La comptabilité en droit de l’urbanisme
Par Jean-Pierre Lebreton, Professeur de droit public à l’université d’Auvergne (Clermont-Ferrand 1)
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La notion de compatibilité, présente depuis longtemps dans le droit de l’urbanisme (1), ne suscitait pas une attention particulière jusqu’à ce que se posât le problème des effets des schémas directeurs. Elle fut alors sollicitée pour rendre compte des écarts que la jurisprudence admet entre les prévisions des schémas et leurs mesures de mise en oeuvre.
Depuis l’arrêt de principe du 22 février 1974, Adam et autres, l’administration paraît disposer d’une marge de jeu appréciable (2). C’est ainsi qu’un équipement important peut être réalisé dans des conditions différentes de celles prévues par le schéma (dans l’affaire Adam, l’autoroute contestée passe non par la vallée comme l’envisage le schéma, mais sur des hauteurs, 4,5 km plus loin). Un équipement peut dans certains cas être réalisé, alors même que le schéma ne l’envisage pas (3).
Il peut même contredire une option du document pour autant qu’il contribue à l’accomplissement d’une autre option, prioritaire par rapport à la première ; ce degré supérieur de souplesse a bénéficié à l’Opéra de la Bastille : la modification du POS de Paris, afin d’admettre dans le secteur intéressé des édifices d’une hauteur maximale de 48 mètres, heurte bien le choix affiché par le schéma directeur de Paris que « le plafond des hauteurs et les verticales sur rue des bâtiments soient réduits » ; mais elle permet la réalisation d’un équipement culturel qui contribue au rééquilibrage à l’est de la capitale, autre choix du schéma qui, aux yeux du Conseil d’Etat, prévaut sur le précédent (4).
Une telle élasticité s’expliquerait par la nature particulière de l’opposabilité des schémas directeurs : alors qu’ordinairement une norme s’impose par l’obligation qu’ont les mesures de mise en oeuvre de s’y conformer, la loi d’orientation foncière de 1967 prévoit pour les schémas directeurs un rapport de simple compatibilité (disposition codifiée art. L. 122-1 in fine ). Le Conseil d’Etat s’est saisi de cette notion pour justifier une souplesse d’application, que la doctrine a tenté de mesurer (5). Selon les éminents auteurs des Grands arrêts du droit de l’urbanisme, « La compatibilité apparaît comme une notion souple étroitement liée aux considérations d’espèce et inspirée du souci de ne pas remettre en cause l’économie du projet de croissance sans pour autant figer le détail de sa réalisation. De la sorte, on peut s’éloigner du schéma mais certainement pas le contrarier (6) ».
Ce rapport souple de compatibilité plutôt que de conformité s’appliquerait non seulement aux schémas directeurs, mais aussi :
– aux prescr1ptions, nationales et particulières à certaines régions, fixées en application de lois d’aménagement et d’urbanisme ; l’article L. 111-1-1 du Code de l’Urbanisme pose en effet que « les schémas directeurs, les schémas de secteur, les plans d’occupation des sols et les documents en tenant lieu doivent être compatibles avec leurs dispositions » ;
– aux documents auxquels la loi confère les mêmes effets qu’aux prescr1ptions, à savoir les schémas d’aménagement régional (art. L. 141-1 in fine pour l’île-de-France, L. 144-2 pour la Corse et loi du 2 août 1984 pour l’outre-mer) et les schémas de mise en valeur de la mer (art. 57 de la loi du 7 janvier 1983) ;
– aux lois d’aménagement et d’urbanisme ; certaines l’ont prévu, la loi relative à l’urbanisme autour des aérodromes (art. L. 147-1 du Code de l’Urbanisme) et l’article 41-4 de la loi du 18 juillet 1985 pour le déclassement des enceintes fortifiées de Lille et Paris ; pour les autres lois, la doctrine leur prête cette opposabilité par une interprétation de l’article L. 111-1-1 du Code de l’Urbanisme selon laquelle la nature de l’opposabilité retenue pour les prescr1ptions s’étendrait aux lois en application desquelles elles peuvent être adoptées (7).
Ainsi ces actes et documents constitueraient parmi les prévisions d’urbanisme une catégorie particulière qui s’opposerait à celle des règles qui imposent aux actes de mise en oeuvre une stricte obligation de conformité – notamment les POS et les documents en tenant lieu, les règles générales de l’urbanisme et les règlements de lotissements (8).
Une signification discutable
Bien qu’elle soit très généralement admise, cette conception de la compatibilité et des effets qui y seraient attachés ne convainc pas.
Il faut tout d’abord relever des situations singulières d’opposabilité variable. C’est le cas du POS : le permis de construire et l’autorisation de lotissement sont tenus de se conformer au plan (art. L. 421-1 et R. 315-28 du Code de l’Urbanisme) ; en revanche, les autres autorisations relatives à l’occupation du sol peuvent se suffire d’une simple compatibilité (art. R. 123-26 du Code de l’Urbanisme). C’est aussi le cas de trois lois d’aménagement et d’urbanisme – celles relatives au développement et à la protection de la montagne, à l’urbanisme au voisinage des aérodromes et à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral – ; d’après l’article L. 111-1-1 du Code de l’Urbanisme, les documents locaux d’urbanisme doivent être « simplement » compatibles avec ces lois ; mais, comme elles se déclarent « opposables (9) » ou « applicables (10) » aux autorisations individuelles d’urbanisme, il a été admis que les actes en question sont tenus à une obligation de conformité (11). On cherche en vain l’explication logique de ces différences de traitement ; mais on est surtout troublé à l’idée qu’un permis de construire accordé en application d’un POS compatible avec une loi d’aménagement et d’urbanisme pourrait être néanmoins déclaré illégal, sous prétexte que lui ne serait pas en conformité avec cette loi (12) ; la double souplesse d’opposabilité de la loi d’aménagement et d’urbanisme par rapport au POS et du POS par rapport à une autorisation d’installations et de travaux divers ne dispense pas cette dernière de se conformer à la loi…
Le crédit du droit de l’urbanisme est-il si grand que puisse être ainsi imaginée la perpétuation d’incohérences vigoureusement et très justement dénoncées dans un état du droit antérieur, à la disparition desquelles l’institution des lois d’aménagement et d’urbanisme devait précisément contribuer (13) ?
Heureusement, ce ne devrait pas être le cas, car la jurisprudence ne déduit pas automatiquement de la notion de compatibilité les effets que prétend la doctrine et retient des solutions qui prennent en défaut la thèse d’une compatibilité-tolérance. Parmi les opérations dont l’autorisation est subordonnée à la compatibilité à un POS figure la concession portuaire ; or, dans une affaire célèbre, une telle concession a été annulée au regard d’un plan qui couvrait la seule partie terrestre d’un quartier de Bormes-les-Mimosas et laissait donc hors de son périmètre le domaine public maritime où le port était envisagé : il en a été néanmoins déduit que le plan avait entendu exclure les installations sur le domaine public maritime ; il fallait que la norme s’imposât avec une particulière rigueur pour justifier l’interdiction d’un mode d’utilisation du sol même en dehors de son périmètre (14).
Le commissaire du gouvernement justifie cette interprétation dans des conclusions où compatibilité et conformité sont confondues, laissant apparaître qu’il les tient pour synonymes : pour justifier que les décisions relatives aux concessions doivent « être conformes aux prescr1ptions » du plan, il invoque précisément la disposition selon laquelle « aucun travail public ou privé à entreprendre dans le périmètre auquel s’applique le projet d’aménagement ou le plan d’urbanisme ne peut être réalisé que s’il est compatible avec ce projet (15), et il rappelle ensuite « cette règle selon laquelle les travaux publics doivent être conformes au plan d’urbanisme (16) ». La solution de cet arrêt, qui a été également retenue dans le cadre des POS (17), oblige à poser la question : comment expliquer que la même notion de compatibilité couvre des exigences de respect fondamentalement différentes selon la norme en cause ?
