Les dernières nouvelles

Ouvrage public mal planté : si une régularisation est impossible, alors la démolition est envisageable !

CAA de MARSEILLE 

N° 17MA00806    
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre – formation à 3
M. VANHULLEBUS, président
M. Sylvain MERENNE, rapporteur
M. ARGOUD, rapporteur public
COSTA SIGRIST, avocat

lecture du jeudi 8 novembre 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. Jean-Emile et Mme FrançoiseMARIANIont demandé au tribunal administratif de Bastia, à titre principal, de condamner solidairement la commune de Pietraserena et le syndicat intercommunal à vocation unique de la Foata à leur verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices résultant de l’implantation irrégulière d’ouvrages hydrauliques sur une propriété privée, de leur enjoindre de procéder à la démolition de ces ouvrages, et à titre subsidiaire d’ordonner une expertise et de les condamner à verser une provision de 50 000 euros.

Par un jugement n° 1500591 du 12 janvier 2017, le tribunal administratif de Bastia a condamné solidairement la commune de Pietraserena et le syndicat intercommunal de la Foata à verser la somme de 5 000 euros à M. MARIANIet a rejeté le surplus des conclusions des demandeurs.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 24 février 2017 et le 25 janvier 2018, M. et Mme MARIANI, représentés par Me Marchiani, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du 12 janvier 2017 par lequel le tribunal administratif de Bastia a limité à 5 000 euros le montant de l’indemnité accordée ;

2°) de porter cette indemnité à la somme de 100 000 euros ;

3°) d’enjoindre à la commune de Pietraserena et au syndicat intercommunal de la Foata de procéder à la démolition des ouvrages dans un délai d’un mois à compter de la date de notification du présent arrêt, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) à titre subsidiaire, d’ordonner une expertise et de condamner la commune et le syndicat intercommunal à leur verser une indemnité provisionnelle de 50 000 euros ;

5°) de mettre à leur charge la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– le tribunal administratif a commis une irrégularité en écartant l’intérêt à agir de
Mme MARIANI;
– il a soulevé d’office un moyen sans en avoir préalablement informé les parties ;
– aucune mesure de régularisation n’est possible ;
– ils sont fondés à demander l’indemnisation des préjudices subis.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2017, la commune de Pietraserena, représentée par MeG…, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête présentée par M. et Mme MARIANI;

2°) par la voie de l’appel incident :

– d’annuler les articles 1er et 2 du jugement du 12 janvier 2017 du tribunal administratif de Bastia ;

– de rejeter la demande présentée par M. MARIANIdevant le tribunal administratif.

Elle soutient que :
– les conclusions à fin d’injonction sont irrecevables faute d’avoir été précédées d’une décision administrative conformément à l’article R. 421-1 du code de justice administrative ;
– la procédure d’expropriation est en cours d’instruction par les services de l’Etat ;
– les créances indemnitaires sont frappées par la prescription quadriennale pour la période antérieure au 1er janvier 2007 ;
– les autres moyens soulevés par M. et Mme MARIANIne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 décembre 2017, le syndicat intercommunal de la Foata, représenté par Me CostaSigrist, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête présentée par M. et Mme MARIANI;

2°) par la voie de l’appel incident :

– d’annuler les articles 1er et 2 du jugement du 12 janvier 2017 du tribunal administratif de Bastia ;

– de rejeter la demande présentée par M. MARIANIdevant le tribunal administratif.
Il soutient que :
– les conclusions à fin d’injonction sont irrecevables faute d’avoir été précédées d’une décision administrative conformément à l’article R. 421-1 du code de justice administrative ;
– la procédure d’expropriation est en cours d’instruction par les services de l’Etat ;
– les créances indemnitaires sont frappées par la prescription quadriennale pour la période antérieure au 1er janvier 2007 :
– les autres moyens soulevés par M. et Mme MARIANIne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
– le code de justice administrative.

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Merenne,
– les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
– et les observations de MeE…, représentant les consortsB….

Considérant ce qui suit :
1. M. MARIANIest propriétaire depuis février 2008 d’une parcelle cadastrée section A n° 19 au lieu-dit  » Suale  » à Pietraserena, sur laquelle sont édifiés plusieurs ouvrages hydrauliques dont la commune de Pietraserena et le syndicat intercommunal de la Foata sont maîtres d’ouvrage. Par un jugement du 12 janvier 2017, le tribunal administratif de Bastia a solidairement condamné la commune de Pietraserena et le syndicat intercommunal de la Foata à verser la somme de
5 000 euros à M. MARIANI en réparation des préjudices nés de l’implantation irrégulière de ces ouvrages et a rejeté comme irrecevables les conclusions indemnitaires présentées par Mme MARIANIainsi que leurs conclusions tendant à la démolition des ouvrages.

