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Environnement : épandage des pesticides et protection des populations, quelles règles ?

Arrêt rendu par Conseil d’Etat
04-12-2023
n° 460892
Texte intégral :
Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 460892, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 janvier 2022 et 3 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Collectif des maires anti-pesticides et l’association Agir pour l’environnement demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-62 du 25 janvier 2022 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation et l’arrêté du 25 janvier 2022 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 461521, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 15 février 2022 et 21 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. C. D., M. H. E., l’EARL Domaine Giachino, M. G. B., M. A. F. et M. I. J. demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 25 janvier 2022 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles suivantes : « Les risques d’exposition des personnes tels qu’ils sont définis au point 7.2.2.1 de la section 7 de la partie A de l’annexe du règlement (UE) n° 284/2013 de la Commission du 1er mars 2013 sont-ils uniquement encourus par les personnes présentes à proximité des lieux de traitement de façon régulière ou sont-ils encourus par toute personne définie aux points c) et d) du 7.2 de la section 7 de la partie A de l’annexe du même règlement ? Au regard de la réponse à la première question, les règles d’utilisation des produits phytopharmaceutiques protégeant toute personne définie aux points c) et d) du 7.2 de la section 7 de la partie A de l’annexe du même règlement peuvent-elles faire l’objet d’une restriction liée à une présence de façon régulière ? » ;

3°) d’enjoindre au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique, au ministre des solidarités et de la santé, au ministre de l’économie, des finances et de la relance et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard, de prendre un arrêté conforme à la décision du Conseil d’Etat du 26 juillet 2021, au principe d’égalité, à l’objectif de protection de la santé publique, aux principes de préservation et d’amélioration de l’environnement et au droit de participation du public à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 € par requérant au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

3° Sous le n° 462555, par une requête enregistrée le 22 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association les Amis de la Terre en Haute-Savoie présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que dans la requête enregistrée sous le n° 461521 visée au 2°.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mai 2023, le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique qui n’ont pas produit de mémoire.

4° Sous le n° 474338, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 mai et 28 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. C. D. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 14 février 2023 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles suivantes : « Les risques d’exposition des personnes tels qu’ils sont définis au point 7.2.2.1 de la section 7 de la partie A de l’annexe du règlement (UE) n° 284/2013 de la Commission du 1er mars 2013 sont-ils uniquement encourus par les personnes présentes à proximité des lieux de traitement de façon régulière ou sont-ils encourus par toute personne définie aux points c) et d) du 7.2 de la section 7 de la partie A de l’annexe du même règlement ? Au regard de la réponse à la première question, les règles d’utilisation des produits phytopharmaceutiques protégeant toute personne définie aux points c) et d) du 7.2 de la section 7 de la partie A de l’annexe du même règlement peuvent-elles faire l’objet d’une restriction liée à une présence de façon régulière ? » ;

3°) d’enjoindre au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique, au ministre des solidarités et de la santé, au ministre de l’économie, des finances et de la relance et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard, de prendre un arrêté conforme à la décision du Conseil d’Etat du 26 juillet 2021, au principe d’égalité, à l’objectif de protection de la santé publique et aux principes de préservation et d’amélioration de l’environnement, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

– la Constitution, notamment la Charte de l’environnement à laquelle renvoie son Préambule ;

– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

– la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;

– le règlement (UE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du conseil du 21 octobre 2009 ;

– le code de l’environnement ;

– le code rural et de la pêche maritime ;

– l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Muriel Deroc, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 26 juillet 2021, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a annulé partiellement, en premier lieu, l’article 1er du décret du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation, relatif aux chartes d’engagements des utilisateurs de produits phytopharmaceutiques et, en second lieu, l’arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques en tant, notamment, d’une part, qu’il prévoit des distances de sécurité insuffisantes pour les produits classés comme suspectés d’être cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR 2) et, d’autre part, qu’il ne prévoit pas de dispositions destinées à protéger les personnes travaillant à proximité des zones d’utilisation des produits phytopharmaceutiques, et a enjoint au Premier ministre et aux ministres concernés de prendre les mesures réglementaires qu’impliquaient les annulations prononcées par sa décision dans un délai de six mois à compter de sa notification. Le décret du 25 janvier 2022 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation et les arrêtés du 25 janvier 2022 et du 14 février 2023 relatifs aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et modifiant l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ont été pris pour l’exécution de cette décision.

