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Préemption dans les espaces naturels sensibles : qui peut préempter, le parc, la ville ?

Conseil d’État

N° 375005   
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
1ère / 6ème SSR
M. Yannick Faure, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP HEMERY, THOMAS-RAQUIN ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats

lecture du mercredi 4 novembre 2015

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. C…H…et Mme B…A…, épouseH…, ont demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, la décision du 8 juillet 2011 par laquelle le maire d’Aureille (Bouches-du-Rhône) a préempté deux terrains situés Derrière-Saint-Jean et En-bas-du-chemin-de-Saint-Jean, cadastrés section CH n° 11 et section CE n° 1 et, d’autre part, la décision du 17 août 2011 par laquelle ce maire a rapporté cette décision et préempté à nouveau ces mêmes biens. Par un jugement nos 1105810, 1106731 du 12 novembre 2012, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 8 juillet 2011 et rejeté le surplus de leur demande.

Par un arrêt n° 13MA00168 du 5 décembre 2013, la cour administrative d’appel de Marseille, sur appel de M. et MmeH…, a annulé la décision du maire d’Aureille du 17 août 2011 et réformé en conséquence le jugement du tribunal administratif de Marseille du 12 novembre 2012.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 janvier et 28 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune d’Aureille demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de M. et Mme H…la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Yannick Faure, auditeur,

– les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, avocat de la commune d’Aureille et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. et Mme H…;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme H…ont conclu avec M. E…et MmeG…, le 11 mai 2011, un compromis de vente par lequel ces derniers s’engageaient à leur céder deux terrains à usage d’oliveraie situés Derrière-Saint-Jean et En-bas-du-chemin-de-Saint-Jean à Aureille, inclus dans le périmètre d’une zone d’espaces naturels sensibles et dans le territoire du parc naturel régional des Alpilles ; que, par lettre du 29 juin 2011, le vice-président du conseil général de ce département a renoncé à l’exercice du droit de préemption sur ces biens en précisant que la commune pouvait exercer ce droit par substitution au département ; que le maire d’Aureille, par une première décision du 8 juillet 2011, les a préemptés par substitution puis, par une seconde décision du 17 août 2011, a retiré cette décision et préempté à nouveau ces mêmes biens ; que M. et Mme H…, acquéreurs évincés, ont demandé au tribunal administratif de Marseille l’annulation pour excès de pouvoir de ces deux décisions ; que par un jugement du 12 novembre 2012, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 8 juillet 2011 et rejeté le surplus de leur demande ; que par un arrêt du 5 décembre 2013, contre lequel la commune d’Aureille se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Marseille a fait droit à l’appel de M. et Mme H… et annulé pour excès de pouvoir la décision du 17 août 2011 ;

2. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 142-1 du code de l’urbanisme :  » Afin de préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et des champs naturels d’expansion des crues et d’assurer la sauvegarde des habitats naturels selon les principes posés à l’article L. 110, le département est compétent pour élaborer et mettre en oeuvre une politique de protection, de gestion et d’ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non  » ; qu’aux termes des premier, troisième, huitième et treizième alinéas de l’article L. 142-3 du même code, dans leur rédaction en vigueur à la date de la décision en litige :  » Pour la mise en oeuvre de la politique prévue à l’article L. 142-1, le conseil général peut créer des zones de préemption dans les conditions ci-après définies. / (…) / A l’intérieur de ces zones, le département dispose d’un droit de préemption sur tout terrain ou ensemble de droits sociaux donnant vocation à l’attribution en propriété ou en jouissance de terrains qui font l’objet d’une aliénation, à titre onéreux, sous quelque forme que ce soit. / (…) / Au cas où le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres est territorialement compétent, celui-ci ou, à défaut, la commune, peut se substituer au département si celui-ci n’exerce pas le droit de préemption. Sur le territoire d’un parc national ou d’un parc naturel régional et dans les réserves naturelles dont la gestion leur est confiée, l’établissement public chargé du parc national ou du parc naturel régional ou, à défaut, la commune peut se substituer au département et, le cas échéant, au Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, si ceux-ci n’exercent pas leur droit de préemption. Pour un parc naturel régional, l’exercice de ce droit de préemption est subordonné à l’accord explicite du département. Au cas où ni le conservatoire ni l’établissement public chargé d’un parc national ou d’un parc naturel régional n’est compétent, la commune peut se substituer au département si celui-ci n’exerce pas son droit de préemption. / (…) / Si, à son expiration, le décret de classement d’un parc naturel régional n’est pas renouvelé, les biens que ce parc a acquis par exercice de ce droit de préemption deviennent propriété du département  » ;

3. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que l’établissement public chargé d’un parc naturel régional ne peut se substituer au département, en cas de renonciation de celui-ci, pour l’exercice de son droit de préemption sur le territoire du parc, qu’avec son accord explicite ; que lorsqu’il apparaît que le département n’entend pas donner un tel accord, la commune peut se substituer à lui pour l’exercice du droit de préemption, sans qu’il soit au préalable nécessaire que l’établissement public chargé du parc naturel régional ait été informé de la renonciation du département et ait lui-même expressément renoncé à l’exercice de ce droit ;

4. Considérant que la cour a relevé que le département des Bouches-du-Rhône avait informé la commune d’Aureille de sa renonciation à préempter et l’avait directement invitée à se substituer à lui, manifestant ainsi son intention de ne pas donner son accord à l’établissement public chargé du parc naturel régional des Alpilles ; que, dès lors, en jugeant que faute de renonciation de ce parc à exercer le droit de préemption, la commune d’Aureille n’avait pas compétence pour préempter les terrains en cause par substitution au département, la cour a commis une erreur de droit ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, la commune d’Aureille est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions qu’elle présente au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 5 décembre 2013 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Marseille.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la commune d’Aureille est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune d’Aureille, à M. C…H…et à Mme B…A…, épouseH….
Copie en sera adressée pour information à Mme D…G…, à M. F…E…, à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et à la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

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