Sur la régularité du jugement :

2. Le tribunal administratif, en examinant si une régularisation appropriée des ouvrages était possible, s’est borné à examiner le bien-fondé des conclusions tendant à la démolition des ouvrages publics que M. et Mme MARIANIavaient présentées devant lui, sans, en statuant ainsi, relever d’office un moyen qu’il aurait été tenu de communiquer aux parties en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative.

3. En revanche, MmeB…, alors même qu’elle n’était pas propriétaire de la parcelle ayant fait l’objet de l’emprise irrégulière, était recevable à demander l’indemnisation des préjudices qu’elle estimait avoir subis. En jugeant que Mme MARIANIne justifiait pas d’un intérêt lui donnant qualité à agir, le tribunal administratif a commis une irrégularité qui justifie d’annuler le jugement attaqué en tant qu’il a statué sur ses demandes.

4. Il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l’évocation sur ces conclusions de Mme MARIANI et de statuer par l’effet dévolutif de l’appel sur les autres conclusions présentées par M. et Mme MARIANIdevant le tribunal administratif.

Sur les conclusions indemnitaires :

5. Il n’est pas contesté qu’ainsi que l’a jugé le tribunal administratif, les ouvrages en question, consistant en un château d’eau, un répartiteur d’eau et un réseau non repéré de canalisations souterraines, sont irrégulièrement implantés sur une propriété privée. Ces ouvrages ont fait obstacle à ce que M. MARIANIpuisse exercer librement ses prérogatives de propriétaire du terrain d’assiette, sans qu’il soit nécessaire pour lui de justifier de l’avancement de projets déterminés afin d’établir le préjudice qui en a résulté. Ils ont en outre, du fait de leur irrégularité et de l’absence de repérage des canalisations souterraines, été à l’origine de nombreux désagréments pour M. MARIANI. Il résulte cependant de l’instruction qu’une régularisation reste possible. Le préjudice subi par M. MARIANI est donc constitué non par une perte de valeur vénale du terrain, qui revêtirait un caractère permanent, mais par des troubles de jouissance à caractère temporaire ainsi que de troubles dans ses conditions d’existence. Il résulte de la délibération du conseil municipal du 22 décembre 2013 que la commune de Pietraserena a envisagé l’acquisition amiable d’une fraction de parcelle d’une superficie de 4 000 mètres carrés constituant le terrain d’assiette des ouvrages au prix de huit euros par mètre carré, évaluation que M. MARIANI prend également pour référence. Il sera fait une juste appréciation des troubles de jouissance et des troubles dans les conditions d’existence éprouvés par M. MARIANIpour la période comprise entre le mois de février 2008 et la date du présent arrêt en portant l’indemnité destinée à les réparer à la somme de 21 000 euros, sans que la commune et le syndicat intercommunal puissent utilement en défense opposer à cette créance indemnitaire une prescription quadriennale applicable aux créances nées avant le 1er janvier 2007. Les conclusions que la commune et le syndicat ont présentées par la voie de l’appel incident ne peuvent dès lors qu’être rejetées.

6. Il est constant que M. et Mme MARIANIsont mariés sous le régime de la séparation de biens, d’une part, et que la parcelle faisant l’objet de l’emprise irrégulière est un bien propre de M. MARIANI, d’autre part. MmeB…, qui est gérante d’une ferme-auberge sur l’exploitation agricole située à proximité, est tiers par rapport aux ouvrages publics en litige. Il ne résulte pas de l’instruction que l’abandon allégué d’un projet d’extension de l’activité de la ferme-auberge soit imputable à l’absence de repérage des canalisations souterraines. Il n’est pas non plus allégué que Mme MARIANIsubirait, du fait de l’existence ou du fonctionnement des ouvrages, un dommage anormal et spécial, excédant les nuisances que sont normalement appelés à supporter les riverains. Il y a lieu dès lors de rejeter la demande présentée par Mme MARIANIdevant le tribunal administratif de Bastia.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

7. L’auteur d’un recours indemnitaire tendant à la réparation de préjudices imputables à l’implantation irrégulière d’un ouvrage public peut assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant à qu’il soit enjoint à la personne publique en cause de mettre fin à cette implantation irrégulière sans qu’il soit nécessaire pour lui de la saisir d’une demande préalable à cette fin, non plus que de présenter des conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision administrative née suite à une telle demande. Il suit de là que la commune et le syndicat intercommunal ne sont pas fondés à soutenir que les conclusions à fin d’injonction présentées par M. et Mme MARIANIauraient été irrecevables.

