Les dernières nouvelles

Opposabilité d’une servitude d’utilité publique : seulement si elle est publiée sur le portail national de l’urbanisme (avec des informations précises) !

Arrêt rendu par Conseil d’Etat
30-06-2025
n° 492923
Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

L’association Protégeons Ménerbes a demandé au tribunal administratif de Nîmes d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 13 décembre 2022 par lequel le maire de Ménerbes (Vaucluse) a délivré un permis de construire un ensemble de vingt-quatre logements, quatre commerces et vingt et une places de stationnement sur les parcelles cadastrées section AT nos 370 et 132 à la société par actions simplifiée unipersonnelle CAAP Immo Invest. Par un jugement n° 2300391 du 2 janvier 2024, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l’arrêté du 13 décembre 2022 en tant que le projet ne respecte pas les prescriptions de l’article Ua12 du règlement du plan local d’urbanisme et rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Par une ordonnance n° 24TL00587 du 26 mars 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le président de la cour administrative d’appel de Toulouse a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 4 mars 2024 au greffe de cette cour, présenté par l’association Protégeons Ménerbes.

Par ce pourvoi, ainsi qu’un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 juin 2024 et 14 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Protégeons Ménerbes demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ce jugement en tant qu’il lui fait grief ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire intégralement droit à sa demande ;

3°) de mettre solidairement à la charge de la commune de Ménerbes et de la société CAAP Immo Invest la somme de 4 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code général des impôts ;

– le code du patrimoine ;

– le code de l’urbanisme ;

– la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 ;

– le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 ;

– le décret n° 2023-822 du 25 août 2023 ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de l’association Protégeons Ménerbes, au Cabinet François Pinet, avocat de la commune de Ménerbes et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la société Caap immo invest ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 juin 2025, présentée par la société CAAP Immo Invest ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une demande du 21 décembre 2021 complétée les 14 avril et 23 mai 2022, la société CAAP Immo Invest a sollicité la délivrance d’un permis de construire un immeuble comprenant vingt-quatre logements, vingt et une places de stationnement et quatre commerces sur un terrain situé avenue Poncet et chemin des Farinettes, à Ménerbes (Vaucluse). Par un arrêté du 13 décembre 2022, le maire de Ménerbes a retiré le permis tacite dont bénéficiait la société CAAP Immo Invest depuis le 23 octobre 2022 et lui a délivré le permis de construire sollicité assorti de prescriptions. L’association Protégeons Ménerbes a demandé au tribunal administratif de Nîmes l’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Par un jugement du 2 janvier 2024, le tribunal administratif de Nîmes, faisant application de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, a annulé l’arrêté du 13 décembre 2022 en tant seulement que le projet ne respectait pas les prescriptions l’article Ua12 du plan local d’urbanisme et a rejeté le surplus des conclusions de la demande. L’association Protégeons Ménerbes demande l’annulation de ce jugement en tant qu’il rejette le surplus des conclusions de sa demande. La société CAAP Immo Invest demande, par la voie du pourvoi incident, l’annulation de ce jugement en tant qu’il fait partiellement droit à cette demande.

Sur la compétence du Conseil d’Etat :

2. Aux termes de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable aux recours introduits entre le 1er septembre 2022 et le 31 décembre 2027 : « […] les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre : / 1°Les permis de construire ou de démolir un bâtiment comportant plus de deux logements, les permis d’aménager un lotissement, les décisions de non-opposition à une déclaration préalable autorisant un lotissement ou les décisions portant refus de ces autorisations ou opposition à déclaration préalable lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application […] ». Le droit de former un recours contre un jugement est définitivement fixé au jour où ce jugement est rendu. Les voies selon lesquelles ce droit peut être exercé en sont des éléments constitutifs et continuent, à moins qu’une disposition expresse y fasse obstacle, à être régies par les textes en vigueur à la date à laquelle le jugement susceptible d’être attaqué est intervenu. Par suite, les dispositions de l’article R. 811-1-1 s’appliquent aux recours introduits entre le 1er septembre 2022 et le 31 décembre 2027 contre les décisions relatives à l’occupation des sols qu’elles mentionnent portant en tout ou partie sur le territoire d’une commune lorsque celle-ci figure, à la date du jugement statuant sur le recours, sur la liste annexée au décret du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts.

3. A la date du jugement attaqué, rendu le 2 janvier 2024, la commune de Ménerbes se trouvait sur la liste annexée au décret du 10 mai 2013 telle que modifiée par le décret du 25 août 2023. Il s’ensuit que ce jugement a été rendu en dernier ressort par le tribunal administratif de Nîmes. Dès lors, l’association requérante n’est pas fondée à soutenir que sa requête tendant à l’annulation de ce jugement, qui a le caractère d’un pourvoi en cassation, ne relèverait pas de la compétence du Conseil d’Etat.

