d’impact sur les chiroptères.
2. Aux termes de l’article L. 181-18 du code de l’environnement : « I.- Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu’un vice n’affecte qu’une phase de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et demander à l’autorité administrative compétente de reprendre l’instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d’irrégularité ; / 2° Qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations […] ».
Sur l’arrêt en tant qu’il sursoit à statuer dans l’attente d’une mesure de régularisation de l’étude d’impact :
3. Aux termes du I de l’article R. 122-5 du code de l’urbanisme, qui définit le contenu de l’étude d’impact, celui-ci « doit être proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d’être affectée par le projet, à l’importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l’environnement ou la santé humaine ». Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative.
4. Il résulte de ce qui précède qu’en se bornant à relever, d’une part, le caractère insuffisant de l’étude d’impact, au motif que celle-ci reposait sur une mauvaise analyse du nombre et des espèces de chiroptères présentes sur le site à défaut d’écoutes en altitude, d’autre part, la possibilité d’une régularisation par un complément d’étude d’impact et, le cas échéant, une enquête publique complémentaire et une autorisation modificative, pour juger qu’il y avait lieu, en application des dispositions du 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, d’inviter la société titulaire de l’autorisation à solliciter une telle mesure de régularisation, la cour, qui ne pouvait omettre de rechercher au préalable si les insuffisances constatées avaient eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative et donc à entraîner l’illégalité de la décision prise, a entaché son arrêt d’une erreur de droit.
Sur l’arrêt en tant qu’il annule partiellement l’autorisation en raison de l’absence de dérogation au titre de l’article L. 411-2 du code de l’environnement :
5. La société Ferme Eolienne de Saint-Maurice reproche à l’arrêt attaqué d’avoir prononcé l’annulation partielle de l’autorisation environnementale qui lui avait été délivrée au motif de l’absence de dérogation au titre de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, alors qu’elle avait demandé qu’il soit fait usage de la possibilité de régularisation prévue par le 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement.
6. La faculté ouverte par les dispositions précitées du 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement relève de l’exercice d’un pouvoir propre du juge, qui n’est pas subordonné à la présentation de conclusions en ce sens. Lorsqu’il n’est pas saisi de telles conclusions, le juge du fond peut toujours mettre en oeuvre cette faculté, mais il n’y est pas tenu, son choix relevant d’une appréciation qui échappe au contrôle du juge de cassation. En revanche, lorsqu’il est saisi de conclusions en ce sens, le juge est tenu de mettre en oeuvre les pouvoirs qu’il tient du 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement si les vices qu’il retient apparaissent, au vu de l’instruction, régularisables. Dans cette hypothèse, il ne peut substituer l’annulation partielle prévue au 1° du I du même article à la mesure demandée.
7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Ferme éolienne de Saint-Maurice avait demandé à la cour administrative d’appel de surseoir à statuer, en application des dispositions du 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, pour lui permettre de solliciter la délivrance de la dérogation prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Dès lors, en prononçant une annulation partielle de l’autorisation en tant qu’elle ne comportait pas la dérogation prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement, alors qu’elle relevait, en suspendant l’autorisation jusqu’à la délivrance de la dérogation en cause, qu’un tel vice était susceptible d’être régularisé, la cour administrative a entaché son arrêt d’une erreur de droit.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l’arrêt attaqué de la cour administrative d’appel de Bordeaux doit être annulé.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. A. la somme de 3 000 € à verser à la société Ferme éolienne de Saint-Maurice au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Ferme éolienne de Saint-Maurice, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
Décide :
Article 1er : L’arrêt du 28 septembre 2021 de la cour administrative d’appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 3 : M. A. versera à la société Ferme éolienne de Saint-Maurice une somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. A. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Ferme éolienne de Saint-Maurice à M. B. A. et au ministre de la transition écologique et de la cohésion et des territoires.