Sur le cadre juridique applicable :

2. D’une part, aux termes de l’article 12 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable : « Les Etats membres, tenant dûment compte des impératifs d’hygiène, de santé publique et de respect de la biodiversité ou des résultats des évaluations des risques appropriées, veillent à ce que l’utilisation de pesticides soit restreinte ou interdite dans certaines zones spécifiques. […] Les zones spécifiques en question sont : / a) les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables au sens de l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 […]. » Le règlement du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil prévoit, à son article 3, que font partie de ces groupes vulnérables « les femmes enceintes et les femmes allaitantes, les enfants à naître, les nourrissons et les enfants, les personnes âgées et les travailleurs et habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme ».

3. D’autre part, aux termes du I de l’article L. 253-7 code rural et de la pêche maritime : « I. – […] l’autorité administrative peut, dans l’intérêt de la santé publique ou de l’environnement, prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l’utilisation et la détention des produits mentionnés à l’article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits. […] / L’autorité administrative peut interdire ou encadrer l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, et notamment : / 1° Sans préjudice des mesures prévues à l’article L. 253-7-1, les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables au sens de l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 ; […]. » Aux termes du III de l’article L. 253-8 du même code : « III.-A l’exclusion des produits de biocontrôle […], des produits composés uniquement de substances de base ou de substances à faible risque […], l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d’agrément contiguës à ces bâtiments est subordonnée à des mesures de protection des personnes habitant ces lieux. Ces mesures tiennent compte, notamment, des techniques et matériels d’application employés et sont adaptées au contexte topographique, pédoclimatique, environnemental et sanitaire. Les utilisateurs formalisent ces mesures dans une charte d’engagements à l’échelle départementale, après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées avec un produit phytopharmaceutique. / Lorsque de telles mesures ne sont pas mises en place, ou dans l’intérêt de la santé publique, l’autorité administrative peut, sans préjudice des missions confiées à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, restreindre ou interdire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones définies au premier alinéa du présent III. / Un décret précise les conditions d’application du présent III. » Aux termes de l’article L. 253-17 du même code : « Est puni de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 150 000 €, dont le montant peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits : / 1° Le fait d’utiliser un produit visé à l’article L. 253-1 ou des semences traitées par ces produits en ne respectant pas des conditions d’utilisation conformes aux dispositions de l’article 55 du règlement (CE) n° 1107/2009, ou en méconnaissance des dispositions des articles L. 253-7, L. 253-7-1 ou L. 253-8 ou des dispositions prises pour leur application ; […] / 4° Le fait de ne pas respecter les prescriptions édictées par les agents habilités à procéder à la recherche et à la constatation des manquements aux dispositions mentionnées au I de l’article L. 250-1 en application de l’article L. 253-13. »

