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Opération de Restauration Immobilière : la Déclaration d’Utilité Publique ne peut pas avoir pour effet de forcer un changement de destination !

CAA de LYON

N° 17LY01071   
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre A – formation à 3
Mme FISCHER-HIRTZ, président
Mme Agathe DUGUIT-LARCHER, rapporteur
M. SAVOURE, rapporteur public
SCP DUFLOT ET ASSOCIÉS, avocat

lecture du jeudi 13 décembre 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société civile immobilière (SCI) MSI a demandé au tribunal administratif de Dijon d’annuler l’arrêté du 22 octobre 2014 par lequel le préfet de Saône-et-Loire a déclaré d’utilité publique une opération de restauration immobilière comprenant des immeubles lui appartenant situés 2 grande rue de Veyle, parcelle section AZ n°176, à Mâcon (71000), ainsi que la décision du 18 février 2015 ayant rejeté son recours gracieux.
Par un jugement n° 1501165 du 20 décembre 2016, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 mars 2017 et le 18 juillet 2018, la SCI MSI, représentée par la SELARL Duflot et Associés, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 20 décembre 2016 ;
2°) de désigner, avant dire droit, un expert chargé d’examiner les immeubles qui lui appartiennent et de déterminer les parties qui relèvent de l’habitat et celles qui relèvent du commerce ;
3°) d’annuler l’arrêté du 22 octobre 2014 du préfet de Saône-et-Loire en tant qu’il déclare d’utilité publique l’opération de restauration immobilière concernant l’immeuble lui appartenant situé 2 grande rue de Veyle, ainsi que la décision du 18 février 2015 ayant rejeté son recours gracieux ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SCI MSI soutient que :
– dès lors que les informations ayant servi à la procédure d’opération de restauration immobilière résultent de visites menées dans le cadre d’une procédure à caractère incitatif de type OPAH-RU, celles-ci auraient dû être menées par des hommes de l’art dans les conditions prévues aux articles R. 313-33 et suivants du code de l’urbanisme ;
– elle n’aurait pas remis les plans qu’elle a alors donnés si cette visite avait été effectuée dans le cadre de l’article R. 313-33 du code de l’urbanisme car ces documents étaient incomplets et erronés ;
– en méconnaissance de l’article R. 313-24 du code de l’urbanisme, le dossier soumis à enquête se contente d’évaluer le coût global des dépenses de travaux sur les parties communes et sur les parties privatives, sans procéder à une évaluation immeuble par immeuble, ce qui permettrait d’apprécier le coût total réel de l’opération ;
– compte tenu des précédentes fonctions occupées par Mme A…, la décision d’intégrer l’immeuble dont elle est associée dans une opération de restauration immobilière non justifiée révèle un détournement de pouvoir ;
– les immeubles qu’elle détient ne pouvaient entrer dans le champ de la restauration immobilière prévue à l’article L. 313-4 du code de l’urbanisme dès lors que les locaux d’habitation s’y trouvant avaient été rénovés, que les locaux restant étaient constitués de locaux commerciaux et de leurs annexes et que ceux-ci étaient majoritaires à l’échelle de l’immeuble ;
– l’article L. 313-4 ne peut avoir pour objet, comme c’est le cas en l’espèce, d’ordonner la transformation de locaux commerciaux en logements ;
– le projet en cause ne présente pas un intérêt suffisant par rapport à l’atteinte à la propriété privée qu’il constitue, au coût qu’il représente pour la collectivité et au fait que Mâcon ne souffre pas d’un déficit de biens à la location.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2017, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête.

Le ministre de l’intérieur soutient que :
– la requête est tardive ;
– le gérant de la société ne justifie pas qu’il avait qualité pour représenter la SCI en vertu d’une habilitation donnée par une décision des associés ;
– les moyens soulevés par la SCI MSI ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2018, la commune de Mâcon conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la SCI MSI une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de Mâcon soutient que :
– la requête est irrecevable, Mme A… ne justifiant pas d’un mandat pour représenter la SCI Zephyre et la SCI MSI ;
– les moyens soulevés par la SCI MSI ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de l’expropriation ;
– le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de MmeD…, première conseillère,
– les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
– et les observations de Me C…, représentant la SCI MSI et de Me B…, représentant la commune de Mâcon ;

Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 22 octobre 2014, le préfet de Saône-et-Loire a déclaré d’utilité publique, au profit de la commune de Mâcon, des travaux de restauration immobilière d’immeubles situés dans le centre ville. Le 18 décembre 2014, la société civile immobilière (SCI) MSI, propriétaire d’un immeuble situé dans le périmètre concerné, a formé un recours gracieux contre cet arrêté, qui a été rejeté par décision du 18 février 2015. La SCI MSI relève appel du jugement du 20 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 22 octobre 2014, ensemble la décision du 18 février 2015 en tant que l’arrêté attaqué déclarant d’utilité publique l’opération de restauration immobilière porte sur l’immeuble dont elle est propriétaire.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué du 20 décembre 2016 a été notifié par courrier du 10 janvier 2017. La requête d’appel ayant été enregistrée le 10 mars 2017 au greffe de la cour, le délai de deux mois prévu à l’article R. 811-2 du code de justice administrative n’a pas été méconnu. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête doit être écartée.
3. En vertu de l’article 1849 du code civil, le gérant d’une société civile tient normalement de ses fonctions le droit d’agir en justice. En l’espèce, le gérant de la SCI MSI étant la société Zephyre, société civile, le gérant de cette dernière a qualité pour représenter la SCI MSI devant la cour. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que Mme A…, gérante de la société Zephyre, n’avait pas qualité pour représenter la SCI Zephyre manque en fait.
Sur la légalité de l’arrêté :
4. Aux termes de l’article L. 313-4 du code de l’urbanisme :  » Les opérations de restauration immobilière consistent en des travaux de remise en état, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d’habitabilité d’un immeuble ou d’un ensemble d’immeubles. Elles sont engagées à l’initiative soit des collectivités publiques, soit d’un ou plusieurs propriétaires, groupés ou non en association syndicale, et sont menées dans les conditions définies par la section 3 du présent chapitre. / Lorsqu’elles ne sont pas prévues par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé, elles doivent être déclarées d’utilité publique. « . Aux termes de l’article L. 313-4-1 du même code :  » Lorsque l’opération nécessite une déclaration d’utilité publique, celle-ci est prise, dans les conditions fixées par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, à l’initiative de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent pour réaliser les opérations de restauration immobilière, ou de l’Etat avec l’accord de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme. « .
5. Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 313-4 du code de l’urbanisme qu’elles ont vocation à s’appliquer dès qu’un immeuble comprend, au moins pour partie, des locaux destinés à l’habitation. Les travaux de remise en état, de modernisation ou de démolition peuvent porter sur tous les locaux de l’immeuble, s’ils ont pour objet ou pour effet la transformation des conditions d’habitabilité de l’immeuble ou d’un ensemble d’immeubles. Ces travaux ne peuvent toutefois contraindre un propriétaire à transformer en logements des locaux n’ayant pas précédemment cette destination.
6. L’immeuble appartenant à la SCI MSI comprend, dans la partie de l’immeuble destinée à l’habitation, trois logements qui ont été rénovés et des espaces non rénovés, qui doivent s’analyser comme des annexes à la partie habitable, ainsi que, dans une autre partie de l’immeuble, des locaux, anciennement occupés par une boucherie et ses annexes. Cette partie des locaux, alors même que l’acte de vente et les mentions portées sur les fichiers hypothécaires ne l’indiquent pas, est constituée de locaux destinés au commerce eu égard aux caractéristiques physiques propres à ces locaux et à l’usage dont ils ont précédemment fait l’objet.
7. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du dossier d’enquête publique, que les travaux prescrits dans le cadre de l’opération de restauration immobilière  » auront pour objet d’améliorer et de mettre aux normes de sécurité et d’hygiène en vigueur tous les locaux d’habitation, d’activités commerciales et de services avec : / – la mise aux normes minimales d’habitabilité, aux normes relatives à la sécurité, à la salubrité et à l’équipement des logements ou des pièces isolées / – l’amélioration et la mise en conformité des installations électriques et des installations de gaz combustible / – l’amélioration de la performance thermique / énergétique et phonique des logements / – la mise en conformité des menuiseries « . La fiche relative à l’immeuble de la SCI MSI, qui indique que l’immeuble comprend quatre logements – au lieu de trois – et un commerce, prévoit un certain nombre de travaux sur les parties communes, tels que la réfection de la façade et de la toiture. S’agissant des parties privatives, la fiche indique que les travaux portent sur les logements et consistent en leur mise aux normes de confort, de sécurité et d’habitabilité, sans autre précision. Au vu de ces seuls éléments, l’objet et la nature des travaux déclarés d’utilité publique paraissent ne pas méconnaître les dispositions encadrant ce type d’opération.
