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Aire d’accueil des gens du voyage : un préfet n’est pas compétent pour la créer !

Jugement rendu par Tribunal administratif de Melun
04-06-2021
n° 1706419

Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 8 août 2017, et un mémoire enregistré le 7 juin 2019, la commune de Crosne et la communauté d’agglomération Val d’Yerres Val de Seine, représentées par Me Le Bouëdec, demandent au tribunal :

1°) d’annuler la décision par laquelle le préfet du Val-de-Marne a décidé d’implanter une aire de grand passage sur le territoire de la commune de Valenton, ainsi que la décision conjointe de ce préfet et du conseil départemental du Val-de-Marne de réaliser des travaux en vue de l’aménagement de cette aire ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat et du département du Val-de-Marne le versement à chaque requérante de la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

– la requête est recevable dès lors qu’elle est dirigée contre des décisions informelles qui n’ont jamais fait l’objet de mesures de publicité ;

– elles justifient d’un intérêt pour agir car l’aire de grand passage litigieuse se trouve à quelques centaines de mètres de la commune de Crosne et sera à l’origine de nuisances ;

– aucune autorisation n’a été affichée sur le terrain ;

– les décisions attaquées ont été adoptées par une autorité incompétente, la métropole du Grand Paris exerçant de plein droit en lieu et place de ses communes membres l’aménagement des aires d’accueil des gens du voyage ; l’Etat ne peut agir qu’en cas de carence, laquelle n’est pas caractérisée en l’espèce ;

– elles sont entachées d’une erreur de droit dès lors qu’aucun permis d’aménager n’a été délivré ; aucune déclaration préalable n’a été faite ; en outre, la délivrance d’une autorisation aurait été contraire au plan local d’urbanisme de la commune de Valenton, dès lors qu’aucune aire d’accueil pour les gens du voyage ne peut être délivrée sur une parcelle classée en zone agricole ;

– elles sont entachées d’une erreur manifeste d’appréciation ; la création d’une aire de grand passage va perturber les conditions de circulation dans les environs ; la parcelle ne présente pas de garanties suffisantes en termes d’hygiène et de sécurité ;

– elles portent atteinte au principe de prévention ; la parcelle se trouve en bordure du massif de l’Arc Boisé, classé en forêt de protection par un décret du 25 mai 2016 ;

– le schéma départemental d’accueil des gens du voyage du Val-de-Marne a été annulé par un jugement du 10 janvier 2019 rendu par le Tribunal administratif de Melun ; les décisions attaquées, prises sur le fondement de ce schéma, ne peuvent par suite qu’être annulées ;

– l’article 3.2.2 du schéma départemental d’accueil des gens du voyage est illégal ; en effet, le schéma a été adopté au terme d’une procédure irrégulière, aucune évaluation préalable n’ayant été réalisée ; la commission de coordination n’a pas été consultée ; le choix d’implanter une aire d’accueil des gens du voyage sur le territoire de la commune de Valenton est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, les garanties en termes d’hygiène et de sécurité étant insuffisantes, et la parcelle se trouvant en bordure du massif de l’Arc Boisé, classé en forêt de protection.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 octobre 2017 et le 12 août 2019, le préfet du Val-de-Marne conclut au rejet de la requête, à titre principal en raison de son irrecevabilité, à titre subsidiaire en raison du caractère non fondé des moyens soulevés par les requérantes.

Il soutient que :

– la requête est irrecevable en raison du défaut d’intérêt à agir des requérantes contre les décisions attaquées, celles-ci concernant des travaux qui n’ont pas été réalisés sur leur territoire ;

– la requête est également irrecevable car dépourvue d’objet dès lors qu’aucune décision n’a été prise concernant l’implantation d’une aire de grand passage et que les travaux réalisés concernent la création d’une aire d’accueil temporaire sur un terrain appartenant à l’Etat ;

– les moyens de la requête ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au département du Val-de-Marne qui n’a pas présenté de mémoire en défense.

Un mémoire, présenté par la commune de Crosne et la communauté d’agglomération Val d’Yerres Val de Seine, a été enregistré le 30 septembre 2019, postérieurement à la clôture d’instruction intervenue le 3 septembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ;

– la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République ;

– le code général des collectivités territoriales ;

– le code de l’urbanisme ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Pilidjian,

– les conclusions de M. Zanella, rapporteur public,

– et les observations de Me Nègre pour la commune de Crosne et la Communauté d’Agglomération Val d’Yerres Val de Seine.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Crosne et la Communauté d’Agglomération Val d’Yerres Val de Seine demandent au tribunal l’annulation de la décision par laquelle le préfet a décidé d’implanter une aire de grand passage sur le territoire de la commune de Valenton, ainsi que la décision conjointe de ce préfet et du conseil départemental du Val-de-Marne de réaliser des travaux en vue de l’aménagement de cette aire.