4. Aux termes de l’article D. 253-46-1-2 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret attaqué : « L’utilisation des produits phytopharmaceutiques mentionnée au III de l’article L. 253-8 est réalisée dans le cadre de chartes d’engagements des utilisateurs, qui intègrent au moins les mesures de protection suivantes : / – des modalités d’information des résidents ou des personnes présentes au sens du règlement (UE) 284/2013 ; / – les distances de sécurité et les mesures apportant des garanties équivalentes définies en application de l’article L. 253-7 ; / [quatrième alinéa] – des modalités de dialogue et de conciliation entre les utilisateurs et les habitants concernés ; / Les chartes peuvent également inclure : / [sixième alinéa] – des modalités d’information préalable, y compris des délais de prévenance des résidents ; / – le recours à des techniques ou moyens de réduction de la dérive ou de l’exposition des résidents ou des personnes présentes au sens du règlement (UE) 284/2013 ; / – des bonnes pratiques pour l’application des produits phytopharmaceutiques ; / – des modalités relatives aux dates ou horaires de traitements les plus adaptés ; / – des modalités pratiques d’application des distances de sécurité ou de déploiement de mesures anti-dérives. » L’article 1er du décret du 25 janvier 2022 attaqué insère, d’une part, après le quatrième alinéa de l’article D. 253-46-1-2 précité un alinéa ainsi rédigé : « – des modalités d’information des résidents et des personnes présentes au sens du règlement (UE) n° 284/2013 préalables à l’utilisation des produits ; » et supprime le sixième alinéa de ce même article. D’autre part, il insère, après ce même article, trois articles, dont un article D. 253-46-1-3 ainsi rédigé : « Pour les usages agricoles, les organisations syndicales représentatives opérant à l’échelle du département ou la chambre départementale d’agriculture proposent au préfet, à sa demande ou de leur propre initiative, les projets de chartes d’engagements mentionnées au III de l’article L. 253-8. Elles peuvent concerner tout ou partie de l’activité agricole du département. / Chaque charte d’engagements précise les modalités de son élaboration. »

5. L’arrêté du 4 mai 2017, dans sa version antérieure aux arrêtés attaqués, disposait à l’article 14-1 que : « En l’absence de distance de sécurité spécifique fixée par l’autorisation de mise sur le marché du produit concerné, une distance de sécurité minimale de 20 mètres qui ne peut être réduite est requise pour les traitements des parties aériennes des plantes réalisés à proximité des lieux mentionnés […] au III de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime avec un produit phytopharmaceutique : / – présentant une des mentions de danger suivantes : […], ou / – contenant une substance active considérée comme ayant des effets perturbateurs endocriniens néfastes pour l’homme selon les critères du paragraphe 3.6.5 de l’annexe II du règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 […]. » Il disposait à l’article 14-2, relatif aux autres produits phytopharmaceutiques, que : « I.- En l’absence de distance de sécurité spécifique fixée par l’autorisation de mise sur le marché du produit concerné, et à l’exclusion des produits de biocontrôle mentionnés à l’article L. 253-6 du code rural et de la pêche maritime, des produits composés uniquement de substances de base ou de substances à faible risque au sens du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009, le traitement en milieu non fermé des parties aériennes des plantes réalisé à proximité des lieux mentionnés […] au III de l’article L. 253-8 du même code est subordonné au respect d’une distance de sécurité minimale de : / – 10 mètres pour l’arboriculture, la viticulture, les arbres et arbustes, la forêt, les petits fruits et cultures ornementales de plus de 50 cm de hauteur, les bananiers et le houblon ; / – 5 mètres pour les autres utilisations agricoles et non agricoles. / […] II.- Ces distances peuvent être adaptées dans les conditions prévues à l’annexe 4 lorsque le traitement est réalisé à proximité des lieux mentionnés au III de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime et que des mesures apportant des garanties équivalentes en matière d’exposition des résidents par rapport aux conditions normales d’application des produits sont mises en oeuvre conformément à des chartes d’engagements approuvées par le préfet. / Ces mesures consistent en la mise en oeuvre d’un ou plusieurs moyens permettant de maîtriser le risque d’exposition des résidents ou des personnes présentes, par type de culture et de matériel, conformément aux recommandations de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). » L’article 1er de l’arrêté du 25 janvier 2022 attaqué modifie l’arrêté du 4 mai 2017 en insérant les mots : « ainsi que des lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière à proximité de ces traitements » après les mots : « lieux mentionnés […] au III de l’article L. 253-8 [du code rural et de la pêche maritime » notamment au premier alinéa de l’article 14-1, au premier alinéa du I de l’article 14-2, et au premier alinéa du II de l’article 14-2. Aux termes de l’article 2 de ce même arrêté : « Les distances minimales de sécurité applicables aux lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière mentionnés au I de l’article 14-2 de l’arrêté du 4 mai 2017 […] dans sa rédaction résultant du présent arrêté sont applicables à compter du 1er juillet 2022 aux parcelles déjà emblavées au titre d’un cycle cultural à la date de publication du présent arrêté. » Enfin, l’article 1er de l’arrêté du 14 février 2023 attaqué insère après l’article 14-1 de l’arrêté du 4 mai 2017 susvisé, qui concerne notamment les produits contenant une substance active considérée comme ayant des effets perturbateurs endocriniens néfastes pour l’homme, un article 14-1-1 ainsi rédigé : « Sans préjudice des dispositions de l’article 14-1, en l’absence de distance de sécurité spécifique fixée par l’autorisation de mise sur le marché du produit concerné, une distance de sécurité minimale de 10 mètres, qui ne peut être réduite en application de l’article 14-2, est applicable aux traitements des parties aériennes des plantes réalisés à proximité des lieux mentionnés […] au III de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime ainsi que des lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière à proximité de ces traitements pour les usages des produits phytopharmaceutiques mentionnés à l’annexe 5 », cette annexe listant les produits phytopharmaceutiques contenant une substance classée comme suspectée d’être cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction (CMR 2).

6. Par la requête enregistrée sous le n° 460892, le Collectif des maires anti-pesticides et l’association Agir pour l’environnement demandent l’annulation du décret du 25 janvier 2022 ainsi que celle de l’arrêté du 25 janvier 2022. Par les requêtes enregistrées sous les nos 461521 et 462555, M. D. et autres, d’une part, et l’association les Amis de la Terre en Haute-Savoie, d’autre part, demandent l’annulation du même arrêté du 25 janvier 2022. Enfin, par la requête enregistrée sous le n° 474338, M. D. doit être regardé comme demandant l’annulation de l’article 1er de l’arrêté du 14 février 2023 en ce qu’il restreint le champ d’application de la distance de sécurité minimale prévue au nouvel article 14-1-1 de l’arrêté du 4 mars 2017 aux lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière. Ces requêtes présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la légalité externe du décret et de l’arrêté du 25 janvier 2022 attaqués :

En ce qui concerne les moyens dirigés tant contre le décret que contre l’arrêté :

7. Aux termes de l’article 7 de la Charte de l’environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. » Aux termes de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement : « I. – Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l’article 7 de la Charte de l’environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l’environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. […] / II. – Sous réserve des dispositions de l’article L. 123-19-6, le projet d’une décision mentionnée au I, accompagné d’une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique […]. / Les observations et propositions du public, déposées par voie électronique ou postale, doivent parvenir à l’autorité administrative concernée dans un délai qui ne peut être inférieur à vingt et un jours à compter de la mise à disposition prévue au même premier alinéa. Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l’expiration d’un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d’une synthèse de ces observations et propositions. Sauf en cas d’absence d’observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de la clôture de la consultation. / […] Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l’autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l’indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision. / […]. »

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la consultation du public organisée, en application de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement, sur les projets correspondant au décret et à l’arrêté attaqués, a été ouverte entre le 21 décembre 2021 et le 11 janvier 2022. Dès lors que le délai de 21 jours prévu par l’article L. 123-19-1 du code l’environnement a été respecté, la circonstance que la période de consultation n’aurait, selon les requérants, pas été propice est sans incidence sur la légalité des textes attaqués.

9. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la note de présentation de la consultation du public, qui indique que le décret et l’arrêté modificatifs visent à répondre à la demande du Conseil d’Etat, que le projet de décret établit une nouvelle procédure d’élaboration et d’approbation des chartes d’engagements des utilisateurs, que ces chartes devront nécessairement préciser les modalités d’information des résidents et des personnes présentes préalablement à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et que le projet d’arrêté étend aux personnes travaillant à proximité des zones traitées les dispositions en place pour la protection des personnes habitant à proximité de ces zones, apporte des précisions suffisantes sur les projets de décision en cause.

10. En troisième lieu, le Collectif des maires anti-pesticides et l’association Agir pour l’environnement n’apportent aucun élément concret de nature à établir que l’application de la méthodologie d’analyse des observations et des propositions du public retenue, décrite dans la synthèse publiée à l’issue de la consultation, aurait conduit à ce que des observations ou des contributions ne soient pas prises en compte. Par suite, ils ne sont pas fondés à soutenir que les résultats de la concertation n’auraient pas été pris en considération.

11. En quatrième lieu, la circonstance qu’il n’aurait été tiré aucune conséquence des observations formulées par le public à l’occasion de cette consultation est, par elle-même, sans incidence sur la légalité du décret et de l’arrêté attaqués.

En ce qui concerne le moyen dirigé contre le seul arrêté du 25 janvier 2022 :

12. Si les dispositions des articles L. 120-1 et L. 123-19-1 du code de l’environnement, qui précisent les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement est applicable aux actes réglementaires de l’Etat ayant une incidence directe et significative sur l’environnement, impliquent que ces projets d’acte fassent l’objet d’une publication préalable permettant au public de formuler des observations, elles n’imposent de procéder à une nouvelle publication pour recueillir des observations du public sur les modifications qui sont ultérieurement apportées au projet de décision, au cours de son élaboration, que lorsque celles-ci ont pour effet de dénaturer le projet sur lequel ont été initialement recueillies les observations du public.

13. Il ressort des pièces du dossier qu’à l’issue de la consultation du public, le projet d’arrêté a été modifié pour prévoir, dans un article 2, le report au 1er juillet 2022 de l’application des distances minimales de sécurité applicables aux lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière, prévues à l’article 1er, pour les parcelles déjà emblavées au titre d’un cycle cultural. Contrairement à ce qui est allégué par les requérants, cette modification n’a pas eu pour effet de dénaturer le projet sur lequel ont été initialement recueillies les observations du public et n’exigeait pas l’organisation d’une nouvelle consultation.

14. Il ressort de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret et l’arrêté attaqués auraient été adoptés en méconnaissance de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement.

Sur la légalité interne du décret et des deux arrêtés attaqués :

En ce qui concerne les moyens dirigés tant contre le décret que contre l’arrêté du 25 janvier 2022 :

15. C’est par l’arrêté du 14 février 2023, mentionné au point 5, que le Gouvernement a tiré les conséquences de l’annulation, prononcée par la décision du 26 juillet 2021 du Conseil d’Etat, statuant au contentieux, de l’article 8 de l’arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants, en tant qu’il ne prévoit pas de distances de sécurité suffisantes pour l’utilisation des produits classés comme suspectés d’être cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR 2). Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le décret et l’arrêté du 25 janvier 2022, dont tel n’est pas l’objet, seraient entachés d’erreur manifeste d’appréciation et méconnaîtraient le principe de précaution, ainsi que l’autorité de la chose jugée par la décision du 26 juillet 2021, faute de prévoir de telles distances.

En ce qui concerne le moyen dirigé contre le seul décret du 25 janvier 2022 :

16. Ainsi qu’il a été rappelé au point 3, une utilisation des produits phytopharmaceutiques qui méconnaîtrait les conditions d’utilisation prévues par les chartes d’engagements expose le contrevenant aux sanctions prévues à l’article L. 253-17 du code rural et de la pêche maritime. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret serait entaché d’erreur manifeste d’appréciation en prévoyant des chartes d’engagements qui ne comporteraient ni dispositif de contrôle, ni sanction en cas de non-respect des engagements.

