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Expropriation : recourir à une procédure de référé est possible !

Conseil d’État

N° 369522   
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème / 1ère SSR
M. Samuel Gillis, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats

lecture du vendredi 5 décembre 2014

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 20 juin, 8 juillet et 18 octobre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. A…D…, demeurant…, M. C… D…, demeurant …et Mme B…D…, demeurant … ; les consorts D…demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance nos 1301184/13, 1301230/13 et 1301991/13 du 29 mai 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté leurs demandes tendant à la suspension de l’arrêté du 3 février 2012 par lequel le préfet du Val-de-Marne a déclaré d’utilité publique l’acquisition de leur parcelle A 108 à Vincennes, de l’arrêté de cessibilité du 22 janvier 2013 du même préfet concernant cette parcelle, ainsi que de la délibération du conseil municipal de Vincennes du 14 décembre 2011 sollicitant du préfet cette déclaration d’utilité publique ;

2°) statuant en référé, de faire droit à leurs demandes de suspension ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Samuel Gillis, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de M. C…D…et autres ;

1. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :  » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.  »

2. Considérant que les consorts D…ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun de suspendre l’exécution de l’arrêté du 3 février 2012 par lequel le préfet du Val-de-Marne a déclaré d’utilité publique l’acquisition d’une parcelle située à Vincennes, afin de permettre la réalisation de logements sociaux, de l’arrêté du 22 janvier 2013 de ce préfet portant cessibilité de cette parcelle et de la délibération du conseil municipal de Vincennes du 14 décembre 2011 sollicitant du préfet cette déclaration d’utilité publique ; qu’à l’appui de ces demandes, ils ont simultanément invoqué, ainsi qu’ils le pouvaient, tant les dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative que celles des articles L. 554-11 et L. 554-12 de ce code renvoyant aux dispositions de l’article L. 123-16 du code de l’environnement, lesquelles concernent les demandes de suspension des décisions prises après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou en l’absence d’étude d’impact ; que, par l’ordonnance attaquée du 29 mai 2013, contre laquelle M. D…et autres se pourvoient en cassation, le juge des référés a rejeté ces demandes ;

Sur l’ordonnance attaquée, en tant qu’elle rejette la demande de suspension de l’arrêté du 3 février 2012 portant déclaration d’utilité publique :

3. Considérant que, par un jugement du 11 décembre 2013, postérieur à l’introduction du présent pourvoi, le tribunal administratif de Melun a annulé l’arrêté du 3 février 2012 du préfet du Val-de-Marne déclarant d’utilité publique l’acquisition de la parcelle des consorts D…; qu’ainsi, les conclusions du pourvoi dirigées contre l’ordonnance du 29 mai 2013 sont, en ce qui concerne la demande de suspension de cet arrêté, devenues sans objet ; qu’il n’y a, par suite, pas lieu d’y statuer ;

Sur l’ordonnance attaquée, en tant qu’elle rejette les autres conclusions des requérants :

En ce qui concerne sa régularité :

4. Considérant qu’il appartient au juge administratif de veiller au bon déroulement de l’instance et à la sérénité du débat contradictoire entre les parties ; qu’en faisant mention, dans les visas de son ordonnance, de la remarque qu’il avait adressée à l’avocat de M. A… D…, selon laquelle certaines mentions du mémoire présenté pour celui-ci le 18 avril 2013 n’étaient pas acceptables, le juge des référés n’a entaché sa décision d’aucune irrégularité ;

En ce qui concerne la délibération du 14 décembre 2011 du conseil municipal de Vincennes :

5. Considérant que la délibération par laquelle un conseil municipal sollicite du préfet une déclaration d’utilité publique revêt le caractère d’une mesure préparatoire, insusceptible de recours ; qu’il en résulte que, quel que soit le fondement invoqué, les conclusions tendant à la suspension de cette délibération étaient irrecevables ; que ce motif, qui est d’ordre public et dont l’examen n’implique l’appréciation d’aucune circonstance de fait, doit être substitué aux motifs retenus par l’ordonnance attaquée pour rejeter les conclusions aux fins de suspension de la délibération contestée ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’ordonnance en tant qu’elle a rejeté la demande de suspension de cette délibération ;

En ce qui concerne l’arrêté de cessibilité du 22 janvier 2013 ;

6. Considérant qu’en vertu de l’article L. 12-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le transfert de propriété des immeubles et droits réels est prononcé, à défaut d’accord amiable, par ordonnance du juge de l’expropriation ; qu’aux termes de l’article R. 12-1 du même code :  » Le préfet transmet au greffe de la juridiction du ressort dans lequel sont situés les biens à exproprier un dossier qui comprend obligatoirement les copies : (…) 6° De l’arrêté de cessibilité ou de l’acte en tenant lieu, ayant moins de six mois de date. (…)  » ; qu’aux termes de l’article R. 12-2 de ce code :  » Dans un délai de quinze jours à compter de la réception du dossier complet au greffe de la juridiction, le juge saisi prononce, par ordonnance, l’expropriation des immeubles ou des droits réels déclarés cessibles au vu des pièces mentionnées à l’article R. 12-1. (…)  » ;

7. Considérant qu’eu égard à l’objet d’un arrêté de cessibilité, à ses effets pour les propriétaires concernés et à la brièveté du délai susceptible de s’écouler entre sa transmission au juge de l’expropriation, pouvant intervenir à tout moment, et l’ordonnance de ce dernier envoyant l’expropriant en possession, la condition d’urgence à laquelle est subordonné l’octroi d’une mesure de suspension en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée, en principe, comme remplie ; qu’il peut toutefois en aller autrement dans le cas où l’expropriant justifie de circonstances particulières, en particulier si un intérêt public s’attache à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l’expropriation ; que, par suite, en se bornant à relever, pour en déduire que la condition d’urgence n’était pas remplie, que les requérants n’établissaient ou n’alléguaient ni que l’expropriant aurait saisi le juge de l’expropriation, ni que l’intervention de l’ordonnance d’expropriation serait imminente, le juge des référés a entaché son ordonnance d’une erreur de droit ; que, dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, les consorts D…sont fondés à demander l’annulation de l’ordonnance qu’ils attaquent en tant qu’elle rejette la demande de suspension de l’arrêté de cessibilité du 22 janvier 2013 ;

8. Considérant qu’en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

9. Considérant, d’une part, qu’il résulte de ce qui vient d’être dit qu’en l’absence de circonstances particulières invoquées par l’administration, la condition d’urgence doit être regardée en l’espèce comme remplie ; que, d’autre part, le moyen tiré de l’illégalité de l’arrêté du 3 décembre 2012 portant déclaration d’utilité publique est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté de cessibilité ; que, par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la demande, les consorts D…sont fondés à demander la suspension de l’exécution de l’arrêté de cessibilité du 22 janvier 2013 ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à chacun des requérants de la somme de 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi tendant à l’annulation de l’ordonnance du 29 mai 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Melun, en tant qu’elle rejette les conclusions des consorts D…tendant à la suspension de l’arrêté du 3 février 2012 par lequel le préfet du Val-de-Marne a déclaré d’utilité publique l’acquisition de leur parcelle.

Article 2 : L’ordonnance du 29 mai 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Melun est annulée en tant qu’elle rejette les conclusions des consorts D…tendant à la suspension de l’arrêté de cessibilité du 22 janvier 2013 du préfet du Val-de-Marne.

Article 3 : L’exécution de l’arrêté de cessibilité du 22 janvier 2013 du préfet du Val-de-Marne est suspendue.

Article 4 : L’Etat versera à M. A…D…, à M. C…D…et à Mme B…D…la somme de 500 euros chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des consorts D…est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. A…D…, premier requérant dénommé, et au ministre de l’intérieur. Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d’Etat.
Copie en sera adressée à la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité et à la commune de Vincennes.

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