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Permis de construire modificatif : l’intérêt à agir s’apprécie par rapport aux modifications !

Conseil d’État

N° 396362   
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
1ère – 6ème chambres réunies
M. Frédéric Puigserver, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats

lecture du vendredi 17 mars 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme B…D…ont demandé au tribunal administratif de Toulon d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, l’arrêté du 21 avril 2015 par lequel le maire de La Cadière-d’Azur (Var) a accordé à M. C…A…un permis de construire modificatif pour une habitation individuelle située 970, chemin des Belles Pierres et, d’autre part, la décision implicite de rejet de leur recours gracieux tendant au retrait de cet arrêté. Par une première ordonnance n° 1503563 du 24 novembre 2015, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

M. et Mme D…ont également demandé au tribunal administratif de Toulon, d’une part, d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le maire de La Cadière-d’Azur a refusé de faire droit à leur demande du 27 juillet 2015 tendant à ce qu’il constate la caducité du permis de construire qu’il avait délivré le 2 avril 2008 à M. A…pour une habitation individuelle située 970, chemin des Belles Pierres et, d’autre part, d’enjoindre au maire de dresser un procès-verbal d’infraction, de prendre un arrêté interruptif de travaux et d’en transmettre copie au procureur de la République de Toulon. Par une seconde ordonnance n° 1503543 du 24 novembre 2015, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant le Conseil d’Etat

1° Sous le n° 396362, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 janvier et 25 avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. et Mme D…demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance n° 1503563 du 24 novembre 2015 de la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon ;

2°) de mettre à la charge de la commune de La Cadière-d’Azur, la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 396366, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 janvier et 25 avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. et Mme D…demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance n° 1503543 du 24 novembre 2015 de la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon ;

2°) de mettre à la charge de la commune de La Cadière-d’Azur la somme de
3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de M. et MmeD…, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la commune de La Cadière-d’Azur et à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. A….

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis au juge du fond que, par un arrêté du 2 avril 2008, le maire de La Cadière-d’Azur a accordé à M. C…A…un permis de construire une maison individuelle sur des parcelles cadastrées section G n° 574, 575 et 607, situées 970, chemin des Belles Pierres. Par un arrêté du 21 avril 2015, le maire a accordé à M. A… un permis de construire modificatif pour procéder à la modification des façades et du garage ainsi qu’à la création d’une surface de plancher de 15 mètres carrés, d’un garage en rez-de-chaussée de 137 mètres carrés et d’un nouvel accès pour les voitures. Par deux pourvois qu’il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, M. et Mme B…D…demandent l’annulation des ordonnances du 24 novembre 2015 par lesquelles la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon a, sur le fondement du 4° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté comme manifestement irrecevables leurs demandes tendant à l’annulation, d’une part, de l’arrêté du 21 avril 2015 portant permis modificatif et, d’autre part, de la décision implicite de refus née du silence gardé par le maire sur leur demande, en date du 27 mai 2015, tendant à ce qu’il constate la caducité du permis de construire initial du 2 avril 2008.

Sur le pourvoi n° 396366 relatif au refus de constater la caducité du permis de construire initial :

2. Aux termes de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue du décret du 5 janvier 2007 :  » En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l’encontre d’un certificat d’urbanisme, d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir, le préfet ou l’auteur du recours est tenu, à peine d’irrecevabilité, de notifier son recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation (…) « . La décision par laquelle le maire refuse de constater la caducité d’un permis de construire n’est pas au nombre des décisions limitativement énumérées par cet article. Par suite, en jugeant que le recours contentieux exercé par M. et Mme D…contre la décision du maire de La Cadière-d’Azur refusant de constater la caducité du permis de construire initial du 2 avril 2008 entrait dans le champ d’application de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon a commis une erreur de droit.

3. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi, que M. et Mme D…sont fondés à demander l’annulation de l’ordonnance n° 1503543 du 24 novembre 2015 de la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon.

Sur le pourvoi n° 396362 relatif au permis de construire modificatif :

4. Aux termes de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme :  » Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation « .

5. Il résulte de ces dispositions qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. Lorsque le requérant, sans avoir contesté le permis initial, forme un recours contre un permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé. Il appartient dans tous les cas au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l’excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction.

6. En jugeant, pour rejeter leur demande comme manifestement irrecevable, que M. et Mme D…ne justifiaient pas d’un intérêt à agir contre le permis de construire modificatif attaqué, alors qu’ils avaient établi être propriétaires d’une maison à usage d’habitation située à proximité immédiate de la parcelle d’assiette du projet et avaient produit la décision attaquée, de laquelle il ressortait que le permis litigieux apportait des modifications notables au projet initial, affectant son implantation, ses dimensions et l’apparence de la construction, ainsi que divers clichés photographiques, pris depuis leur propriété, attestant d’une vue directe sur la construction projetée, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon a inexactement qualifié les faits de l’espèce.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi, que M. et Mme D…sont fondés à demander l’annulation de l’ordonnance n° 1503563 du 24 novembre 2015 de la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de La Cadière-d’Azur le versement à M. et Mme D…d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de M. et MmeD…, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Les ordonnances de la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon du 24 novembre 2015 sont annulées.
Article 2 : Les affaires sont renvoyées au tribunal administratif de Toulon.
Article 3 : La commune de La Cadière-d’Azur versera à M. et Mme D…une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de La Cadière-d’Azur et par M. A…au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B…D…, à la commune de La Cadière-d’Azur et à M. C…A….

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