En ce qui concerne les moyens dirigés tant contre l’arrêté du 25 janvier 2022 que contre l’arrêté du 14 février 2023 :

17. Il résulte des dispositions des articles L. 253-7 et L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime citées au point 3, transposant la directive du 21 octobre 2009, citée au point 2, qu’il appartient à l’autorité administrative de prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de prescription particulière, s’agissant de la mise sur le marché, de la délivrance, de l’utilisation et de la détention de produits phytopharmaceutiques, qui s’avère nécessaire à la protection de la santé publique ou de l’environnement, en particulier dans des zones utilisées par des groupes vulnérables au sens de l’article 3 du règlement du 21 octobre 2009, cité au point 2, lesquels incluent les travailleurs et habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme, ou nécessaire à la protection de la santé des personnes habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées. Il résulte de ces dispositions qu’il convient de prévoir une protection adaptée pour les travailleurs qui, au même titre que les habitants, peuvent être fortement exposés aux pesticides sur le long terme et, à cette fin, de distinguer, d’une part, les personnes qui, au même titre que les habitants, travaillent ou fréquentent une institution à proximité des espaces traités avec des produits phytopharmaceutiques, conduisant à une exposition répétée à ces produits et, d’autre part, les personnes, y compris les travailleurs, qui se trouveraient exposés de manière ponctuelle à ces produits à raison de leur présence occasionnelle dans un espace où un produit phytopharmaceutique est ou a été appliqué, ou un espace adjacent, à une fin autre que celle de travailler dans l’espace traité ou avec le produit traité, et pour lesquelles, ainsi que le souligne le ministre, une protection adéquate peut être assurée par d’autres moyens tels que l’information préalable au traitement. Par suite, et sans qu’il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle en l’absence de difficulté sérieuse d’interprétation du droit de l’Union européenne, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu’en prévoyant que les mesures de protection prévues en cas de traitement avec un produit phytopharmaceutique à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités sont étendues en cas de traitement avec un tel produit à proximité des lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière, les auteurs de ces arrêtés auraient méconnu l’autorité de la chose jugée par la décision du 26 juillet 2021 du Conseil d’Etat, statuant au contentieux, les règles de protection de la santé des personnes issues du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ou le principe d’égalité des travailleurs au regard de leur droit à protection.

18. En second lieu, ainsi qu’il est dit au point précédent, les arrêtés attaqués précisent que l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière est subordonnée au respect, par les utilisateurs, de distances de sécurité, lesquelles sont par ailleurs définies soit par l’autorisation de mise sur le marché, soit par les dispositions de l’arrêté du 4 mai 2017 citées au point 5. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le pouvoir réglementaire n’aurait pas défini avec suffisamment de précision les lieux auxquels s’applique l’obligation.

En ce qui concerne le moyen dirigé contre le seul arrêté du 25 janvier 2022 :

19. Ainsi qu’il a été rappelé au point 5, l’article 2 de l’arrêté attaqué reporte au 1er juillet 2022 l’application des distances minimales de sécurité applicables aux lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière, prévues à l’article 1er, pour les parcelles déjà emblavées au titre d’un cycle cultural. Une telle entrée en vigueur différée, compte tenu de sa durée, de sa portée limitée et de l’objectif poursuivi de sécurité des exploitants concernés, ne méconnaît pas l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime.

20. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation du décret et des arrêtés attaqués. Par suite, leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées.

Décide :

Article 1er : Les requêtes du Collectif des maires anti-pesticides et de l’association Agir pour l’environnement, de M. D. et autres, de l’association les Amis de la Terre en Haute-Savoie, et de M. D. sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au Collectif des maires anti-pesticides, à l’association Agir pour l’environnement, à M. C. D., premier requérant dénommé, à l’association les Amis de la Terre en Haute-Savoie, à la Première ministre, au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de la santé et de la prévention.

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