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Bande littorale des 100 mètres : comment apprécier la notion de « densification significative des espaces » ?

Conseil d’État, 6ème – 5ème chambres réunies, 07/03/2022, 443804, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

L’association Cucq Trepied Stella 2020 a demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 mai 2016 par laquelle le conseil municipal de Cucq (Pas-de-Calais) a approuvé le plan local d’urbanisme de la commune, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux. Par un jugement n° 1608885 du 17 juillet 2018, le tribunal administratif a fait partiellement droit à sa demande, annulant la délibération du 23 mai 2016 en tant qu’elle approuvait l’orientation d’aménagement et de programmation du front de mer.

Par un arrêt n° 18DA01902, 18DA01930 du 30 juin 2020, la cour administrative d’appel de Douai a, sur appels de la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois, substituée à la commune de Cucq, et de l’association Cucq Trepied Stella 2020, annulé les articles 1er et 2 de ce jugement et rejeté l’appel de l’association ainsi que la demande qu’elle avait présentée devant le tribunal administratif.

Par un pourvoi sommaire, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 septembre 2020, 7 décembre 2020, 18 octobre 2021 et 21 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Cucq Trepied Stella 2020 demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois et de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d’Etat,

– les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de l’association Cucq Trepied Stella 2020 et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 février 2022, présentée par la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois.

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 23 mai 2016, la commune de Cucq (Pas-de-Calais) a approuvé son plan local d’urbanisme. Ce document modifie les perspectives d’aménagement du front de mer en adoptant une orientation d’aménagement et de programmation (OAP)  » du Front de mer « , laquelle prévoit l’urbanisation d’un secteur proche de la plage avec la création de 320 nouveaux logements et 30 000 m² de surface de plancher. L’association Cuq Trepied Stella 2020 a demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler pour excès de pouvoir cette délibération. Par un jugement du 17 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a fait droit partiellement à sa demande et annulé le plan local d’urbanisme en tant qu’il comporte cette OAP. L’association requérante se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 30 juin 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Douai, d’une part, a fait droit à l’appel de la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois en annulant le jugement du tribunal administratif de Lille et en rejetant sa demande portant sur cette OAP et, d’autre part, a rejeté l’appel qu’elle avait également formé contre ce jugement.

Sur la régularité de l’arrêt attaqué :

2. Le rapporteur public a pour mission d’exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l’espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu’appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient.

3. La circonstance qu’un rapporteur public concluant sur une affaire a eu à connaître au préalable de cette affaire comme rapporteur n’est pas, par elle-même, de nature à mettre en cause son impartialité. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure suivie devant la cour administrative d’appel de Douai serait irrégulière au motif que le rapporteur public avait été amené à prendre des mesures d’instruction en tant que rapporteur initial de l’affaire ne peut qu’être écarté.

Sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué :
En ce qui concerne l’arrêt en tant qu’il rejette l’appel de l’association :
S’agissant de la procédure de concertation :

4. Aux termes des dispositions de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme dans sa rédaction alors applicable :  » I. Font l’objet d’une concertation associant, pendant toute la durée de l’élaboration du projet, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées : 1° L’élaboration ou la révision du schéma de cohérence territoriale ou du plan local d’urbanisme (…) / II. Les objectifs poursuivis et les modalités de la concertation sont fixés par : (…) 2° L’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement public dans les autres cas (…) / IV. – Les documents d’urbanisme et les opérations mentionnées aux I, II et III bis ne sont pas illégaux du seul fait des vices susceptibles d’entacher la concertation, dès lors que les modalités définies au présent article et par la décision ou la délibération prévue au II ont été respectées « .

