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Autorisation d’urbanisme : une construction irrégularisable en première instance (TA) peut-elle être régularisée en appel (CAA) ?

Arrêt rendu par Cour administrative d’appel de Toulouse
12-05-2022
n° 19TL01569
Texte intégral :
Procédure contentieuse antérieure :

M. B. E. a demandé au tribunal administratif de Nîmes d’annuler l’arrêté du 25 septembre 2017 par lequel le maire de Roussillon a délivré à M. A. un permis de construire.

Par un jugement n° 1703607 du 5 février 2019, le tribunal administratif de Nîmes a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 avril 2019 et le 3 mars 2020 au greffe de la cour administrative d’appel de Marseille sous le n° 19MA01569 puis au greffe de la cour administrative d’appel de Toulouse sous le n° 19TL01569, M. D. A., représenté par la SELARL Krief-Gordon Avignon, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de première instance ;

3°) à titre subsidiaire, de lui octroyer un délai, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, pour lui permettre de régulariser auprès du maire de Roussillon le permis de construire du 25 septembre 2017 ;

4°) de mettre à la charge de Mme C. la somme de 2 000 € au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

– sa requête est recevable dès lors qu’en sa qualité de bénéficiaire du permis de construire en litige, il n’avait pas l’obligation de notifier son recours à M. E. et à la commune de Roussillon en application des dispositions de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ;

– la décision attaquée n’est pas entachée d’une erreur de droit au regard de l’article 1NB3 alinéa 1 du plan d’occupation des sols de la commune de Roussillon ;

– le plan de masse et la notice explicative ne comportaient pas d’inexactitudes ayant empêché le service instructeur d’apprécier les conditions réelles de desserte de la parcelle ;

– le tribunal administratif a commis une erreur de droit en refusant de surseoir à statuer dans l’attente de la régularisation du permis de construire en litige en méconnaissance des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Par des mémoires en intervention enregistrés le 8 janvier 2020 et le 5 août 2020, la commune de Roussillon, représentée par Me Balique, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) à titre subsidiaire, d’octroyer à M. A. un délai, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, pour lui permettre de régulariser auprès du maire de Roussillon le permis de construire du 25 septembre 2017 ;

3°) de mettre à la charge de M. E. la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– son intervention doit être regardée comme un appel incident à l’appui de la requête ;

– elle était en situation de compétence liée pour délivrer le permis de construire en litige au vu du certificat d’urbanisme délivré le 21 avril 2016 ;

– la décision attaquée n’est pas entachée d’une erreur de droit au regard de l’article 1NB3 alinéa 1 du plan d’occupation des sols de la commune de Roussillon ;

– le tribunal administratif a commis une erreur de droit en refusant de surseoir à statuer en méconnaissance des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 février 2020 et 26 mars 2020, Mme F. C. déclare reprendre l’instance à la suite du décès de M. E. et demande à la cour de rejeter la requête.

Elle fait valoir que :

– la requête est irrecevable dès lors que le recours formé par M. A. devant la cour administrative d’appel n’a pas été notifié à M. E. et à la commune de Roussillon en méconnaissance des dispositions de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ;

– le dossier de demande de permis de construire comporte des inexactitudes ;

– l’arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l’article 1NB3 du règlement du plan d’occupation des sols.

Par ordonnance du 2 juillet 2020, la clôture d’instruction a été fixée au 15 septembre 2020.

Un mémoire présenté pour la commune de Roussillon a été enregistré le 2 mars 2021.

Par ordonnance du 7 janvier 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat a attribué à la cour administrative d’appel de Toulouse le jugement de la requête de M. A.

Par courrier en date du 2 février 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l’arrêt était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de ce que la commune de Roussillon ayant qualité pour faire appel, son intervention, intervenue après l’expiration du délai de recours, est irrecevable.

Par un mémoire, enregistré le 8 février 2022, la commune de Roussillon, représentée par Me Balique, a répondu à ce moyen d’ordre public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code de l’urbanisme ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Lasserre, première conseillère,

– les conclusions de Mme Torelli, rapporteure publique,

– et les observations de Me Balique, représentant la commune de Roussillon.

Considérant ce qui suit :

1. M. A. relève appel du jugement en date du 5 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé l’arrêté du 25 septembre 2017 par lequel le maire de la commune de Roussillon lui a délivré un permis de construire en vue d’édifier deux maisons d’habitation avec piscine et annexes, de surfaces de plancher respectives de 198,45 et 48 mètres carrés.

Sur l’intervention de la commune de Roussillon :

2. La commune de Roussillon, qui avait la qualité de partie en première instance, avait qualité pour faire appel. Son intervention, présentée après l’expiration des délais de recours contentieux, est par suite irrecevable.

Sur la fin de non-recevoir :

3. Aux termes de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme : « En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l’encontre d’un […] d’un permis de construire […], le préfet ou l’auteur du recours est tenu, à peine d’irrecevabilité, de notifier son recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant […] un permis de construire […]. » Ces dispositions n’imposent pas à l’auteur du permis ou à son bénéficiaire, ni d’ailleurs à aucune autre personne ayant qualité pour faire appel d’un jugement annulant en tout ou partie un permis de construire, de notifier l’appel dirigé contre un tel jugement. Par suite, la fin de non-recevoir, opposée par Mme C., à la requête d’appel de M. A. et tirée du défaut de notification de celle-ci ne peut qu’être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le motif retenu par le tribunal administratif :

4. Aux termes de l’article R. 431-7 du code de l’urbanisme : « Sont joints à la demande de permis de construire : […] b) Le projet architectural défini par l’article L. 431-2 et comprenant les pièces mentionnées aux articles R. 431-8 à R. 431-12. » L’article R. 431-8 du même code dispose que : « Le projet architectural comprend une notice précisant : […] f) L’organisation et l’aménagement des accès au terrain […] » et aux termes du 3e alinéa de son article R. 431-9 : « Lorsque le terrain n’est pas directement desservi par une voie ouverte à la circulation publique, le plan de masse indique l’emplacement et les caractéristiques de la servitude de passage permettant d’y accéder. »

5. La circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l’ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l’urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n’est susceptible d’entacher d’illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

6. Si le rapport d’expertise en date du 24 avril 2013 proposait de désenclaver le terrain d’assiette du projet en grevant la parcelle voisine appartenant à M. E. d’une servitude de passage, il ressort des pièces du dossier qu’elle n’existait pas à la date du dépôt de la demande de construire en litige par M. A. Or, le plan de masse et la notice explicative joints au dossier de demande du permis de construire en litige indiquaient l’existence d’une telle servitude. Ainsi, le dossier de demande de permis de construire de M. A. comportait des inexactitudes sur l’existence même de la servitude de passage. Dès lors qu’il appartient à l’autorité compétente de s’assurer de l’existence d’une desserte suffisante de la parcelle par une voie ouverte à la circulation publique et, le cas échéant, de l’existence d’un titre créant une servitude de passage donnant accès à cette voie, et alors même que, par jugement postérieur en date du 5 février 2019, le tribunal de grande instance d’Avignon a reconnu l’existence de cette servitude, cette inexactitude a été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable à la date d’édiction de la décision attaquée.

En ce qui concerne l’application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme :

7. Aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme : « Sans préjudice de la mise en oeuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire […] estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. »

8. Pour mettre en oeuvre les dispositions précitées de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des autres moyens soulevés par les demandeurs tant en première instance qu’en appel à l’encontre de l’arrêté en litige.

S’agissant de l’autre moyen d’annulation soulevé par M. E. et Mme C. :

9. Aux termes de l’article 1NB3 alinéa 1 du règlement du plan d’occupation des sols de la commune de Roussillon : « Pour être constructible, un terrain doit avoir accès à une voie publique, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un passage aménagé sur fonds voisins, éventuellement obtenu par application de l’article 682 du code civil. » Ainsi qu’il vient d’être dit au point 6, il ressort des pièces du dossier que le titre créant la servitude de passage permettant de désenclaver le terrain de M. A. n’existait pas à la date d’édiction du permis de construire en litige. En outre, le certificat d’urbanisme du 21 avril 2016 n’est pas de nature à conférer au propriétaire de la parcelle en litige un droit de passage sur la parcelle attenante. Ainsi, le terrain en litige ne bénéficiait pas, à la date de l’arrêté attaqué, d’un accès à une voie publique. Par suite, l’arrêté du 25 septembre 2017 par lequel le maire de la commune de Roussillon a délivré un permis de construire à M. A. méconnaît les dispositions de l’article 1NB3 alinéa 1 du plan d’occupation des sols de la commune de oussillon.

S’agissant des conséquences des vices constatés :

10. Les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ont pour objet de permettre au juge administratif de surseoir à statuer sur une demande d’annulation d’un permis de construire lorsque le vice entraînant l’illégalité de ce permis est susceptible d’être régularisé. Il appartient au juge, pour faire usage des pouvoirs qui lui sont ainsi dévolus, d’apprécier si, eu égard à la nature et à la portée du vice entraînant son illégalité, ainsi qu’aux circonstances de l’espèce, cette régularisation est possible. Un vice de procédure, dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision litigieuse, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date. S’agissant des vices entachant le bienfondé du permis de construire, le juge doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu’au regard de ces règles le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction.

11. Il ressort des pièces du dossier qu’à défaut d’un règlement amiable, une procédure judiciaire aux fins de désenclavement du terrain litigieux a été initiée depuis plusieurs années. Une expertise a ainsi été ordonnée le 15 février 2012, laquelle a donné lieu au dépôt du rapport définitif de l’expert le 24 avril 2013. L’audience devant le tribunal de grande instance d’Avignon, qui avait été initialement fixée au 16 février 2018, a d’abord été renvoyée au 13 novembre 2018 puis à une date ultérieure.

A la date à laquelle il a statué, le tribunal administratif de Nîmes a donc pu estimer à bon droit que l’illégalité relevée au point 6 du présent arrêt ne pourrait pas être régularisée à échéance raisonnable.

12. Néanmoins, l’existence d’une servitude de passage au bénéfice du terrain d’assiette du projet a finalement été reconnue par jugement du 5 février 2019 du tribunal de grande instance d’Avignon. Si Mme C. fait valoir, en cause d’appel, que ce jugement a été frappé d’appel ou que le terrain d’assiette du projet serait inconstructible au regard des règles d’urbanisme aujourd’hui en vigueur, elle n’apporte aucun élément à l’appui de ses allégations. Par suite, et alors que l’appel n’est pas suspensif, les vices affectant le permis de construire, relevés au point 6 et au point 9, sont régularisés à la date du présent arrêt.

13. Il résulte de ce qui précède que M. A. est fondé à demander l’annulation du jugement du 5 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé l’arrêté du maire de la commune de Roussillon du 25 septembre 2017 lui délivrant un permis de construire et à demander le rejet de la demande présentée par M. E. devant le tribunal administratif de Nîmes.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de rejeter l’ensemble des conclusions des parties présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Décide :

Article 1er : L’intervention de la commune de Roussillon n’est pas admise.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 5 février 2019 est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. E. devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D. A., à Mme F. C. et à la commune de Roussillon.

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