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Expropriation : exproprier l’habitat insalubre et, en même temps, d’autres immeubles non concernés !

Conseil d’État

N° 383374   
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
9ème – 10ème chambres réunies
M. Simon Chassard, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX ; SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL, avocats

lecture du mercredi 18 janvier 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Mme C…A…, veuveB…, M. E…B…et Mme D… B…ont demandé au tribunal administratif de Toulon d’annuler, d’une part, l’arrêté du préfet du Var n° 201014 du 29 avril 2010 portant déclaration d’insalubrité irrémédiable d’un immeuble implanté sur une parcelle cadastrée n° BD 47 située au 18 rue du Général de Gaulle à Puget-sur-Argens, d’autre part, l’arrêté du préfet de Var du 31 mai 2011 déclarant d’utilité publique au profit de la commune de Puget-sur-Argens l’acquisition des parties d’immeubles nécessaires à la réalisation du projet de résorption de l’habitat insalubre sur l’îlot des Bouchonnières n° 1 situé dans le centre ancien de la commune et déclarant cessibles ces parties d’immeubles. Par un jugement nos 1001635, 1102351 du 16 mai 2012, le tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 12MA02962 du 2 juin 2014, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par les consorts B…contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 août et 4 novembre 2014 et le 10 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, les consorts B…demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment son premier protocole additionnel ;
– le code de la santé publique ;
– le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;
– la loi n° 70-612 du 10 juillet 1970 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Simon Chassard, auditeur,

– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de Mme A…veuveB…, de M. B…et de Mme D…B…et à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la commune de Puget-sur-Argens ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 25 juin 2009, le conseil municipal de Puget-sur-Argens (Var) a approuvé la mise en oeuvre d’une opération de résorption de l’habitat insalubre de  » l’îlot des Bouchonnières I « , situé dans le centre ancien de la commune. Le préfet du Var a pris le 29 avril 2010 un arrêté déclarant d’insalubrité irrémédiable l’immeuble appartenant à la commune, situé 18 rue du Général de Gaulle, cadastré BD 47 et voisin de l’immeuble situé au 16, avenue du Général de Gaulle, dans lequel les consorts B…possèdent des lots. Par un arrêté du 31 mai 2011, le préfet a déclaré d’utilité publique au profit de la commune l’acquisition des parties d’immeubles nécessaires à la réalisation du projet de résorption de l’habitat insalubre et déclaré cessibles ces parties d’immeubles, qui comprenaient les lots appartenant aux consortsB…. Par un jugement du 16 mai 2012, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de ces derniers tendant à l’annulation de ces deux arrêtés. Les consorts B…se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 2 juin 2014 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté leur appel dirigé contre ce jugement.

Sur la régularité de l’arrêt attaqué :

2. En premier lieu, les consorts B…font valoir que la cour administrative d’appel a, en méconnaissance des prescriptions de l’article R. 741-2 du code de justice administrative, omis de mentionner et d’analyser, dans les visas de son arrêt, le mémoire qu’ils ont présenté le 7 mars 2014, avant la clôture de l’instruction, dans lequel ils soutenaient notamment que l’acte d’expropriation ne mentionnait pas certains lots leur appartenant et en déduisaient que la vente, en 2013, des parcelles nues à la société chargée de construire les nouveaux immeubles était illégale. Néanmoins, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le mémoire présenté par les consorts B…le 7 mars 2014 l’avait été sans le ministère d’un avocat, contrairement à ce qu’imposent les dispositions de l’article R. 811-7 du code de justice administrative, et qu’aucun mémoire signé par l’avocat des consorts B…n’a été déposé ultérieurement aux fins de régularisation, de telle sorte que la cour n’avait pas l’obligation de viser le mémoire du 7 mars 2014. Ce moyen ne peut donc qu’être écarté.

3. En deuxième lieu, la cour a suffisamment répondu, pour l’écarter, au moyen tiré de ce que la fiche de renseignements cadastraux établie par les services de la commune de Puget-sur-Argens visait des biens qui n’appartenaient pas aux requérants mais à la commune, alors que d’autres lots leur appartenant n’étaient pas mentionnés.

Sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur l’arrêté du préfet du Var du 29 avril 2010 :

4. En jugeant, après avoir souverainement relevé, sans dénaturer les pièces du dossier, que les consorts B…n’étaient ni propriétaires, ni occupants à un quelconque titre d’un lot situé dans l’immeuble concerné par l’arrêté du 29 avril 2010 portant déclaration d’insalubrité irrémédiable, que leur seule qualité de voisin de cet immeuble ne suffisait pas à leur conférer un intérêt leur donnant qualité pour agir contre cet arrêté, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits dont elle était saisie.

Sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur l’arrêté du préfet du Var du 31 mai 2011 :

5. En premier lieu, aux termes des deux premiers alinéas de l’article 13 de la loi du 10 juillet 1970 tendant à faciliter la suppression de l’habitat insalubre, alors en vigueur et dont la teneur a été reprise aux deux premiers alinéas de l’article L. 511-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique :  » Peut être poursuivie au profit de l’Etat, d’une société de construction dans laquelle l’Etat détient la majorité du capital, d’une collectivité territoriale, d’un organisme y ayant vocation ou d’un concessionnaire d’une opération d’aménagement visé à l’article L. 300-4 du code de l’urbanisme, dans les conditions prévues aux articles 14 à 19, l’expropriation :/ – des immeubles déclarés insalubres à titre irrémédiable en application des articles L. 1331-25 et L. 1331-28 du code de la santé publique ;/ (…). « . Par ailleurs, aux termes des dispositions du quatrième alinéa de cet article, aujourd’hui codifiées au dernier alinéa du même article L. 511-1, peut être poursuivie l’expropriation  » à titre exceptionnel, des immeubles qui ne sont eux-mêmes ni insalubres, ni impropres à l’habitation, lorsque leur expropriation est indispensable à la démolition d’immeubles insalubres (…). Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’arrêté préfectoral du 31 mai 2011 portant déclaration d’utilité publique et cessibilité au profit de la commune des parties d’immeubles appartenant aux consorts B…a été pris, ainsi que l’indiquent ses visas, sur le fondement des dispositions précitées du quatrième alinéa de l’article 13 de la loi du 10 juillet 1970, qui visent les immeubles qui ne sont pas insalubres mais dont l’expropriation est indispensable à la démolition d’immeubles insalubres, sans distinguer entre les immeubles à usage d’habitation et les autres. L’arrêté contesté n’a ainsi pas été pris sur le fondement des dispositions du deuxième alinéa de cet article 13, qui ne visent quant à elles que les immeubles déclarés insalubres à titre irrémédiable en application des articles L. 1331-25 et L. 1331-28 du code de la santé publique, c’est-à-dire des immeubles ou locaux à usage d’habitation. Par suite, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, d’une part, que la circonstance, à la supposer établie, que certains des lots concernés par la procédure d’expropriation ne seraient pas à usage d’habitation ne saurait faire obstacle à la mise en oeuvre de la procédure d’expropriation prévue par l’article 13 de la loi du 10 juillet 1970 et, d’autre part, que l’arrêté litigieux ne méconnaissait pas le champ d’application du même article.

6. En deuxième lieu, en jugeant que les consorts B…n’étaient pas fondés à soutenir que la mise en oeuvre de la procédure d’expropriation de droit commun, plutôt que celle de la procédure prévue par l’article 13 de la loi du 10 juillet 1970 précité, aurait permis de mieux garantir le respect de leurs droits protégés par les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.

7. En dernier lieu, le moyen tiré de l’incompatibilité entre les dispositions de l’article 13 de la loi du 10 juillet 1970 et les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est nouveau en cassation et, par suite, inopérant.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts B…ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent. Les conclusions qu’ils ont présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu’être rejetées. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge des consorts B…la somme de 1 500 euros à verser à la commune de Puget-sur-Argens au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi des consorts B…est rejeté.
Article 2 : Les consorts B…verseront à la commune de Puget-sur-Argens une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme C…A…, veuveB…, à M. E… B…, à Mme D…B…, au ministre de l’intérieur et à la commune de Puget-sur-Argens.

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