5. Lorsqu’elle a adopté une délibération définissant les modalités de la concertation en prévoyant que celle-ci doit avoir lieu jusqu’à l’arrêt du projet de plan local d’urbanisme, une commune ne peut reprendre la procédure d’élaboration et arrêter un nouveau projet sans le soumettre à une nouvelle concertation. Un tel vice n’est toutefois de nature à entacher d’irrégularité la procédure d’élaboration du projet que si ce vice a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la délibération approuvant le projet ou s’il a privé le public d’une garantie. Après avoir relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que si par une délibération en date du 27 novembre 2009, le conseil municipal de la commune de Cucq avait prévu que la concertation serait conduite jusqu’à ce que le projet de plan local d’urbanisme soit arrêté et si, après avoir arrêté un premier projet par une délibération en date du 16 septembre 2013, la commune avait, à la suite de l’avis défavorable émis par le préfet sur ce projet, repris la procédure d’élaboration sans qu’une concertation soit à nouveau organisée, jusqu’à ce que le projet soit définitivement arrêté, plus d’un an plus tard, par une nouvelle délibération du 29 janvier 2015, il ne ressortait pas des pièces du dossier que l’absence de nouvelle concertation avait privé le public d’une garantie ou exercé une influence sur le sens de la délibération approuvant le projet définitif, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.

S’agissant de la consultation des personnes publiques associées :

6. Aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 123-9 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction alors applicable :  » (…) le conseil municipal arrête le projet de plan local d’urbanisme. Celui-ci est alors soumis pour avis aux personnes publiques associées à son élaboration ainsi que, à leur demande, aux communes limitrophes, aux établissements publics de coopération intercommunale directement intéressés, à la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l’article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime, ainsi qu’à l’établissement public chargé d’un schéma de cohérence territoriale dont la commune est limitrophe, lorsqu’elle n’est pas couverte par un tel schéma. Le projet de plan local d’urbanisme tenant lieu de programme local de l’habitat est également soumis pour avis au comité régional de l’habitat et de l’hébergement prévu à l’article L. 364-1 du code de la construction et de l’habitation. Ces personnes et cette commission donnent un avis dans les limites de leurs compétences propres, au plus tard trois mois après transmission du projet de plan ; à défaut, ces avis sont réputés favorables « . En vertu de l’article L. 123-7 du même code, dans sa rédaction alors applicable, les services de l’Etat peuvent être associés à l’élaboration du plan local d’urbanisme. Enfin, il est précisé à l’article L. 123-10 de ce code, dans sa rédaction alors applicable, que le dossier soumis à l’enquête publique comprend les avis des personnes publiques consultées. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu’il appartient à une commune souhaitant modifier son projet de plan local d’urbanisme avant l’ouverture de l’enquête publique, notamment pour tenir compte de l’avis rendu par une personne publique associée à son élaboration, de consulter à nouveau l’ensemble des personnes publiques associées, afin que le dossier soumis à l’enquête publique comporte des avis correspondant au projet modifié. Toutefois, l’omission de cette nouvelle consultation n’est de nature à vicier la procédure et à entacher d’illégalité la décision prise à l’issue de l’enquête publique que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l’information du public ou si elle a été de nature à exercer une influence sur cette décision.

7. Il s’ensuit qu’en jugeant que, compte tenu de ce que le dossier soumis à enquête publique comportait un  » bilan des consultations des personnes associées  » renseignant à la fois sur le contenu des avis des personnes publiques associées et sur la manière dont ceux-ci avaient été pris en compte, l’absence de nouvelle consultation des personnes publiques sur les modifications apportées au projet n’avait pas nui à l’information du public ou influencé la décision prise par le conseil municipal, de sorte que la procédure n’avait pas été viciée, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.

S’agissant de l’application des dispositions propres au littoral :

8. Aux termes de l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme :  » Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l’occupation et à l’utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. / Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l’intérêt écologique qu’ils présentent, les dunes et les landes côtières, les plages et lidos, les forêts et zones boisées côtières, les îlots inhabités, les parties naturelles des estuaires, des rias ou abers et des caps, les marais, les vasières, les zones humides et milieux temporairement immergés ainsi que les zones de repos, de nidification et de gagnage de l’avifaune désignée par la directive 79/409 CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages « . Aux termes de l’article R. 121-4 du même code :  » En application de l’article L. 121-23, sont préservés, dès lors qu’ils constituent un site ou un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral et sont nécessaires au maintien des équilibres biologiques ou présentent un intérêt écologique : 1° Les dunes, les landes côtières, les plages et les lidos, les estrans, les falaises et les abords de celles-ci ; / 2° Les forêts et zones boisées proches du rivage de la mer et des plans d’eau intérieurs d’une superficie supérieure à 1 000 hectares (…) « .