L’idée d’une marge de jeu ménagée par la compatibilité est également contredite par la jurisprudence relative aux lois d’aménagement et d’urbanisme. Un arrêt du Conseil d’Etat du 14 novembre 1990 traite de l’opposabilité de l’article L. 146-6 du Code de l’Urbanisme (issu de la loi Littoral) aux termes duquel « le plan d’occupation des sols doit classer en espaces boisés, au titre de l’article L. 130-1 du présent code, les parcs et ensembles existants les plus significatifs de la commune ou du groupement de communes, après consultation de la commission départementale des sites » ; le Conseil d’Etat en déduit que la commune ou le groupement de communes est « tenu de classer » les espaces en question et vérifie que l’obligation a bien été respectée, par un contrôle normal comprenant la qualification juridique des faits (18). L’exigence de compatibilité, là aussi, ressemble, à s’y méprendre, à celle de conformité.
Pour surmonter la difficulté, certains auteurs croient pouvoir soutenir que le rapport de compatibilité aurait un contenu variant en fonction du degré de précision des éléments rapportés : plus la norme et la mesure qui doit la respecter sont précises et plus la compatibilité se rapproche de la conformité (19). Que les éléments rapportés affectent le sens même du rapport heurte l’entendement : un rapport a pour objet d’unir deux éléments de pensée par une catégorie (20), si les éléments en question influent sur la catégorie, le rapport se vide de son sens et cesse d’être opératoire.
La confusion entre opposabilité et substance
Si la prétendue distinction entre compatibilité et conformité aboutit à de telles impasses, c’est, à notre sens, qu’elle procède d’une confusion entre l’opposabilité de la norme et sa substance.
L’opposabilité découle du principe hiérarchique qui commande les relations entre les diverses strates du système normatif. La norme supérieure s’impose à l’inférieure de telle sorte que la seconde doit être subsumée sous la première, c’est-à-dire entrer dans le champ de ses prévisions. Et c’est cette subsumption que recouvre la référence usuelle mais imprécise à une idée de conformité, mais dans un sens où elle se confond avec la compatibilité : comme l’explique R. Chapus pour qui « se conformer à la norme supérieure signifie ne rien faire qui soit contraire avec elle » (21), comme l’exprime le Conseil constitutionnel qui déduit la conformité d’une loi de l’absence d’incompatibilité ou de la non-contrariété avec la norme constitutionnelle (22), comme le fait le commissaire du gouvernement Gilbert Guillaume, on l’a vu plus haut, dans ses conclusions sur l’affaire Schwetzoff.
Bien sûr, le rapport entre les normes inférieure et supérieure paraît plus ou moins étroit. Mais cela ne tient pas à la nature, invariable, du lien qui les unit – il s’agit toujours d’une subsumption -, mais au degré de complétude et de précision de la norme supérieure, c’est-à-dire sa substance : qu’elle détermine des règles de compétence, de forme et de procédure ou qu’elle intime un ordre, et le rapport de légalité semble étroit ; si, en revanche, elle ouvre une latitude, le rapport semble plus lâche. La substance d’une norme dépend tout à la fois de la teneur du texte qui l’exprime et de l’interprétation qu’en donne le juge chargé de la sanctionner ; dans le cas des schémas directeurs, ces deux éléments se cumulent précisément pour rétrécir leur substance normative.
Ce qui distingue le contenu d’un schéma directeur de celui des autres « décisions et prévisions d’urbanisme », c’est l’absence d’appareil formel de prescr1ptions. Une règle générale d’urbanisme ou une loi d’aménagement et d’urbanisme consiste en des prescr1ptions formelles ; un plan d’occupation des sols ou un document d’urbanisme en tenant lieu comporte, entre autres pièces, un règlement qui détermine les droits et obligations relatifs à l’occupation du sol.
En revanche, le schéma directeur est un dossier composé seulement de plans et d’un rapport de présentation. Des premiers qui donnent une expression graphique et du second qui explicite et explique autant qu’il choisit, la substance normative n’émerge pas spontanément ; elle est engluée parmi des données indicatives, des éléments de réflexion et de simples préférences. Pour révéler la norme qui n’a pas pour objet de saisir l’image achevée du futur espéré mais plus modestement (et c’est déjà considérable) de définir des « orientations fondamentales de l’aménagement (23) » des territoires intéressés, il faut recourir à un travail d’interprétation. Comme le souligne P. Hocreitère, « réfléchir sur la notion de compatibilité, c’est d’abord réfléchir sur le contenu des schémas directeurs et même au préalable sur ce qui a été voulu (24) ».
Le rôle du juge, chargé de veiller au respect du schéma directeur, est essentiel en ce qu’au travers de l’interprétation qu’il fait prévaloir il détermine le sens, la substance normative du document. Mais, si l’interprétation se présente comme un acte de connaissance, elle est d’abord comme l’a montré H. Kelsen, un acte de volonté (25). La norme est donc déterminée à partir du dossier du schéma mais également de l’idée que le juge se fait de son aptitude normative.
L’invocation de la compatibilité est donc le masque d’une volonté prétorienne qui s’emploie à façonner de manière audacieuse (26) le relief normatif du schéma directeur. Loin de reconnaître à l’administration un droit de « s’écarter du schéma sans le contrarier », qui devrait se traduire par une élasticité constante d’application, le juge dégage, de la pâte plus ou moins meuble du document, le massif cristallin des « orientations fondamentales » et de la « destination générale des sols », c’est-à-dire un ensemble de quelques choix d’aménagement qui doivent déterminer le devenir du territoire local. Faute pour les auteurs du schéma d’avoir clairement exprimé ces orientations, le juge se reconnaît une marge d’appréciation importante pour repérer ces choix et déterminer jusqu’à quel degré de détails le schéma doit être respecté.
Diverses considérations peuvent l’influencer : le délai de réalisation, une période de dix à vingt ans, oblige à prendre en compte des aléas et à relativiser certains choix, dès lors qu’ils ne mettent pas en cause les options majeures ; l’imprécision inévitable d’études macro-urbanistiques à l’échelle d’un groupe de communes fait que les tracés retenus pour la localisation de certains équipements, notamment la voirie, sont nécessairement approximatifs et qu’il serait irréaliste de ne pas admettre des rectifications consécutives à des études de détail ultérieures. Le juge n’est pas non plus sans ignorer qu’une rigueur excessive de sa part serait de nature à entraver le développement local d’autant plus gravement que la lourdeur procédurale rend la révision des schémas directeurs fort longue et problématique.
La mesure du caractère obligatoire des choix identifiés par le juge peut être saisie au travers d’une distinction qui a fait fortune en matière de répartition des domaines législatif et réglementaire, entre mise en cause/mise en oeuvre. Il est interdit à l’administration de mettre en cause les choix ; c’est ainsi que le contenu de POS a pu être déclaré illégal lorsqu’il prévoyait une zone d’habitat là où le schéma directeur entendait réserver l’espace aux équipements de loisirs (27), ou une zone d’activités dans une partie du territoire auquel le schéma veut conserver un caractère rural (28). En revanche, l’absence de dispositions prévues par le POS pour la mise en oeuvre d’une voie rapide prévue par le schéma directeur ne met pas en cause cet objectif, dont la réalisation a pu être différée dans le temps (29) ; de la même façon, des différences de limites de zones (30) ou de tracé (31) relèvent de la mise en oeuvre de choix et, à ce titre, n’encourent pas la censure ; enfin un équipement peut être admis alors même qu’il n’est pas prévu par le schéma directeur, s’il concourt à la mise en oeuvre d’une de ses options (32).
