Conseil d’État
N° 367202
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 1ère sous-sections réunies
M. Samuel Gillis, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
SCP ODENT, POULET, avocats
lecture du mercredi 17 décembre 2014
Vu 1°, sous le n° 367202, le pourvoi, enregistré le 26 mars 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ; le ministre demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 10BX02880 du 24 janvier 2013 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a, d’une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 0504966 du 30 septembre 2010 rejetant la demande de M. D…tendant à la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice subi à la suite de l’explosion survenue dans l’usine AZF et, d’autre part, condamné l’Etat à verser à M. D…une somme de 1 250 euros en réparation du préjudice subi par celui-ci en raison de cette explosion ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête d’appel de M. D…;
Vu 2°, sous le n° 367203, le pourvoi, enregistré le 26 mars 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ; le ministre demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 10BX02881 du 24 janvier 2013 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a, d’une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 0504967 du 30 septembre 2010 rejetant la demande de M. et Mme C…tendant à la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice subi à la suite de l’explosion survenue dans l’usine AZF et, d’autre part, condamné l’Etat à verser à M. et Mme C…une somme de 2 500 euros en réparation du préjudice subi par ceux-ci en raison de cette explosion ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la requête d’appel de M. et Mme C…;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la directive 82/501/CEE du 24 juin 1982 du Conseil concernant les risques d’accidents majeurs de certaines activités industrielles ;
Vu la directive 96/82/CE du 9 décembre 1996 du Conseil concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Samuel Gillis, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Odent, Poulet, avocat de M. D…et de M. et Mme. C…;
1. Considérant que M. D…et M. et Mme C…ont saisi le tribunal administratif de Toulouse afin d’obtenir la condamnation de l’Etat à les indemniser des préjudices qu’ils estimaient avoir subis à la suite de l’explosion intervenue, le 21 septembre 2001, sur le site de l’usine AZF à Toulouse ; que, par deux jugements du 30 septembre 2010, le tribunal administratif a rejeté leur demande ; que, par deux pourvois, qu’il y a lieu de joindre, le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie demande l’annulation des arrêts du 24 janvier 2013 par lesquels la cour administrative d’appel de Bordeaux a infirmé ces jugements et condamné l’Etat à verser respectivement 1 250 euros à M. D…et 2 500 euros aux épouxC…, en jugeant notamment qu’il y avait eu carence fautive des services de l’Etat qui n’avaient pas détecté ou s’étaient abstenus de sanctionner des défaillances visibles et prolongées de l’exploitant du site, source de risques majeurs dans une zone de forte densité urbaine, et en estimant que cette faute était de nature à entraîner la responsabilité de l’Etat ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 511-1 du code de l’environnement : » Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d’une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature (…) » ; que l’article L. 512-1 du même code dispose : » Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l’article L. 511-1. / L’autorisation ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l’arrêté préfectoral » ; qu’aux termes de l’article L. 512-3 du même code : » Les conditions d’installation et d’exploitation jugées indispensables pour la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1, les moyens d’analyse et de mesure et les moyens d’intervention en cas de sinistre sont fixés par l’arrêté d’autorisation et, éventuellement, par des arrêtés complémentaires pris postérieurement à cette autorisation » ; qu’en vertu de l’article L. 514-5 du même code, dans sa rédaction alors applicable, les personnes chargées de l’inspection des installations classées peuvent visiter à tout moment les installations soumises à leur surveillance ;
3. Considérant qu’il résulte des dispositions citées ci-dessus qu’il appartient à l’Etat, dans l’exercice de ses pouvoirs de police en matière d’installations classées, d’assurer la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement par les installations soumises à autorisation en application de l’article L. 512-1 du même code et ce, en premier lieu, en assortissant l’autorisation délivrée à l’exploitant de prescriptions encadrant les conditions d’installation et d’exploitation de l’installation qui soient de nature à prévenir les risques susceptibles de survenir ; qu’il lui appartient, ensuite, d’exercer sa mission de contrôle sur cette installation en veillant au respect des prescriptions imposées à l’exploitant et à leur adéquation à la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 ; qu’à cet égard, les services en charge de ce contrôle disposent des pouvoirs qui leur sont reconnus par l’article L. 514-5 mentionné ci-dessus afin de visiter les installations soumises à autorisation ; qu’il leur appartient d’adapter la fréquence et la nature de ses visites à la nature, à la dangerosité et à la taille de ces installations ; qu’il leur revient, enfin, de tenir compte, dans l’exercice de cette mission de contrôle, des indications dont ils disposent sur les facteurs de risques particuliers affectant les installations ou sur d’éventuels manquements commis par l’exploitant ;
4. Considérant qu’il ressort des mentions des arrêts attaqués que l’explosion survenue le 21 septembre 2001 sur le site de l’usine AZF de Toulouse s’est produite au sein d’un entrepôt, dit bâtiment 221, lequel a fait l’objet d’autorisations préfectorales successives au titre de la législation sur les installations classées, la dernière en date du 18 octobre 2000 ; qu’étaient alors stockées dans ce bâtiment, en vrac, plus de 600 tonnes de nitrates d’ammonium agricoles et de nitrates d’ammonium industriels fabriqués par l’entreprise ; que, le jour de l’explosion, le contenu d’une benne de plusieurs centaines de kilos, où avaient été mélangés l’avant-veille des dérivés chlorés et des nitrates d’ammonium industriels provenant d’un autre bâtiment, a été déversé sur les autres produits entassés dans le bâtiment 221 ; que le croisement de ces produits et leur entassement sur un sol dégradé dans un environnement humide ont entraîné, dans un délai d’une vingtaine de minutes, leur décomposition et leur combustion spontanées, ainsi que la production massive de trichlorure d’azote, qui a servi de détonateur à l’explosion ;
