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Permis de construire : l’exception d’illégalité d’une autorisation de lotir est inopérante !

Arrêt rendu par Conseil d’Etat
22-12-2022
n° 458524
Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière Generatio, M. D. F., M. C. A., la société civile immobilière Bellengreville, M. E. B. et Mme G. B. ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Caen de suspendre l’exécution, d’une part, de l’arrêté du 13 janvier 2021 par lequel la maire de Bonneville-sur-Touques a délivré à la société civile immobilière Medan un permis de construire pour une habitation individuelle et un garage en annexe sur le lot n° 3 de la parcelle cadastrée section A n° 926, ainsi que la décision du 15 avril 2021 rejetant leur recours gracieux, et, d’autre part, l’arrêté du 13 janvier 2021 délivrant à la même société un permis de construire, également pour une habitation individuelle et un garage en annexe, sur le lot n° 2 de la même parcelle, ainsi que la décision du 31 mai 2021 rejetant leur recours gracieux. Par une ordonnance n° 2102219, 2102220 du 3 novembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a fait droit à ces demandes.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 novembre 2021, 3 décembre 2021, 11 janvier 2022 et 1er juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Bonneville-sur-Touques demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter les demandes de première instance ;

3°) de mettre solidairement à la charge de la société Generatio et des autres requérants de première instance la somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code de l’urbanisme ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Sébastien Jeannard, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Bonneville-sur-Touques et à la SCP Doumic-Seiller, avocat de la société Generatio et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis au juge des référés du tribunal administratif de Caen que le maire de Bonneville-sur-Touques a délivré le 20 juin 2016 à la société Medan un certificat d’urbanisme pour la création d’un lotissement de trois lots, dont deux destinés à l’édification d’une habitation individuelle, mentionnant la possibilité d’opposer un sursis à statuer à une déclaration préalable ou d’une demande de permis en raison de la procédure en cours d’élaboration d’un plan local d’urbanisme intercommunal. Le 7 juin 2019, il a pris un arrêté de non-opposition à déclaration préalable portant division en vue de créer deux lots à bâtir. Par deux arrêtés du 13 janvier 2021, il a délivré à la société Medan, pour chacun de ces deux lots, un permis de construire une habitation individuelle et un garage en annexe. Saisi par la société Generatio et d’autres requérants, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a, par une ordonnance du 3 novembre 2021, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, suspendu l’exécution des deux arrêtés valant permis de construire ainsi que des décisions rejetant leurs recours gracieux. La commune de Bonneville-sur-Touques se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.

Sur le « pourvoi incident » de la société Medan :

2. La société Medan, titulaire des autorisations d’urbanisme en litige, mise en cause par la 1re chambre de la section du contentieux pour présenter des observations à l’instance de cassation introduite par le pourvoi de la commune de Bonneville-sur-Touques, a présenté en réponse à cette mise en cause un mémoire, intitulé « pourvoi incident », concluant à l’annulation de l’ordonnance du 3 novembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Caen. Il résulte toutefois des pièces de la procédure du juge des référés du tribunal administratif que la société Medan a été mise en cause devant celui-ci en qualité de partie pour défendre à l’instance. Son « pourvoi incident » doit, dès lors, être regardé comme un pourvoi en cassation. Ce pourvoi en cassation n’a été enregistré au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d’Etat que le 25 avril 2022, soit après l’expiration du délai de recours contentieux qui, en vertu de l’article R. 523-1 du code de justice administrative, était de quinze jours à compter de la notification de l’ordonnance, intervenue en l’espèce au plus tard le 17 novembre 2021. Il est, par suite, tardif et donc irrecevable.

Sur le pourvoi :

3. L’illégalité d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l’application du premier acte ou s’il en constitue la base légale. S’agissant d’un acte réglementaire, une telle exception peut être formée à toute époque, même après l’expiration du délai du recours contentieux contre cet acte. S’agissant d’un acte non réglementaire, l’exception n’est, en revanche, recevable que si l’acte n’est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où l’acte et la décision ultérieure constituant les éléments d’une même opération complexe, l’illégalité dont l’acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte.

4. Une autorisation d’occupation des sols délivrée sur l’un des lots issus d’une division foncière ayant donné lieu à une autorisation de lotir n’est pas prise pour l’application de la décision par laquelle l’administration a délivré l’autorisation de lotir, cette dernière ne constituant pas non plus la base légale de la première. Par suite, l’illégalité de la décision d’autorisation de lotir ne peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre l’autorisation d’occupation des sols.

5. Pour suspendre l’exécution des permis litigieux, le juge des référés du tribunal administratif a retenu qu’était propre à créer un doute sérieux quant à leur légalité le moyen tiré, par la voie de l’exception, de ce que le maire de Bonneville-sur-Touques aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en prenant un arrêté de non-opposition à déclaration préalable de division foncière pour un projet de construction de nature à compromettre l’exécution du futur plan local d’urbanisme intercommunal. Il résulte de ce qui a été dit au point précédant qu’en retenant cette exception comme étant propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des permis de construire en litige, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a commis une erreur de droit.

6. Par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la commune de Bonneville-sur-Touques est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler les affaires au titre des procédures de référé engagées par la société Generatio et autres, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, et de les joindre pour y statuer par une seule décision.

8. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. […] ».

9. La société Generatio et autres soutiennent, en premier lieu, que les dossiers de permis de construire présentent diverses irrégularités ou insuffisances au regard des articles R. 423-1, R. 438-1, R. 431-9, R. 431-10, R. 431-22 et R. 442-11 du code de l’urbanisme. Il ne ressort pas des pièces des dossiers que soient propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions en litige les moyens soulevés à ce titre, tirés de ce que la société Medan n’est pas propriétaire du terrain d’implantation du projet, que l’environnement du terrain et de ses abords ne sont pas suffisamment décrits dans la notice architecturale et ne permettent pas d’apprécier l’impact visuel ou l’organisation et l’aménagement des accès au terrain, que le plan de masse ne permet pas de connaître les modalités de raccordement des réseaux, que le projet architectural ne comprend aucun document graphique permettant d’apprécier l’insertion du projet dans son environnement et, enfin, que ne sont pas produits les certificats exigés lorsque le projet est situé dans un lotissement.

10. En deuxième lieu, il ne ressort pas davantage des pièces des dossiers que soient propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions en litige les moyens tirés, d’une part, de ce que chacun des deux projets méconnaîtrait l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, compte tenu des risques affectant le terrain d’implantation du projet, ainsi que l’article R. 111-27 du même code, faute de précision suffisante sur les choix architecturaux et de matériaux retenus pour insérer le projet dans son environnement, et, d’autre part, de la méconnaissance par les projets des dispositions de l’article UD 4 relatif à la desserte du projet par les réseaux, de l’article UD 9 relatif à l’emprise au sol maximale autorisée, de l’article UD 10 relatif à la hauteur des constructions, de l’article UD 11 relatif à l’aspect extérieur des constructions, de l’article UD 12 relatif au stationnement des véhicules, et de l’article UD 13 relatif aux espaces libres et aux plantations, du règlement du plan d’occupation des sols applicable aux autorisations litigieuses.

11. Enfin, les moyens tirés de ce que le maire de Bonneville-sur-Touques aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en n’opposant pas, sur le fondement de l’article L. 153-11 du code de l’urbanisme, un sursis à statuer tant à la déclaration préalable à l’opération de lotissement qu’aux demandes de permis présentées sur les lots issus de la division du terrain ne sont pas davantage propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité des permis litigieux

12. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence ni sur les fins de non-recevoir opposées aux demandes de première instance, les requérants ne sont pas fondés à demander la suspension de l’exécution des arrêtés litigieux du 13 janvier 2021 ainsi que des décisions de rejet de leurs recours gracieux contre ces arrêtés.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Generatio et des autres requérants de première instance une somme globale de 6 000 € à verser à la commune de Bonneville-sur-Touques au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par la société Generatio et autres devant le Conseil d’Etat.

Décide :

Article 1er : Le pourvoi de la société Medan est rejeté.

Article 2 : L’ordonnance du 3 novembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Caen est annulée.

Article 3 : Les demandes présentées devant le tribunal administratif de Caen par la société Generatio et autres sont rejetées.

Article 4 : La société Generatio et autres verseront une somme globale de 6 000 € à la commune de Bonneville-sur-Touques pour l’ensemble de la procédure, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par la société Generatio et autres au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la commune de Bonneville-sur-Touques, à la société civile immobilière Generatio, première dénommée, pour l’ensemble des défendeurs en cassation, ainsi qu’à la société civile immobilière Medan.

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