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Infraction au Code de l’urbanisme : pas d’urgence à suspendre un refus de dresser un procès verbal !

Conseil d’État

N° 424270   
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
10ème – 9ème chambres réunies
M. Laurent Roulaud, rapporteur
Mme Anne Iljic, rapporteur public
SCP LEVIS ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats

lecture du lundi 23 septembre 2019

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. C… A… a demandé au juge des référés du tribunal administratif d’Amiens de suspendre, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, l’exécution des décisions implicites par lesquelles le maire de Vineuil-Saint-Firmin (Oise) a refusé de dresser un procès-verbal constatant les infractions qui auraient été commises par M. et Mme B… D… et d’enjoindre, sous astreinte, au maire, à titre principal, de dresser le procès-verbal sollicité et d’en transmettre une copie au procureur de la République ou, à titre subsidiaire, de procéder à un réexamen de ses demandes. Par une ordonnance n° 1802490 du 30 août 2018, le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens a, par application des dispositions de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique enregistrés les 18 septembre et 2 octobre 2018 et les 8 février et 19 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à ses demandes ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l’Etat, de la commune de Vineuil-Saint-Firmin et de M. et Mme D… la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Laurent Roulaud, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lévis, avocat de M. C… A… et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. et Mme B… et Olga D… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un arrêté du 11 septembre 2017, le maire de Vineuil-Saint-Firmin a délivré à M. et Mme B… D… un permis de construire, valant permis de démolir une habitation existante, pour la construction d’une maison individuelle. Constatant que le mur du garage en construction n’était pas accolé au mur séparant son fonds de celui de M. D…, M. A… a demandé au maire de Vineuil-Saint-Firmin, par des courriers des 28 mai et 12 juin 2018, de dresser un procès-verbal de constat d’infraction au code de l’urbanisme, au motif que les travaux en cours ne seraient conformes ni aux dispositions de l’article UB 7 du plan local d’urbanisme de la commune de Vineuil-Saint-Firmin d’après lesquelles, le long des limites séparatives, la marge d’isolement d’une construction qui ne serait pas édifiée sur ces limites doit être au moins égale à la moitié de la hauteur mesurée à l’égout du toit sans jamais être inférieure à 3 mètres, ni aux prescriptions du permis de construire délivré le 11 septembre 2017. M. A… a saisi le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, d’une demande tendant à la suspension de l’exécution des décisions implicites par lesquelles le maire a rejeté ses demandes et à ce qu’il soit enjoint au maire de dresser un procès-verbal de constat d’infraction sur le fondement de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme. M. A… se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 30 août 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens a rejeté ses demandes par application des dispositions de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, au motif qu’elles ne présentaient pas un caractère d’urgence.

2. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :  » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision « .

3. Aux termes de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme :  » Les infractions aux dispositions des titres Ier, II, III, IV et VI du présent livre sont constatées par tous officiers ou agents de police judiciaire ainsi que par tous les fonctionnaires et agents de l’Etat et des collectivités publiques commissionnés à cet effet par le maire ou le ministre chargé de l’urbanisme suivant l’autorité dont ils relèvent et assermentés. Les procès-verbaux dressés par ces agents font foi jusqu’à preuve du contraire. (…) Lorsque l’autorité administrative et, au cas où il est compétent pour délivrer les autorisations, le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent ont connaissance d’une infraction de la nature de celles que prévoient les articles L. 480-4 et L. 610-1, ils sont tenus d’en faire dresser procès-verbal « . Aux termes de l’article L. 480-2 du même code :  » L’interruption des travaux peut être ordonnée soit sur réquisition du ministère public agissant à la requête du maire, du fonctionnaire compétent ou de l’une des associations visées à l’article L. 480-1, soit, même d’office, par le juge d’instruction saisi des poursuites ou par le tribunal correctionnel.(…) Dès qu’un procès-verbal relevant l’une des infractions prévues à l’article L. 480-4 a été dressé, le maire peut également, si l’autorité judiciaire ne s’est pas encore prononcée, ordonner par arrêté motivé l’interruption des travaux. Copie de cet arrêté est transmise sans délai au ministère public. (…) Dans le cas de constructions sans permis de construire ou d’aménagement sans permis d’aménager, ou de constructions ou d’aménagement poursuivis malgré une décision de la juridiction administrative suspendant le permis de construire ou le permis d’aménager, le maire prescrira par arrêté l’interruption des travaux ainsi que, le cas échéant, l’exécution, aux frais du constructeur, des mesures nécessaires à la sécurité des personnes ou des biens ; copie de l’arrêté du maire est transmise sans délai au ministère public. (…) « . Aux termes de l’article L. 480-4 du même code:  » Le fait d’exécuter des travaux mentionnés aux articles L. 421-1 à L. 421-5 en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements pris pour leur application ou en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou par la décision prise sur une déclaration préalable est puni d’une amende comprise entre 1 200 euros et un montant qui ne peut excéder, soit, dans le cas de construction d’une surface de plancher, une somme égale à 6 000 euros par mètre carré de surface construite, démolie ou rendue inutilisable au sens de l’article L. 430-2, soit, dans les autres cas, un montant de 300 000 euros. En cas de récidive, outre la peine d’amende ainsi définie un emprisonnement de six mois pourra être prononcé (…) « . Aux termes de l’article L. 610-1 du même code :  » En cas d’infraction aux dispositions des plans locaux d’urbanisme, les articles L. 480-1 à L. 480-9 sont applicables, les obligations mentionnées à l’article L. 480-4 s’entendant également de celles résultant des plans locaux d’urbanisme (…) « .

4. Il résulte de ces dispositions que le maire est tenu de dresser un procès-verbal en application de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme lorsqu’il a connaissance d’une infraction mentionnée à l’article L. 480-4, résultant soit de l’exécution de travaux sans les autorisations prescrites par le livre IV du code, soit de la méconnaissance des autorisations délivrées. Si, après établissement d’un procès-verbal, le maire peut, dans le second cas, prescrire par arrêté l’interruption des travaux, il est tenu de le faire dans le premier cas. En outre, le maire est également tenu de dresser un procès-verbal lorsqu’il a connaissance d’une infraction mentionnée à l’article L. 610-1 du même code, résultant de la méconnaissance des dispositions du plan local d’urbanisme. Il ne saurait cependant, dans cette hypothèse, prendre un arrêté interruptif pour des travaux exécutés conformément aux autorisations d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision, même s’il estime que les travaux en cause méconnaissent les règles d’urbanisme et notamment le plan local d’urbanisme.

5. L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier objectivement et concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant et de l’ensemble des circonstances de chaque espèce, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue.

6. En premier lieu, s’agissant de l’exécution d’une décision par laquelle une autorité administrative refuse de dresser le procès-verbal prévu à l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme pour constater la méconnaissance par un commencement de travaux des prescriptions du permis de construire au titre duquel ils sont réalisés, la condition d’urgence ne saurait être regardée comme étant par principe satisfaite. Dès lors, en appréciant concrètement au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire si la condition d’urgence requise par l’article L. 521-1 du code de justice administrative pouvait en l’espèce être regardée comme remplie, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit.

7. En deuxième lieu, pour juger que la condition d’urgence n’était en l’espèce pas remplie, le juge des référés, après avoir relevé que M. A… faisait valoir que l’espace laissé entre le mur du garage de M. D… et le mur séparant les deux propriétés ne serait plus visible après la fin des travaux et que cette situation serait susceptible de laisser persister de l’humidité entre les deux parois, a jugé que M. A… ne justifiait pas d’une atteinte suffisamment grave et immédiate à ses intérêts, constitutive d’une situation d’urgence justifiant l’usage, par le juge des référés, des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. En statuant ainsi, le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens, qui a suffisamment motivé son ordonnance, a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine qui est exempte de dénaturation.

8. En dernier lieu, ce n’est que par une erreur de plume dépourvue d’incidence que le juge des référés a, pour faire référence à un moyen soulevé par M. A…, mentionné l’article UB 6, et non l’article UB 7, du plan local d’urbanisme de la commune de Vineuil-Saint-Firmin. Il s’ensuit que le requérant n’est pas fondé à soutenir que le juge des référés se serait mépris sur la portée de ses écritures.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. A… doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. A… la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme D… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A… est rejeté.
Article 2 : M. A… versera à M. et Mme D… la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C… A…, à M. et Mme B… D… et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Copie en sera adressée à la commune de Vineuil-Saint-Firmin.

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