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Droit de préemption urbain : un maire peut exercer le droit de préemption pour permettre la construction d’une mosquée !

Arrêt rendu par Conseil d’Etat
22-12-2022
n° 447100
Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

Mmes B. A., Rolande A., Colette A. et Pierrette A. ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 25 janvier 2017 par laquelle le maire de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain renforcé sur une parcelle leur appartenant, située 223, rue de Rosny. Par un jugement n° 1702610 du 1er février 2018, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision et précisé les obligations en découlant pour la commune en application de l’article L. 213-11-1 du code de l’urbanisme.

Par un arrêt n° 18VE01088 du 1er octobre 2020, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par la commune de Montreuil contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er décembre 2020, 1er mars et 24 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Montreuil demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge des consorts A., solidairement, la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code général des collectivités territoriales ;

– le code de l’urbanisme ;

– la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,

– les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Montreuil et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat des consorts A. ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 25 janvier 2017, le maire de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain sur une parcelle appartenant aux consorts A. en vue de permettre « la réalisation d’un équipement collectif d’intérêt général à vocation cultuelle consistant en une extension du centre socio culturel et de ses aires de stationnement ». Saisi par les consorts A., le tribunal administratif de Montreuil a, par un jugement du 1er février 2018, annulé cette décision et précisé les obligations en découlant pour la commune en application de l’article L. 213-11-1 du code de l’urbanisme. La commune de Montreuil se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 1er octobre 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté son appel contre ce jugement.

2. D’une part, aux termes de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme : « Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1, à l’exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d’aménagement./ […] Toute décision de préemption doit mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé / […] ». Aux termes du premier alinéa de l’article L. 300-1 du même code : « Les actions ou opérations d’aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité et l’habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. » Enfin, aux termes de l’article L. 213-11 du même code : « Les biens acquis par exercice du droit de préemption doivent être utilisés ou aliénés pour l’un des objets mentionnés au premier alinéa de l’article L. 210-1, qui peut être différent de celui mentionné dans la décision de préemption. L’utilisation ou l’aliénation d’un bien au profit d’une personne privée autre que le concessionnaire d’une opération d’aménagement ou qu’une société d’habitations à loyer modéré doit faire l’objet d’une délibération motivée du conseil municipal ou, le cas échéant, d’une décision motivée du délégataire du droit de préemption » et « Si le titulaire du droit de préemption décide d’utiliser ou d’aliéner pour d’autres objets que ceux mentionnés au premier alinéa de l’article L. 210-1 un bien acquis depuis moins de cinq ans par exercice de ce droit, il doit informer de sa décision les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel et leur proposer l’acquisition de ce bien en priorité. / Tout changement d’affectation du bien acquis par l’exercice du droit de préemption, dans la limite des objets prévus à l’article L. 210-1, doit faire l’objet d’une décision de l’organe délibérant de la collectivité. […]. »

3. Il résulte des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d’une part, justifier, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, et, d’autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en oeuvre de ce droit doit répondre à un intérêt général suffisant.

4. D’autre part, aux termes de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » L’article 2 de cette loi dispose : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes […]. » Aux termes de l’article 13 de la même loi : « Les édifices servant à l’exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations appelées à les remplacer auxquelles les biens de ces établissements auront été attribués par application des dispositions du titre II. […] L’Etat, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l’entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi. » Enfin, aux termes du dernier alinéa de l’article 19 de cette même loi, les associations formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice d’un culte « ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’Etat, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public, qu’ils soient ou non classés monuments historiques. »

5. Il résulte de ces dispositions que les collectivités publiques peuvent seulement financer les dépenses d’entretien et de conservation des édifices servant à l’exercice public d’un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Eglises et de l’Etat ou accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d’édifices cultuels et qu’il leur est interdit d’apporter une aide à l’exercice d’un culte. Les collectivités publiques ne peuvent donc, aux termes de ces dispositions, apporter aucune contribution directe ou indirecte à la construction de nouveaux édifices cultuels.

