Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 16 novembre 2016
N° de pourvoi: 16-14152
Publié au bulletin Rejet
Mme Batut (président), président
SCP Odent et Poulet, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 22 janvier 2016), que, M. et Mme X…, M. et Mme Y… et Mme Z… ayant introduit devant la juridiction administrative un recours en annulation du permis de construire délivré à la société Carré Pontaillac, celle-ci les a assignés devant la juridiction judiciaire pour obtenir réparation du préjudice résultant de ce recours, selon elle abusif ; qu’ils ont soulevé une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative ;
Attendu que M. et Mme X…, M. et Mme Y… et Mme Z… font grief à l’arrêt de déclarer la juridiction judiciaire compétente pour connaître du litige alors, selon le moyen, que, lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en oeuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages-intérêts ; que cette disposition a été introduite expressément pour dissuader les recours abusifs, et réduire les délais de contentieux de l’urbanisme, et que, par voie de conséquence, seul le juge administratif est désormais compétent pour connaître de la demande de réparation pour abus du droit de former un recours pour excès de pouvoir, à l’exclusion du juge judiciaire ; qu’en jugeant que les conditions de mise en oeuvre de l’article n’ont ni pour objet ni pour effet d’imposer une compétence exclusive du juge administratif en la matière, pour déclarer compétent le tribunal de grande instance de Saintes, la cour d’appel a violé l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme ;
Mais attendu que l’arrêt retient exactement que, par dérogation au principe selon lequel des conclusions reconventionnelles tendant à ce que le demandeur soit condamné au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ne sont pas recevables dans une instance en annulation pour excès de pouvoir, l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme permet au bénéficiaire d’un permis de construire de solliciter, devant le juge administratif saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre ce permis, des dommages-intérêts contre l’auteur du recours, une telle faculté n’étant cependant ouverte que dans des conditions strictement définies par ce texte ; que la cour d’appel a décidé, à bon droit, que cette disposition légale n’avait ni pour objet ni pour effet d’écarter la compétence de droit commun du juge judiciaire pour indemniser, sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240 du code civil, le préjudice subi du fait d’un recours abusif ; que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme X…, M. et Mme Y… et Mme Z… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X…, M. et Mme Y… et Mme Z…
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué D’AVOIR infirmé l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Saintes en date du 16 septembre 2015 et statuant à nouveau, déclaré compétent le tribunal de grande instance de Saintes pour statuer sur les demandes de la société CARRE PONTAILLAC, et en conséquence débouté M. et Mme X…, M. et Mme Y… et Mme Z… de leurs demandes ;
AUX MOTIFS QUE « Aux termes de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme : « Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d ‘aménager est mis en oeuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts … ». Par dérogation au principe d’irrecevabilité des demande reconventionnelles en matière de recours en annulation devant le juge administratif, ce texte autorise donc le bénéficiaire d’un permis de construire à réclamer des dommages et intérêts devant le juge administratif saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre ce permis de construire, la recevabilité d’une telle demande étant toutefois soumise à de strictes conditions. L’article précité institue une voie de droit nouvelle devant le juge administratif au titre de la recevabilité d’une demande reconventionnelle jusque-là prohibée en matière de contentieux de l’excès de pouvoir mais strictement encadrée par les conditions de sa mise en oeuvre qui n’ont ni pour objet ni pour effet d’imposer une compétence exclusive du juge administratif en la matière et d’écarter la compétence générale du juge civil en matière d’indemnisation intégrale du préjudice subi du fait d’un recours abusif. C’est donc à tort que le juge de la mise en état a considéré que la nouvelle règle permettant une indemnisation spéciale devant le juge administratif dérogeait aux règles générales de l’abus de droit et impliquait l’incompétence du juge judiciaire pour éviter une double indemnisation alors que ce dernier conserve la plénitude de sa compétence pour statuer sur les conséquences d’un recours abusif en matière de permis de construire. Il en est ainsi non seulement dans le cas où aucune demande d’indemnisation n’est formulée devant le juge administratif, ce qui est la situation de l’espèce, mais aussi en cas de demande de sa réparation parallèle ou successive devant les deux ordres de juridictions puisque les conditions d’octroi de dommages-intérêts sont plus restrictives dans le cadre d’une action fondée sur l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme permettant d’indemniser seulement un « préjudice excessif » que dans celui d’une action fondée sur l’article 1382 du code civil ouvrant droit à une réparation intégrale du préjudice subi selon le droit commun. Dans celle dernière hypothèse, il n’y a d’ailleurs pas lieu de craindre une double réparation puisque toute double demande indemnitaire portant sur les mêmes chefs de préjudice serait jugée nécessairement irrecevable par l’une ou l’autre des juridictions saisies. L’ordonnance déférée qui a déclaré le juge judiciaire incompétent au profit du tribunal administratif de Poitiers sera en conséquence infirmée sans qu’il y ait lieu de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge administratif saisi des recours litigieux » ;
ALORS QUE, lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en oeuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts ; que cette disposition a été introduite expressément pour dissuader les recours abusifs, et réduire les délais de contentieux de l’urbanisme, et que par voie de conséquence, seul le juge administratif est désormais compétent pour connaître de la demande de réparation pour abus du droit de former un recours pour excès de pouvoir, à l’exclusion du juge judiciaire ; qu’en jugeant que les conditions de mise en oeuvre de l’article n’ont ni pour objet ni pour effet d’ imposer une compétence exclusive du juge administratif en la matière, pour déclarer compétent le tribunal de grande instance de Saintes, la cour d’appel a violé l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme.