Les dernières nouvelles

Comment apprécier la notion d’aide économique à l’installation d’un professionnel de santé ?

Jugement rendu par Tribunal administratif de Strasbourg
12-02-2021
n° 2001541
Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

Par un déféré et des mémoires, enregistrés respectivement les 25 février, 20 novembre et 4 décembre 2020, le préfet du Haut-Rhin demande au tribunal d’annuler la délibération du 12 septembre 2019 par laquelle le conseil municipal de la commune de Huningue a décidé d’accorder une aide à l’installation à M. Samuel L., médecin généraliste libéral.

Il soutient que la délibération déférée est entachée d’un vice d’incompétence, dès lors que seule la communauté d’agglomération Saint-Louis Agglomération, et non la commune de Huningue, était compétente pour accorder une aide à l’installation d’un professionnel de santé sur le fondement des dispositions de l’article L. 1511-8 du code général des collectivités territoriales, l’octroi d’une telle aide constituant une action de développement économique au sens des dispositions du I de l’article L. 5216-5 du même code.

Par deux mémoires en défense, enregistré les 8 juin et 1er décembre 2020, la commune de Huningue, représentée par Me Kern, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 2 500 € soit mise à la charge de l’Etat en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le moyen soulevé par le préfet du Haut-Rhin n’est pas fondé.

La requête a été communiquée à M. Samuel L., qui n’a pas produit de mémoire. Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code général des collectivités territoriales ;

– le code de la santé publique ;

– la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique :

le rapport de M. Alexandre Therre,

les conclusions de Mme Sandra Bauer, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions à fin d’annulation :

1. Aux termes du I de l’article L. 1511-8 du code général des collectivités territoriales : « Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent attribuer des aides destinées à favoriser l’installation ou le maintien de professionnels de santé dans les zones définies en application du 1° de l’article L. 1434-4 du code de la santé publique. A cette fin, des conventions sont passées entre les collectivités et groupements qui attribuent l’aide et les professionnels de santé intéressés. […]. » Aux termes de l’article R. 1511-44 du même code : « Les aides prévues au premier alinéa du I de l’article L. 1511-8 peuvent consister dans : / 1° La prise en charge, en tout ou en partie, des frais d’investissement ou de fonctionnement liés à l’activité de soins ; / […] 4° Le versement d’une prime d’installation ; / […]. » Selon l’annexe 2 de l’arrêté du directeur général de l’agence régionale de santé Grand Est en date du 19 juin 2018, relatif à la détermination des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins pour la profession de médecin, la commune de Huningue est classée en zone d’action complémentaire, au titre de la détermination des zones prévues par les dispositions du 1° de l’article L. 1434-4 du code de la santé publique.

2. Par une délibération du 12 septembre 2019, le conseil municipal de la commune de Huningue a décidé d’accorder au docteur L. une aide à l’installation en qualité de médecin généraliste libéral dans le pôle santé de la commune, sur le fondement des dispositions du I de l’article L. 1511-8 du code général des collectivités territoriales. Aux termes de cette délibération, cette aide consiste, d’une part, en une prime d’installation d’un montant de 50 000 € et, d’autre part, en la prise en charge des frais d’équipement en biens meubles du cabinet de ce praticien. Le préfet du Haut-Rhin défère la délibération précitée au motif qu’elle serait entachée d’un vice d’incompétence, une telle aide constituant une action de développement économique et relevant dès lors des compétences transférées à la communauté d’agglomération Saint-Louis Agglomération, dont fait partie la commune de Huningue.

3. Aux termes du I de l’article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales, relatif aux compétences d’une communauté d’agglomération : « La communauté d’agglomération exerce de plein droit au lieu et place des communes membres les compétences suivantes : / 1° En matière de développement économique : actions de développement économique dans les conditions prévues à l’article L. 4251-17 ; création, aménagement, entretien et gestion de zones d’activité industrielle, commerciale, tertiaire, artisanale, touristique, portuaire ou aéroportuaire ; politique locale du commerce et soutien aux activités commerciales d’intérêt communautaire […] / […]. » Aux termes de l’article L. 4251-17 de ce code : « Les actes des collectivités territoriales et de leurs groupements en matière d’aides aux entreprises doivent être compatibles avec le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation […]. »

4. D’une part, les actions de développement économique mentionnées par les dispositions de l’article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales sont les actions qui ont pour objet et pour but le développement économique, et non toutes celles qui ont des retombées économiques.