9. Après avoir relevé que des parcelles situées sur le boulevard d’Angleterre et sur l’avenue du Golf, dont l’association Cucq Trepied Stella 2020 contestait le classement en tant qu’espaces à préserver, au titre des dispositions citées au point précédent, bien qu’elles jouxtent en partie des parcelles construites, se trouvent sur des dunes recouvertes d’une végétation typique des espaces dunaires et sont, par ailleurs, incluses dans deux zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique, la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que ces parcelles pouvaient être classées en espace à préserver.

En ce qui concerne l’arrêt en tant qu’il fait droit à l’appel de la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois :

10. Aux termes de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme :  » en dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage « . La compatibilité du plan local d’urbanisme avec ces dispositions s’apprécie, lorsque le territoire concerné est couvert par un schéma de cohérence territoriale, en tenant compte des dispositions de ce document relatives à l’application des dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral, sans pouvoir en exclure certaines au motif qu’elles seraient insuffisamment précises, sous la seule réserve de leur propre compatibilité avec ces dernières. Le plan local d’urbanisme et le schéma de cohérence territoriale ne peuvent autoriser de dérogations à l’interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres que pour des projets réalisés dans des espaces déjà urbanisés, à la condition qu’ils n’entraînent pas une densification significative de ces espaces.

11. En estimant, pour écarter le moyen tiré de l’illégalité de l’orientation d’aménagement et de programmation du front de mer, que le projet de réalisation, sur un secteur qui inclut la bande littorale des cent mètres, dans un espace dénué de construction même s’il est entouré de manière plus ou moins proche de parcelles construites, d’un ensemble immobilier de 320 logements répartis dans des immeubles de deux à quatre étages, pour une surface de plancher de 30 000 m², n’était pas de nature à entraîner une densification significative des espaces dans lesquels il devait s’insérer, la cour a dénaturé les pièces du dossier.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l’association Cucq Trepied Stella 2020 est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque en tant seulement qu’il fait droit à l’appel de la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois et qu’il rejette sa demande tendant à l’annulation de l’orientation d’aménagement et de programmation du front de mer inscrite dans le plan local d’urbanisme de Cucq.

13. Dans les circonstances de l’espèce il y a lieu de régler, dans la mesure de cette annulation, l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

14. Il ressort des pièces du dossier que l’orientation d’aménagement et de programmation du front de mer prévoit la réalisation, sur un secteur qui inclut la bande littorale des cent mètres, dans un espace dénué de construction, de 320 logements répartis dans des immeubles de deux à quatre étages, pour une surface de plancher de 30 000 m². Ce projet entraînera une densification significative de cette partie du front de mer, même si ce secteur est entouré de manière plus ou moins proche de parcelles construites. Il s’ensuit que la délibération attaquée ne pouvait légalement autoriser une telle dérogation à l’interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres. La communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois n’est donc pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par son jugement du 17 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille a annulé la délibération du 23 mai 2016 du conseil municipal de la commune de Cucq et la décision implicite rejetant le recours gracieux présenté contre cette délibération, en tant qu’elle approuve le projet d’orientation d’aménagement et de programmation du front de mer.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois le versement d’une somme de 3 000 euros à l’association Cucq Trepied Stella 2020 au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’association requérante, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :
————–

Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 30 juin 2020 sont annulés.
Article 2 : L’appel formé par la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois contre le jugement du tribunal administratif de Lille du 17 juillet 2018 est rejeté.
Article 3 : La communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois versera la somme de 3 000 euros à l’association Cucq Trepied Stella 2020 au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de l’association Cucq Trepied Stella 2020 est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à l’association Cucq Trepied Stella 2020, à la communauté d’agglomération des deux baies en Montreuillois et à la commune de Cucq.
Délibéré à l’issue de la séance du 9 février 2022 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. A… F…, M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; Mme L… H…, M. J… C…, Mme E… I…, M. D… G…, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d’Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d’Etat-rapporteure.

Rendu le 7 mars 2022.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
La rapporteure :
Signé : Mme Rozen Noguellou
La secrétaire :
Signé : Mme K… B…

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