5. Considérant qu’en jugeant que la seule existence d’un stockage irrégulier de produits dangereux pour des quantités importantes et sur une longue période dans le bâtiment 221 du site de l’usine AZF révélait une faute de l’administration dans sa mission de contrôle de ces installations, alors qu’il résulte de ce qui a été dit au point 3 que l’existence d’une telle faute doit s’apprécier en tenant compte des informations dont elle pouvait disposer quant à l’existence de facteurs de risques particuliers ou d’éventuels manquements de l’exploitant, la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que, par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des pourvois, le ministre est fondé à demander l’annulation des arrêts du 24 janvier 2013 ;
6. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
7. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que le site de l’usine AZF comportait 82 installations classées réparties sur 70 hectares ; que le site était classé dans son ensemble » SEVESO seuil haut » avec servitude d’utilité publique, correspondant au régime le plus exigeant pour la protection de la sécurité publique ; que, compte tenu de ce classement, les services de l’Etat en charge des installations classées ont effectué onze visites d’inspection entre 1995 et 2001 ; qu’il n’est pas contesté que, lors de ces visites, les installations contrôlées étaient celles identifiées comme étant intrinsèquement les plus dangereuses ; que, si le bâtiment 221 n’a pas fait l’objet d’un contrôle spécifique au cours des années ayant précédé l’explosion, aucun élément ne permettait à l’administration d’identifier ce bâtiment comme recelant une particulière dangerosité, dès lors notamment que l’étude de dangers réalisée en 1990 par l’exploitant avait écarté le risque d’explosion des lieux de stockage de nitrate d’ammonium et que l’administration n’avait pas été alertée sur une méconnaissance des prescriptions réglementaires dans cette installation ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’administration aurait commis une carence fautive dans l’exercice des pouvoirs de contrôle qu’elle tenait de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement à l’égard du site AZF, notamment en ce qu’elle n’aurait pas visité le bâtiment 221 au cours des années ayant précédé l’explosion du 21 septembre 2001 et en ce qu’elle n’aurait pas détecté les irrégularités entachant les conditions de stockage du nitrate d’ammonium dans celui-ci ;
8. Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte de l’instruction que les prescriptions techniques annexées à l’arrêté préfectoral du 18 octobre 2000 imposaient notamment à l’exploitant, dans leur article 4.2, la mise en place d’une procédure de gestion de la collecte et de l’élimination des déchets, dans leur article 4.5, l’obligation de suivi qualitatif et quantitatif des déchets dangereux à éliminer et des produits dangereux, dans leur article 6.2.1, des séparations physiques efficaces entre produits incompatibles, dans leur article 6.8.5., l’installation d’un système de détection incendie et de détecteurs d’oxydes d’azote et, dans leurs articles 10 et 11, des précautions afin d’éviter le mélange du nitrate d’ammonium avec des dérivés chlorés ; que dès lors, le moyen tiré de ce que les services de l’Etat auraient commis une faute en n’imposant pas à l’exploitant des prescriptions de nature à éviter les incendies et le croisement entre produits chlorés et nitrates manque en fait ; que, pour les mêmes raisons, le moyen tiré de ce que l’administration aurait commis une faute en n’édictant pas des prescriptions adaptées à l’activité exercée doit être écarté ;
9. Considérant, en troisième lieu, que l’existence d’une faute dans la délimitation initiale de la zone couverte par le projet d’intérêt général destiné à instituer une zone de protection autour du site exploité ne saurait résulter d’une simple comparaison avec la zone de l’explosion qui s’est produite le 21 septembre 2001 ; que, par ailleurs, le moyen tiré de l’insuffisance de la révision de la délimitation du projet d’intérêt général n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ;
10. Considérant, enfin, qu’il ne résulte pas de l’instruction que les autres défaillances dont se prévalent les requérants dans la réglementation générale en matière d’urbanisme, la définition ou la mise en oeuvre des plans particuliers d’intervention, le contrôle des plans d’opération interne et la procédure d’information des populations prévue par les dispositions du décret du 11 octobre 1990, puissent, en tout état de cause, être regardées comme étant en lien direct avec les préjudices dont ils demandent la réparation ; qu’il ne résulte pas davantage de l’instruction que soient en lien direct avec ces préjudices les carences alléguées dans la transposition et l’application des dispositions de l’article 5 de la directive 96/82/CE du Conseil du 9 décembre 1996 définissant les obligations générales de l’exploitant ou des dispositions de la directive 87/216/CEE du Conseil du 19 mars 1987 modifiant la directive 82/501/CEE du Conseil du 24 juin 1982 en tant qu’elles retiennent, pour les nitrates d’ammonium et les mélanges de nitrates d’ammonium, une teneur en azote due au nitrate d’ammonium supérieure à 28 % en poids, comme seuil d’application de leurs dispositions ;
11. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leurs demandes ;
12. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les arrêts du 24 janvier 2013 de la cour administrative d’appel de Bordeaux sont annulés.
Article 2 : Les requêtes de M. D…et de M. et Mme C…devant la cour administrative d’appel de Bordeaux et leurs conclusions présentées devant le Conseil d’Etat sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, à M. A…D…et à M. et Mme B…C….