Deux cas particuliers doivent être pris en compte. D’une part, il se peut que le schéma comporte des objectifs concurrents ; le juge bénéficie alors d’un pouvoir d’arbitrage, lui permettant de « sauver » un projet qui contrarie un objectif mais contribue à la réalisation d’un autre, estimé plus important (33). D’autre part, parmi les choix, si, comme le veut la loi, le juge s’en tient aux « options fondamentales » et à la « destination générale » des sols, il entend assurer le « maintien des espaces boisés [et] la protection des sites tels qu’ils sont localisés par le schéma », ce qui suggère que la préservation du cadre de vie existant, plus aisée à établir que des politiques d’aménagement urbain soumis à des aléas, doit être assurée avec une rigueur renforcée (34).
Les degrés de détermination normative
La distinction pertinente entre les décisions et les prévisions d’urbanisme, à notre sens, ne repose pas sur la nature de l’opposabilité, mais sur le degré de détermination normative.
1) Dans une première catégorie doivent être rangés les règles générales de l’urbanisme, les lois d’aménagement et d’urbanisme, les règlements de lotissement (35) qui sont tous formalisés par un appareil de prescr1ptions, définissant des droits et obligations ; ils s’imposent donc dans tous leurs éléments et les infléchissements de l’interprétation juridictionnels sont limités.
2) Une seconde catégorie réunit les POS et les documents en tenant lieu. Ils ont un contenu complexe, fait de documents graphiques, d’un règlement et d’annexes. Les autorisations relatives à l’occupation du sol (36) sont soumises au respect du règlement ; ce dernier comporte des corps de prescr1ptions, formalisées en 15 articles et s’impose donc strictement, sous la seule réserve des adaptations mineures (37).
La substance normative du document graphique et des annexes est moins homogène. En tant qu’elles déterminent le champ d’application territorial d’un statut, les délimitations du document graphique s’imposent pleinement : le zonage, pour l’application des corps de prescr1ptions du règlement, le repérage des espaces boisés classés, des terrains cultivés à conserver ou des emplacements réservés, pour l’application des régimes particuliers d’utilisation du sol définis par le Code de l’Urbanisme (38). En revanche, en tant qu’ils prévoient la réalisation d’ouvrages et de travaux publics, les documents graphiques (39) et les annexes (40) ont une substance normative moindre : la jurisprudence a admis que la consistance des emplacements réservés ne préjuge pas de celle des ouvrages publics réalisables ; un ouvrage peut être réalisé alors même qu’il n’a pas été envisagé par le plan chaque fois que son incidence sur l’occupation du sol est limitée, il peut également être réalisé dans des conditions légèrement différentes de celles prévues, il peut enfin être différent de celui prévu pour autant qu’il réalise le même objectif (41). Le juge a appliqué ces solutions à l’occasion de recours contre des déclarations d’utilité publique d’expropriation et des créations de servitudes (42).
3) Une troisième catégorie réunit les documents qui n’ont pas de formulation normative : schéma directeur, schéma d’aménagement régional. Le degré de prescr1ption est laissé à la détermination du juge qui s’y emploie à partir des pièces du dossier. Mais sa liberté peut être réduite : car il appartient à l’auteur du document de contribuer à la détermination de sa force obligatoire.
Il peut le faire indirectement par l’expression de choix clairs dans lesquels le juge reconnaîtra autant d’« options fondamentales ». Il peut le faire directement en s’emparant du problème de la force normative du schéma. C’est ce que fait le rapport de présentation du schéma directeur de Lyon qui consacre un chapitre au « contenu et [à] la portée des dispositions du document graphique « schéma directeur de l’agglomération lyonnaise » ». Si, sur certains aspects du schéma, l’auteur entend affirmer avec force sa volonté – c’est le cas de la protection des « sites naturels inaltérables » et des « espaces agricoles » -, sur d’autres aspects des précautions sont prises contre les interprétations trop rigoureuses du juge. C’est ainsi que la reconnaissance du « caractère naturel domin(ant) » des « espaces d’intérêt paysagers » est tempérée par des observations de nature à diminuer la densité normative de la qualification : ils « ne sont pas présumés inconstructibles a priori », la qualification « ne doit pas s’opposer trop strictement à l’intervention locale, dès lors que l’économie générale de ces ensembles et leur caractère ne sont pas fondamentalement remis en cause » et enfin, pour s’assurer contre toute méprise de l’interprète, « c’est aux POS [ou aux documents en tenant lieu] qu’il appartiendra de fonder et de traduire en règles d’occupation du sol au cas par cas cette catégorie nouvelle de qualification (43) ».