6. En premier lieu, le principe constitutionnel de laïcité ne fait pas obstacle à ce qu’une décision de préemption soit prise, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, en vue de permettre la réalisation d’un équipement collectif à vocation cultuelle. Une telle décision n’est pas par elle-même constitutive d’une aide à l’exercice d’un culte prohibée par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905. En revanche, ces dispositions impliquent, sauf à ce que la collectivité se fonde sur des dispositions législatives dérogeant aux dispositions de la loi du 9 décembre 1905, que la mise en oeuvre d’un tel projet soit effectuée dans des conditions qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide directe ou indirecte à un culte.

7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Montreuil est fondée à soutenir, par un moyen qui n’est pas nouveau en cassation, qu’en jugeant que la décision de préemption en litige était par elle-même constitutive d’une dépense illégale en faveur de l’exercice d’un culte contraire à la loi du 9 décembre 1905, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision du 25 janvier 2017 par laquelle le maire de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain sur la parcelle appartenant aux consorts A. est destinée à permettre l’extension du centre socio-cultuel implanté sur le terrain communal mitoyen de la parcelle préemptée, qui a fait l’objet d’un bail emphytéotique administratif passé entre la ville de Montreuil et la fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil afin, d’une part, d’augmenter la capacité d’accueil de la mosquée existante pour répondre aux besoins de la communauté musulmane locale ainsi que celle du parc de stationnement assurant l’accueil des fidèles et, d’autre part, de créer des salles de classe, des salles de conférences et une bibliothèque consacrées à l’enseignement religieux. Eu égard à son objet et à son ampleur, ce projet présente le caractère d’une action ou d’une opération d’aménagement au sens des dispositions combinées des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme. Par suite, la commune de Montreuil est fondée à soutenir, par un moyen qui n’est pas nouveau en cassation, que la cour administrative d’appel de Versailles a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en estimant que le projet était d’une ampleur insuffisante pour pouvoir être regardé comme un équipement collectif au sens de ces dispositions.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la commune de Montreuil est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

11. Pour annuler la décision de préemption en litige, le tribunal administratif de Montreuil s’est fondé sur deux moyens, tirés l’un de la méconnaissance des dispositions des articles 2 et 19 de la loi du 9 décembre 1905 et l’autre de ce que le projet en vue duquel le droit de préemption avait été exercé ne constituait pas une action ou une opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 8 que c’est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a accueilli ces deux moyens.

12. Il appartient toutefois au juge d’appel, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par les consorts A. devant le tribunal administratif.

13. En premier lieu, aux termes de l’article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige : « Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu’il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu’à leur transmission au représentant de l’Etat dans le département ou à son délégué dans l’arrondissement. […] » Il ressort des pièces du dossier que la délibération du 17 avril 2014 par laquelle le conseil municipal de Montreuil a délégué au maire l’exercice du droit de préemption a été transmise au préfet le 22 avril 2014 et affichée le 25 avril 2014. Par suite, les consorts A. ne sont pas fondées à soutenir que la délibération du 17 avril 2014 n’aurait pas été exécutoire et que, par suite, la décision de préemption aurait été prise par une autorité incompétente.

14. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme citées au point 2 que la mise en oeuvre du droit de préemption doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.

15. Contrairement à ce que soutiennent les consorts A., la seule circonstance que l’équipement collectif en vue duquel le droit de préemption est exercé vise à permettre l’exercice d’un culte n’est pas de nature à faire regarder la réalisation du projet comme ne répondant pas à un intérêt général suffisant. Par suite, les consorts A., qui n’apportent aucun autre élément au soutien de ce moyen et, notamment, ne critiquent pas les caractéristiques du bien faisant l’objet de la décision de préemption ou le coût prévisible de l’opération, ne sont pas fondés à soutenir que le projet ne répondrait pas à un intérêt général suffisant.

16. En troisième lieu, le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Montreuil est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision du 25 janvier 2017 par laquelle le maire de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain.

18. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la commune de Montreuil, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge des consorts A. le versement à la commune de Montreuil d’une somme de 3 000 € au titre de ces dispositions.

Décide :

Article 1er : L’arrêt du 1er octobre 2020 de la cour administrative d’appel de Versailles et le jugement du 1er février 2018 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par les consorts A. devant le tribunal administratif de Montreuil et leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Les consorts A. verseront une somme de 3 000 € à la commune de Montreuil au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Montreuil et à Mme B. A., première dénommée, pour l’ensemble des consorts A.

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