8. Toutefois, l’examen des motifs retenus par le préfet dans la décision portant rejet du recours gracieux révèle que les travaux prescrits dans le cadre de l’opération de restauration immobilière litigieuse portent, d’une part, sur les parties dites privatives s’agissant des espaces vacants laissés à l’abandon à côté de ceux réhabilités et, d’autre part, sur les autres surfaces laissées à l’abandon dans la mesure où le préfet estimait que l’ensemble de l’immeuble était destiné à l’habitation. Le préfet a également indiqué dans sa décision de rejet que ces espaces concernent les parties de logements non rénovés et les anciennes annexes d’un commerce et que ces espaces nécessitent la réalisation de travaux de confort et de sécurité pour les personnes logeant à proximité. Enfin, la décision ajoute que  » l’étude de faisabilité technique et financière réalisée en janvier 2013 par le cabinet Urbanis dans le cadre de l’OPAH démontre qu’il est possible (…) de remettre cet immeuble en l’état d’habitabilité et d’offrir des logements adaptés à l’accueil des jeunes ménages (…) (création de deux logements T3 ou un T3 avec un T4, selon l’option d’aménagement choisie, en supplément des deux T2 et du studio existant) « . Or, il ressort de l’étude Urbania dont le coût total des travaux est chiffré à 250 000 euros, qu’elle portait sur la transformation de l’ensemble de l’immeuble en logements, ce qui implique nécessairement un changement de destination du commerce et de ses annexes. Ce montant est précisément celui qui a été retenu pour l’immeuble 2 grande rue Veyle dans le cadre de l’opération de restauration immobilière, avec un coût de travaux estimé à 143 000 euros pour les parties privatives et 107 000 euros pour les parties communes. Ainsi il ressort des pièces du dossier que les travaux que le préfet a entendu déclarer d’utilité publique ne visent pas seulement à transformer les conditions d’habitabilité des logements et de leurs annexes, ou à réaliser des travaux sur les parties de l’immeuble non destinées à l’habitation afin de rendre les parties destinées à l’habitation plus habitables, mais également à imposer au propriétaire de changer la destination de la partie du bâtiment anciennement destinée à la boucherie et à ses annexes situées au-dessus. Dès lors, le préfet ne pouvait, sans méconnaître l’article L. 313-4 du code de l’urbanisme, déclarer d’utilité publique la réalisation de ces travaux. La SCI MSI est, par voie de conséquence, fondée à demander l’annulation de l’arrêté portant déclaration d’utilité publique de l’opération de restauration immobilière en tant qu’il concerne l’immeuble dont elle est propriétaire, ainsi que de la décision du 18 février 2015 ayant rejeté son recours gracieux.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que la SCI MSI est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 22 octobre 2014 du préfet de Saône-et-Loire en tant qu’il déclare d’utilité publique l’opération de restauration immobilière concernant l’immeuble lui appartenant situé 2 grande rue de Veyle et de la décision du 18 février 2015 ayant rejeté son recours gracieux.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCI MSI et non compris dans les dépens.

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la SCI MSI qui n’a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la commune de Mâcon la somme qu’elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L’arrêté du 22 octobre 2014 du préfet de Saône-et-Loire est annulé en tant qu’il déclare d’utilité publique l’opération de restauration immobilière concernant l’immeuble situé 2 grande rue de Veyle, ensemble la décision du 18 février 2015 du préfet de Saône-et-Loire portant rejet du recours gracieux de la SCI MSI.
Article 2 : Le jugement n° 1501165 du 20 décembre 2016 du tribunal administratif de Dijon est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L’Etat versera à la SCI MSI une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Mâcon tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI MSI, au ministre de l’intérieur et à la commune de Mâcon.
Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire.
Délibéré après l’audience du 22 novembre 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Fischer-Hirtz, présidente de chambre,
M. Souteyrand, président-assesseur,
MmeD…, première conseillère.
Lu en audience publique, le 13 décembre 2018.

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