Sur le pourvoi principal :

4. D’une part, aux termes du II de l’article 114 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine : « Les projets d’aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine mis à l’étude avant la date de publication de la présente loi sont instruits puis approuvés conformément aux articles L. 642-1 à L. 642-10 du code du patrimoine, dans leur rédaction antérieure à la présente loi. / Au jour de leur création, les aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine deviennent des sites patrimoniaux remarquables, au sens de l’article L. 631-1 du code du patrimoine […] ». Aux termes du troisième alinéa de l’article L. 631-1 du code du patrimoine : « Le classement au titre des sites patrimoniaux remarquables a le caractère de servitude d’utilité publique affectant l’utilisation des sols dans un but de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel […]. »

5. D’autre part, aux termes de l’article R. 151-51 du code de l’urbanisme : « Les annexes au plan local d’urbanisme comprennent, s’il y a lieu, outre les servitudes d’utilité publique affectant l’utilisation du sol appartenant aux catégories figurant sur la liste annexée au présent livre mentionnées à l’article L. 151-43, les éléments énumérés aux articles R. 151-52 et R. 151-53. » La liste annexée au livre Ier de la partie réglementaire du code de l’urbanisme, qui énumère les servitudes d’utilité publique mentionnées aux articles R. 151-51 et R. 161-8, mentionne notamment les sites patrimoniaux remarquables classés en application de l’article L. 631-1 du code du patrimoine. Aux termes de l’article L. 152-7 du code de l’urbanisme : « Après l’expiration d’un délai d’un an à compter, soit de l’approbation du plan local d’urbanisme soit, s’il s’agit d’une servitude d’utilité publique nouvelle définie à l’article L. 151-43, de son institution, seules les servitudes annexées au plan ou publiées sur le portail national de l’urbanisme prévu à l’article L. 133-1 peuvent être opposées aux demandes d’autorisation d’occupation du sol […] ». Une servitude d’utilité publique doit être regardée comme publiée sur le portail national de l’urbanisme, au sens de ces dispositions, si figurent sur ce portail mention de son existence, son périmètre et son contenu, ou à défaut de reproduction de son contenu, les indications nécessaires pour y accéder et en prendre connaissance.

6. Ainsi que l’a relevé le tribunal administratif, le terrain d’assiette du projet litigieux est situé dans l’emprise de l’aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine de Ménerbes, dont la réalisation a été mise à l’étude par délibération du conseil municipal du 13 novembre 2012 et qui a été approuvée par délibération du 2 juillet 2019, devenant un site patrimonial remarquable dès cette date en application de l’article 114 de la loi du 7 juillet 2016. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que, dès lors que l’existence et le périmètre de la servitude d’utilité publique constituée par l’aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine de Ménerbes étaient mentionnés sur le portail national de l’urbanisme avec l’indication selon laquelle il convenait de s’adresser à la collectivité pour en connaître le contenu, lequel était par ailleurs aisément accessible sur le site internet de la commune, la servitude d’utilité publique en cause doit être regardée comme ayant été publiée sur le portail national de l’urbanisme conformément à l’article L. 152-7 du code de l’urbanisme. Par suite, en se bornant, pour écarter comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance par le projet des dispositions des articles A.5.1 et B.5 de l’aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine de Ménerbes au motif que cette servitude d’utilité publique n’aurait pas été opposable aux demandes d’occupation du sol, à relever qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier qu’elle aurait été annexée au plan local d’urbanisme de la commune, le tribunal a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le jugement attaqué doit être annulé en tant qu’il rejette le surplus des conclusions présentées par l’association Protégeons Ménerbes.

Sur le pourvoi incident :

8. Aux termes de l’article Ua12 du règlement du plan local d’urbanisme : « Le stationnement des véhicules correspondant aux besoins des constructions et installations doit être assuré en dehors des voies publiques […] / Concernant le stationnement des constructions à vocation d’habitat, les dispositions qui s’appliquent sont les suivantes […] / Pour les constructions à vocation différentes, une étude spécifique selon la nature et la fréquentation de l’établissement sera soumise à l’accord de la commune. »

9. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’absence de toute place de stationnement visant à répondre aux besoins des quatre locaux à usage commercial prévus dans le projet n’est justifiée par aucune étude évaluant les éventuels besoins de ces constructions en matière de stationnement, alors que cette étude pouvait, contrairement à ce que soutient la société CAAP Immo Invest, être réalisée avant que leur destination précise ne soit connue. Il s’ensuit qu’en jugeant que le permis contesté méconnaissait l’article Ua12 du règlement du plan local d’urbanisme qui impose que le stationnement des véhicules correspondant aux besoins des constructions soit assuré en dehors des voies publiques, le tribunal n’a pas commis d’erreur de droit.

10. Par suite, le pourvoi incident de la société CAAP Immo Invest doit être rejeté.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société CAAP Immo Invest et de la commune de Ménerbes une somme de 1 500 € chacune à verser à l’association Protégeons Ménerbes au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de cette association, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.

Décide :

Article 1er : Le jugement du 2 janvier 2024 du tribunal administratif de Nîmes est annulé en tant qu’il rejette le surplus des conclusions présentées par l’association Protégeons Ménerbes.

Article 2 : L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de Nîmes dans la mesure de la cassation prononcée.

Article 3 : La société CAAP Immo Invest et la commune de Ménerbes verseront chacune une somme de 1 500 € à l’association Protégeons Ménerbes au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’association Protégeons Ménerbes, à la commune de Ménerbes et à la société par actions simplifiée unipersonnelle CAAP Immo Invest.

Conseil d’Etat, 30 juin 2025, n° 492923, Protégeons Ménerbes (Assoc.)

Regardez aussi !

Zone littorale : qu’est-ce qu’une « zone déjà urbanisée » ?

Arrêt rendu par Conseil d’Etat 20-03-2025 n° 487711 Texte intégral : Vu les procédures suivantes …