Sur les fins de non-recevoir opposées par le préfet du Val-de-Marne :

Sur la fin de non-recevoir tirée de l’absence d’objet de la requête :

2. Aux termes de l’article 1er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000, dans sa version applicable au litige : « I. – Les communes participent à l’accueil des personnes dites gens du voyage et dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles installées sur des aires d’accueil ou des terrains prévus à cet effet […]. II. – Dans chaque département, au vu d’une évaluation préalable des besoins et de l’offre existante, notamment de la fréquence et de la durée des séjours des gens du voyage, de l’évolution de leurs modes de vie et de leur ancrage, des possibilités de scolarisation des enfants, d’accès aux soins et d’exercice des activités économiques, un schéma départemental prévoit les secteurs géographiques d’implantation et les communes où doivent être réalisés : / […] 3° Des aires de grand passage, destinées à l’accueil des gens du voyage se déplaçant collectivement à l’occasion des rassemblements traditionnels ou occasionnels, ainsi que la capacité et les périodes d’utilisation de ces aires […]. » L’article 4 de la même loi dispose que : « […] Pour les aires de grand passage prévues au 3° du II de l’article 1er, le représentant de l’Etat dans le département peut, après avis de la commission consultative départementale, faire application d’un taux maximal de subvention de 100 % du montant des dépenses engagées dans le délai fixé à l’article 2, dans la limite d’un plafond fixé par décret. L’Etat peut assurer la maîtrise d’ouvrage de ces aires. Dans ce cas, le montant des dépenses qu’il engage est soumis au plafond précité […]. »

3. Le préfet du Val-de-Marne soutient que l’aire d’accueil des gens du voyage créée et aménagée aux mois de juin et de juillet 2017 sur la parcelle C 19 située dans la commune de Valenton est une aire de stationnement temporaire, et non une aire de grand passage prévue au schéma départemental d’accueil des gens du voyage du Val-de-Marne approuvé le 24 janvier 2017. Le préfet se prévaut à cet égard de l’article 3 de la circulaire du ministre de l’intérieur du 10 avril 2017 relative à la préparation des stationnements des grands groupes de gens du voyage, par laquelle les services de l’Etat étaient encouragés à créer de telles aires temporaires sur des terrains non inscrits au schéma départemental pour pallier les insuffisances en aires de grand passage.

4. Toutefois, le schéma départemental d’accueil des gens du voyage du Val-de-Marne a inscrit, en son point 3.2.2. et dans sa fiche action n° 4, le principe de la création d’une aire de grand passage sur un terrain appartenant à l’Etat à Valenton. En outre, il ressort du jugement n° 1705793 du 10 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé l’arrêté du 24 janvier 2017 approuvant le schéma départemental d’accueil des gens du voyage du Val-de-Marne, que le préfet du Val-de-Marne avait alors indiqué que les travaux réalisés en 2017 sur la parcelle C 19 située à Valenton, objet des décisions attaquées par la requête susvisée, avaient été réalisés pour l’aménagement de l’aire de grand passage prévue au schéma, au moyen d’une subvention de l’Etat. Ce dernier élément avait conduit le tribunal à différer l’annulation du point 3.2.2. du schéma départemental au 1er janvier 2020, afin de préserver la base légale de l’aire de grand passage ainsi aménagée, ouverte à l’été 2018 et pour laquelle des réservations avaient été faites pour l’été 2019. Par ailleurs, le compte-rendu d’une réunion du département du Val-de-Marne du 12 août 2019 qualifie cette aire d’aire de grand passage. Au regard de ces éléments, les travaux d’aménagement de la parcelle C 19 appartenant à l’Etat, située dans la commune de Valenton, doivent être regardés comme révélant, d’une part, une décision du préfet du Val-de-Marne de créer l’aire de grand passage dont le principe avait été prévu au schéma départemental d’accueil des gens du voyage du Val-de-Marne, d’autre part, une décision conjointe de ce préfet et du conseil départemental du Val-de-Marne de réaliser des travaux en vue de l’aménagement de cette aire. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l’absence d’objet de la requête doit être écartée.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt pour agir de la commune de Crosne et de la Communauté d’Agglomération Val d’Yerres Val de Seine :

5. Il ressort des pièces du dossier que l’aire de grand passage créée et aménagée par les décisions attaquées a été implantée à quelques dizaines de mètres du territoire de la commune de Crosne et que cette aire, qui doit pouvoir accueillir d’après le schéma départemental d’accueil des gens du voyages 200 caravanes pendant les mois d’été, est desservie par la route départementale 102, laquelle traverse également la commune de Crosne. Eu égard à cette configuration et aux nuisances que peut engendrer le passage de très nombreuses caravanes sur le territoire de la commune de Crosne, cette dernière justifie d’un intérêt pour agir suffisant pour contester les décisions en litige. La fin de non-recevoir opposée par le préfet du Val-de-Marne, au motif de l’absence d’intérêt pour agir de la commune, doit donc être écartée.

6. En revanche, la communauté d’Agglomération Val d’Yerres Val de Seine n’établit pas que les décisions attaquées porteraient atteinte à ses intérêts ou affecterait l’une de ses compétences. Dans ces conditions, le préfet du Val-de-Marne est fondé à soutenir que la communauté d’Agglomération Val d’Yerres Val de Seine ne justifie pas d’un intérêt pour agir.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

Sur le moyen tiré de l’incompétence du préfet du Val-de-Marne et du département du Val-de-Marne :

7. Aux termes de l’article 2 du 5 juillet 2000 susvisées, dans sa version applicable à la date de l’adoption des décisions contestées : « Les communes figurant au schéma départemental en application des dispositions des II et III de l’article 1er sont tenues, dans un délai de deux ans suivant la publication de ce schéma, de participer à sa mise en oeuvre. Elles le font en mettant à la disposition des gens du voyage une ou plusieurs aires d’accueil, aménagées et entretenues. Elles peuvent également transférer cette compétence à un établissement public de coopération intercommunale chargé de mettre en oeuvre les dispositions du schéma départemental ou contribuer financièrement à l’aménagement et à l’entretien de ces aires d’accueil dans le cadre de conventions intercommunales. » L’article 3 de la même loi dispose que : « I. – Si, à l’expiration des délais prévus à l’article 2, une commune ou un établissement public de coopération intercommunale auquel a été transféré l’exercice de la compétence afférente n’a pas rempli les obligations mises à sa charge par le schéma départemental en matière d’aménagement, d’entretien et de gestion des aires permanentes d’accueil, des aires de grand passage et des terrains familiaux locatifs aménagés dans les conditions prévues à l’article L. 444-1 du code de l’urbanisme, le représentant de l’Etat dans le département met en demeure la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale de prendre les mesures nécessaires selon un calendrier déterminé, en évaluant le montant des dépenses afférentes […]. II. – Si, à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la consignation des sommes prévue au I, la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale n’a pas pris toutes les mesures nécessaires, le représentant de l’Etat dans le département peut mettre à nouveau en demeure la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale de prendre ces mesures, selon un calendrier déterminé. Si la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale n’a pas obtempéré dans les délais prévus par le calendrier, l’Etat peut acquérir les terrains nécessaires, réaliser les travaux d’aménagement et gérer les aires ou les terrains aménagés au nom et pour le compte de la commune ou de l’établissement public […]. »

8. Il résulte des dispositions citées au point 7 que la création et l’aménagement des aires d’accueil des gens du voyage ne relève pas de la compétence de l’Etat, hors du cas de la carence de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale. Dès lors, d’une part, le préfet du Val-de-Marne, qui n’invoque pas l’existence d’une telle carence à la date des décisions attaquées, n’était pas compétent pour prendre la décision attaquée portant création de l’aire de grande passage Valenton, d’autre part, ni le préfet ni le département du Val-de-Marne n’étaient compétents pour aménager cette aire. Les deux décisions en litige sont illégales pour ce motif.

Sur le moyen tiré de l’erreur de droit en l’absence de permis d’aménager :

9. Aux termes de l’article R. 421-23 du code de l’urbanisme : « Doivent être précédés d’une déclaration préalable les travaux, installations et aménagements suivants : […] k) L’aménagement de terrains bâtis ou non bâtis prévu à l’article L. 444-1, destinés aux aires d’accueil et aux terrains familiaux des gens du voyage, ne nécessitant pas un permis d’aménager en application de l’article R. 421-19 ; […]. »

10. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision par laquelle le préfet a décidé d’aménager l’aire de grand passage litigieuse aurait été précédée d’une déclaration préalable, pourtant obligatoire pour créer et aménager une aire de grand passage en application des dispositions citées au point 9. Par suite, la commune de Crosne est également fondée à soutenir que la décision contestée d’aménagement de l’aire de grand passage de Valenton est entachée d’une méconnaissance de ces dispositions. En revanche le moyen tiré de cette méconnaissance est inopérant à l’encontre de la décision par laquelle le préfet du Val-de-Marne a décidé de la création de cette aire.

11. Aux termes de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme : « Lorsqu’elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d’urbanisme […], la juridiction administrative se prononce sur l’ensemble des moyens de la requête qu’elle estime susceptibles de fonder l’annulation […], en l’état du dossier. » Pour l’application de ces dispositions, aucun des autres moyens de la requête n’est susceptible, en l’état du dossier, de fonder l’annulation de la décision par laquelle le préfet du Val-de-Marne a décidé d’implanter une aire de grand passage sur le territoire de la commune de Valenton et la décision conjointe de ce préfet et du conseil départemental du Val-de-Marne de réaliser des travaux en vue de l’aménagement de cette aire.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que la commune de Crosne est fondée à demander l’annulation des deux décisions attaquées.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 1 500 € à la commune de Crosne sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la commune tendant à la condamnation du Département du Val-de-Marne sur le même fondement.

Décide :

Article 1er : La décision par laquelle le préfet du Val-de-Marne a décidé d’implanter une aire de grand passage sur le territoire de la commune de Valenton et la décision conjointe de ce préfet et du conseil départemental du Val-de-Marne de réaliser des travaux en vue de l’aménagement de cette aire sont annulées.

Article 2 : L’Etat versera à la commune de Crosne la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Le surplus des conclusions de la commune de Crosne sur ce même fondement est rejeté.

Article 3 : La requête, en tant qu’elle est présentée par la communauté d’agglomération Val d’Yerres Val de Seine, est rejetée.

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