Dans cette perspective, l’orientation envisagée par le gouvernement pour la région Ile-de-France, qui prévoit « que le renforcement des effets juridiques du schéma directeur sera proposé au Parlement (44) », paraît relever d’une illusion d’optique, à moins qu’elle ne traduise la sollicitation du droit pour résoudre un problème d’essence politique (45).
Les particularités des schémas composant cette 3e catégorie de décisions d’urbanisme ont conduit certains auteurs à y reconnaître des « actes prospectifs » qui se distingueraient des actes réglementaires (46). Il s’agit d’un point de vue purement doctrinal, qu’aucun élément jurisprudentiel n’accrédite, et qui paraît bien discutable. L’acte réglementaire se reconnaît à ce qu’il a un caractère général et impersonnel et à ce qu’il est porteur de normes, ce qui est le cas de tous les schémas d’aménagement dès lors qu’ils sont opposables ; que cette opposabilité soit limitée à certains actes et opérations de l’administration est parfaitement indifférent ; que la norme ne soit pas aisément identifiable affecte le contenu de l’acte et non sa nature. Rien ne justifie que ces schémas soient privés de tout ou partie du régime applicable aux actes réglementaires et que – question actuellement non tranchée par la jurisprudence – le justiciable ne puisse exciper de leur illégalité à l’encontre d’un acte administratif qui met en oeuvre leurs orientations (47).
La distinction discutée ci-dessus de la compatibilité et de la conformité n’est qu’un échantillon de la riche gamme des rapports juridiques introduits dans le Code de l’Urbanisme. Leur subtilité impressionne l’analyste, même s’il n’en saisit pas toujours clairement le sens ni la pertinence. Est-ce pour ajouter un degré de souplesse qu’apparaît, distincte de la compatibilité, la « non-incompatibilité » (art. L. 123-3-2 du Code de l’Urbanisme) ou encore la « non-contrariété » (art. L. 111-1-3 et R. 111-15 du Code de l’Urbanisme) ? ; une nuance sépare sûrement la « prise en compte » et la « prise en considération » des chartes intercommunales de développement et d’aménagement » (respectivement art. L. 122-1 pour les schémas directeurs et L. 123-1 pour les POS), mais laquelle ? Pourquoi le POS doit-il « respecter les dispositions nécessaires à la mise en oeuvre de projets d’intérêt général » (art. L. 123-1 in fine ) alors que, dans le cas des schémas directeurs, le préfet peut seulement exiger des modifications lorsque leurs dispositions « compromettent gravement la mise en oeuvre des projets d’intérêt général » (art. L. 122-1-3-a ). Après tant de complexité, le simple « respect » des servitudes d’utilité publique par le POS ferait, pour un peu, figure d’incongruité.
Serait-il vraiment simpliste de prescrire pour le Code de l’Urbanisme une cure de rusticité qui le débarrasserait de cette dentelle juridique et ne distinguerait plus qu’entre deux cas :
– celui où les actes sont hiérarchisés : l’acte inférieur doit être subsumé sous l’acte supérieur, autrement dit le respecter ;
– celui où les actes en cause ne sont pas hiérarchisés mais où leur coexistence doit être organisée : alors, seulement, la notion de compatibilité a une réelle utilité pour définir les conditions de l’harmonisation ou une priorité entre les deux actes ; c’est ce que font l’article L. 123-3-2 du Code de l’Urbanisme pour les POS de communes voisines et l’article 109-1 du Code minier (48) pour la coexistence des POS et des zones d’exploitation et de réaménagement coordonnées des carrières (ZERC).
Par Jean-Pierre Lebreton, Professeur de droit public à l’université d’Auvergne (Clermont-Ferrand 1)
NDLR : Les notes de bas de page ont été volontairement supprimées