8. Ainsi qu’il a été dit au point 4, une régularisation des ouvrages en litige est possible par la poursuite de la nouvelle procédure d’expropriation engagée par une délibération du 22 octobre 2017 du conseil municipal de la commune de Pietraserena. Il est également possible pour la commune et le syndicat intercommunal de rechercher une solution amiable avec M.MARIANI, ou encore de procéder au déplacement des ouvrages en litige. Compte tenu des délais inhérents à l’achèvement éventuel de la procédure d’expropriation en cours, il y a lieu d’enjoindre à la commune et au syndicat intercommunal de réaliser toutes les démarches nécessaires à l’accomplissement de la procédure d’expropriation, sauf à parvenir à une solution amiable avec M. MARIANI ou à déplacer les ouvrages, dans un délai de six mois à compter de la date de notification du présent arrêt. En revanche, du fait du caractère indispensable au service public des ouvrages en litige pour la distribution d’eau et la lutte contre l’incendie, leur démolition porterait, malgré les inconvénients qu’ils présentent pour le propriétaire du terrain d’assiette, une atteinte excessive à l’intérêt général. Il n’y a dès lors pas lieu d’enjoindre à la commune et au syndicat intercommunal de procéder à cette démolition à défaut de la régularisation ordonnée ci-dessus.

9. Compte tenu en outre de l’attitude de la commune et du syndicat intercommunal, qui, sans motif valable, n’ont donné suite ni aux propositions de M. MARIANI présentées dès 2011, ni à une précédente procédure d’expropriation ayant donné lieu à une déclaration d’utilité publique, il y a lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte de 100 euros par jour de retard.

Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Pietraserena et du syndicat intercommunal de la Foata le versement de la somme de 1 000 euros chacun à M. MARIANIau titre des frais non compris dans les dépens qu’il a exposés.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia est annulé en tant qu’il a rejeté la demande de MmeB….
Article 2 : La demande présentée par Mme MARIANIdevant le tribunal administratif de Bastia est rejetée.
Article 3 : La somme de 5 000 euros que la commune de Pietraserena et le syndicat intercommunal de la Foata ont été solidairement condamnés à verser à M. MARIANIà l’article 1er du jugement du 12 janvier 2017 du tribunal administratif de Bastia est portée à 21 000 euros.
Article 4 : Il est enjoint à la commune de Pietraserena et au syndicat intercommunal de la Foata de réaliser toutes les démarches nécessaires à l’accomplissement de la procédure d’expropriation portant sur le terrain d’assiette des ouvrages publics en litige, sauf à parvenir à une solution amiable avec M. MARIANIou à déplacer les ouvrages, dans un délai de six mois à compter de la date de notification du présent arrêt.
Article 5 : Une astreinte de 100 euros par jour est prononcée à l’encontre de la commune et du syndicat intercommunal s’il n’est pas justifié de l’exécution du présent arrêt dans le délai mentionné à l’article 4. La commune et le syndicat intercommunal communiqueront à la cour copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter le présent arrêt.
Article 6 : Le surplus du jugement du tribunal administratif de Bastia est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 7 : Les conclusions de la commune de Pietraserena et du syndicat intercommunal de la Foata présentées par la voie de l’appel incident et leurs conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 8 : La commune de Pietraserena et le syndicat intercommunal de la Foata verseront chacun à M. MARIANI la somme de 1 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-Emile et Mme FrançoiseMARIANI, à la commune de Pietraserena et au syndicat intercommunal de la Foata.
Copie en sera adressée pour information au préfet de la Haute-Corse.

Délibéré après l’audience du 18 octobre 2018, où siégeaient :

– M. Vanhullebus, président de chambre,
– MmeH…, première conseillère,
– M. Merenne, premier conseiller.

Lu en audience publique le 8 novembre 2018.

2
N° 17MA00806

Regardez aussi !

Architecte DPLG et refus du titre de « Paysagiste concepteur » : quand l’Etat commet une « erreur manifeste d’appréciation » !

CAA de PARIS, 3ème chambre, 03/10/2023, 22PA03444, Inédit au recueil Lebon Avocat(s) Me Frédéric RENAUDIN …