5. Les dispositions de l’article 108 de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux ont inséré un article L. 1511-8 dans le code général des collectivités territoriales, qui instaure, pour les collectivités territoriales et leurs groupements, la possibilité d’attribuer des aides destinées à favoriser l’installation ou le maintien de professionnels de santé dans les zones déficitaires du territoire national. En outre, il ressort des travaux préparatoires à l’adoption de cette loi que la création de telles aides contribue à la mise en oeuvre d’un objectif d’accès possible de la population de l’ensemble du territoire français à une offre de services. En revanche, il ne ressort ni des dispositions du I de l’article L. 1511-8, ni de ces travaux préparatoires, qu’un objectif de développement économique était poursuivi par l’octroi de telles aides. Dès lors, si l’installation ou le maintien de l’activité de tels praticiens est susceptible d’entraîner des retombées économiques, et alors même que les services que les médecins libéraux fournissent contre rémunération sont considérés comme une activité économique dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, ces aides n’ont pas pour objet et pour but le développement économique.

6. D’autre part, le préfet fait valoir que les dispositions de l’article 108 de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux ont inséré l’article L. 1511-8 dans le titre « développement économique » des dispositions générales de la partie législative du code général des collectivités territoriales et qu’en outre, l’article R. 1511-44 est inséré dans le titre « aide aux entreprises » du livre « dispositions économiques » de la partie réglementaire du même code. Toutefois, eu égard à ce qui a été exposé au point précédent, il ne ressort pas des travaux préparatoires à l’adoption de ce dispositif que le législateur ait entendu conférer aux aides à l’installation ou au maintien de professionnels de santé le caractère d’une action de développement économique. Par ailleurs, il ne ressort pas des termes de l’article L. 1511-8 du code général des collectivités territoriales que de telles aides soient qualifiés d’aides aux entreprises. Dès lors, il ne peut être déduit de l’insertion de ces dispositions législatives et réglementaires dans les parties précitées de ce code que de telles aides seraient des actions de développement économique au sens du I de l’article L. 5216-5.

7. Enfin, aux termes de l’article L. 4251-13 du code général des collectivités territoriales : « La région élabore un schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation. / […]. / Le schéma organise, sur le territoire régional, la complémentarité des actions menées par la région en matière d’aides aux entreprises avec les actions menées par les collectivités territoriales et leurs groupements, en application des articles […] L. 1511-8 […]. »

8. Les dispositions de l’article L. 4251-13 du code général des collectivités territoriales imposent une complémentarité entre, d’une part, les actions menées par la région en matière d’aide aux entreprises et, d’autre part, les actions menées par les collectivités territoriales et leurs groupements en matière d’aide à l’installation de professionnels de santé dans des zones déficitaires. Elles prévoient que cette complémentarité est organisée par le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation. Par ailleurs, les actions de développement économique que mènent, en lieu et place des communes membres, les communautés d’agglomération en application des dispositions du I de l’article L. 5216-5 du même code doivent être compatibles avec ce schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, ainsi que le prévoit l’article L. 4251-17. Toutefois, il ne résulte pas de la combinaison de ces dispositions que l’exigence de complémentarité des aides à l’installation ou au maintien de professionnels de santé avec les actions de la région en matière d’aides aux entreprises ne puisse être satisfaite qu’en incluant les aides à l’installation dans les actions de développement économique. Dès lors, la référence au schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation faite par les articles L. 4251-13 et L. 4251-17 n’implique pas nécessairement que l’attribution d’aides à l’installation de professionnels de santé par des collectivités territoriales et leurs groupements constitue des actions de développement économique.

9. Il résulte de ce qui précède que l’aide à l’installation attribuée à un médecin libéral, en application des dispositions de l’article L. 1511-8 du code général des collectivités territoriales, ne peut être considérée comme une action de développement économique au sens de l’article L. 5216-5 du même code. Par ailleurs, une communauté d’agglomération, qui est un établissement public de coopération intercommunale, auquel s’applique le principe de spécialité, ne peut exercer que les compétences que lui attribue la loi. L’octroi d’une telle aide ne relevait donc pas, à ce titre, de la compétence exclusive de la communauté d’agglomération Saint-Louis Agglomération. Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’une telle compétence lui ait été transférée à un autre titre. Dès lors, le moyen tiré du vice d’incompétence dont serait entachée la délibération du 12 septembre 2019 doit être écarté. Par suite, le déféré doit être rejeté.

Sur les frais liés au litige :

Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 € au titre des frais exposés par la commune de Huningue et non compris dans les dépens.

Décide :

Article 1er : Le déféré du préfet du Haut-Rhin est rejeté.

Article 2 : L’Etat versera à la commune de Huningue une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié au préfet du Haut-Rhin, à la commune de Huningue et à M. Samuel L.

Regardez aussi !

Urbanisme commercial : l’article L752-21 du code de commerce oblige t-il la CNAC à tenir compte du premier avis défavorable et des observations du pétitionnaire ?

Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 21/07/2023, 461753 Texte intégral RÉPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM …