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Permis de construire : régularisation possible au delà du délai fixé par le tribunal

CAA de BORDEAUX 

N° 16BX03080    
Inédit au recueil Lebon 
1ère chambre – formation à 3
Mme GIRAULT, président
M. David TERME, rapporteur
Mme CABANNE, rapporteur public
CABINET GOUT DIAS & ASSOCIES, avocat

lecture du jeudi 15 novembre 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D…C…, Mme K…M…, M. B…M…, M. H…J…et M. G… I…ont demandé au tribunal administratif de Limoges d’annuler le permis de construire délivré le 5 juin 2012 par le préfet de la Corrèze à l’EARL Franck F…en vue de l’édification d’une stabulation pour bovins sur le territoire de la commune de Saint-Salvadour. 

Par un jugement du 31 décembre 2015, le tribunal administratif de Limoges, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, a sursis à statuer sur les conclusions tendant à l’annulation du permis de construire délivré le 5 juin 2012 pour permettre la notification au tribunal d’un permis de construire modificatif destiné à régulariser le vice tiré de la méconnaissance des dispositions des articles R. 431-8 et R. 431-10 du code de l’urbanisme.

Par un arrêté du 2 juin 2016, le préfet de la Corrèze a délivré à l’EARL Franck F…un permis de construire modificatif à la suite du dépôt d’une demande en ce sens le 5 mars 2016 par M.F…, agissant au nom de l’EARL FranckF….

Par un jugement n° 1201550 du 8 juillet 2016, le tribunal administratif de Limoges a rejeté la demande de M. D…C…, Mme K…M…, M. B…M…, M. H…J…et M. G…I….

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 septembre 2016 et des mémoires enregistrés le 1er février 2018 et le 9 mars 2018, M. D…C…, Mme K…M…, M. B…M…, M. H…J…et M. G…I…, représentés par MeA…, demandent à la cour :

1°) d’annuler ces jugements n° 1201550 du tribunal administratif de Limoges du 31 décembre 2015 et du 8 juillet 2016 ;

2°) d’annuler les permis de construire délivrés le 5 juin 2012 et le 2 juin 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros au titre de l’article 
L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– leur appel dirigé contre le jugement du 31 décembre 2015 est recevable dès lors que celui-ci constitue un jugement avant dire-droit au sens des dispositions des articles R. 811-2 et R. 811-6 du code de justice administrative ;
– leur appel a été notifié conformément aux dispositions de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ;
– c’est à tort que le tribunal n’a retenu qu’un seul vice tenant à la constitution du dossier de demande ;
– le dossier de demande du permis de construire délivré le 5 juin 2012 ne mentionnait pas la puissance électrique nécessaire au projet en méconnaissance des dispositions du g de l’article R. 431-5 du code de l’urbanisme, et ces dispositions entrées en vigueur le 1er mars 2012 étaient bien applicables en l’espèce puisqu’une nouvelle demande a été présentée le 8 avril 2012 et que l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme ne pouvait trouver à s’appliquer, la confirmation de la demande ayant été effectuée postérieurement au délai d’un mois suivant l’annulation du refus, intervenue le 16 février 2012 ;
– la notice jointe au projet architectural du dossier de demande du permis de construire délivré le 5 juin 2012 ne faisait pas apparaître l’implantation, l’organisation, la composition et le volume des constructions nouvelles par rapport aux constructions ou paysages avoisinants, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 431-8 du code de l’urbanisme ;
– le plan de masse joint au dossier de demande du permis de construire délivré le 5 juin 2012 communiqué en avril 2010 n’est pas coté dans les 3 dimensions, ne comporte aucune précision sur les caractéristiques de la voie d’accès susceptible de desservir le projet et ne fait pas apparaître l’implantation des équipements publics susceptibles de le desservir ni les modalités de raccordement aux réseaux publics en méconnaissance des dispositions de l’article R 431-9 du code de l’urbanisme ;
– le dossier de demande du permis de construire délivré le 5 juin 2012 ne comprenait pas le document graphique permettant d’apprécier l’insertion du projet de construction par rapport aux constructions avoisinantes, en méconnaissance des dispositions du c de l’article R. 431-9 du code de l’urbanisme ;
– dès lors que le bâtiment agricole dont la réalisation était envisagée présente une superficie de 1 625 m², la demande de permis de construire devait être déposée par un architecte conformément aux dispositions de l’article R. 431-2 du code de l’urbanisme, alors que seule la demande déposée en vue de l’obtention du permis modificatif postérieurement au jugement du 31 décembre 2015 du tribunal administratif de Limoges l’a été ;
– le permis de construire délivré le 5 juin 2012 est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme dès lors que l’exploitation d’un tel bâtiment aura des conséquences gravissimes sur le plan de la salubrité et de la sécurité publique ;
– le permis de construire délivré le 5 juin 2012 est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions de l’article R. 111-5 du code de l’urbanisme compte tenu de la vitesse autorisée sur la route départementale qui le dessert et des dégâts qui seront nécessairement occasionnés à celle-ci ;
– le permis de construire délivré le 5 juin 2012 méconnaît les dispositions de l’article R. 111-8 du code de l’urbanisme dès lors qu’aucune précision n’est fournie quant aux solutions techniques qui seront mises en oeuvre pour garantir que les écoulements d’eau susceptibles de résulter du projet litigieux seront effectivement conformes aux règles en vigueur ;
– le permis de construire délivré le 5 juin 2012 méconnaît les dispositions de l’article R. 111-15 du code de l’urbanisme dès lors que si le bâtiment litigieux se situe à plus de 200 mètres de l’étang dit du Pré Chaton, les sources qui alimentent pour partie cet étang se trouvent à moins de 200 mètres dudit bâtiment et sont susceptibles ainsi de recueillir les éléments de pollution résultant de son exploitation ;
– le permis de construire délivré le 5 juin 2012 est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme dès lors que le projet litigieux portera atteinte à la conservation d’une perspective monumentale ;
– le permis modificatif n’ayant pas été communiqué dans le délai imparti par le jugement du 31 décembre 2015, le permis de construire initial n’a pas été valablement régularisé et doit être annulé ;
– dès lors que la construction était achevée, le tribunal administratif de Limoges ne pouvait pas autoriser la régularisation du permis attaqué ;
– la circonstance que le dossier de demande du permis de construire modificatif ait été réalisé par un architecte n’est pas de nature à régulariser le permis de construire attaqué au regard des dispositions de l’article R. 431-2 du code de l’urbanisme dès lors que ce n’est pas l’ensemble du projet architectural qui a été établi par l’architecte ;
– le dossier de demande du permis de construire modificatif ne permet pas davantage d’apprécier correctement l’insertion du bâtiment dans son environnement et plus particulièrement au regard des constructions existantes.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 mars 2017, l’EARL Franck F…et M. E… F…concluent au rejet de la requête, à ce que les requérants soient condamnés à leur verser une somme de 3 000 euros chacun au titre de l’article R. 741-12 du code de justice administrative, et à ce que soit mise à la charge des requérants solidairement une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– la requête n’a pas été notifiée conformément aux dispositions de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ;
– les requérants n’ont pas d’intérêt pour agir ;
– les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 février 2018, le ministre de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les appelants ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 8 février 2018, la clôture d’instruction a été fixée au 14 mars 2018 à 12 heures. 

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture ;
– le décret n° 2012-274 du 28 février 2012 ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. 

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. David Terme,
– les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,
– et les observations de MeA…, représentant M. D…C…, Mme K…M…, M. B…M…, M. H…J…et M. G…I…et les observations de Me L…représentant l’EARL Franck F…et M. E…F….

Considérant ce qui suit :

1. Le 22 décembre 2009, M. E…F…a déposé, au nom de l’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) FranckF…, une demande de permis de construire un bâtiment à usage de stabulation pour bovins au lieu-dit  » Marliac  » sur le territoire de la commune de Saint-Salvadour (Corrèze). Par arrêté du 28 avril 2010, le maire de cette commune, statuant au nom de l’Etat, a refusé la délivrance de ce permis de construire. Sur demande de l’EARL FranckF…, le tribunal administratif de Limoges a, par un jugement n° 1001368 du 16 février 2012, annulé cette décision et enjoint à l’autorité administrative compétente de statuer de nouveau. Le préfet de la Corrèze, saisi en application des dispositions du e de l’article R. 422-2 du code de l’urbanisme en raison du désaccord intervenu dans le cadre de cette nouvelle instruction entre le maire de la commune de Saint-Salvadour et le responsable du service de l’Etat chargé de l’instruction, a délivré ledit permis par arrêté du 5 juin 2012. A la demande de M. D…C…, Mme K…M…, M. B…M…, M. H…J…et M. G…I…, agissant en qualité de propriétaires de terrains et bâtiments voisins du projet, le tribunal administratif de Limoges a, par un premier jugement du 31 décembre 2015, sursis à statuer sur les conclusions tendant à l’annulation de ce permis pour permettre la régularisation du vice tiré de la méconnaissance des dispositions des articles R. 431-8 et R. 431-10 du code de l’urbanisme, puis, après que le préfet de la Corrèze a délivré à l’EARL Franck F…un permis de construire modificatif par arrêté du 2 juin 2016, a rejeté la demande des requérants par un second jugement du 8 juillet 2016. M. D…C…, Mme K…M…, M. B…M…, M. H…J…et M. G…I…relèvent appel de ces deux jugements.

Sur les conclusions dirigées contre le jugement avant dire droit en tant qu’il écarte les moyens dirigés contre le permis de construire initial :

En ce qui concerne les moyens tirés de l’irrégularité du dossier de demande :

2. En premier lieu, aux termes du g de l’article R.* 431-5 du code de l’urbanisme, applicable aux demandes d’autorisation d’urbanisme déposées à compter du 1er mars 2012 en application de l’article 10 du décret n° 2012-274 du 28 février 2012, la demande de permis de construire doit préciser  » La puissance électrique nécessaire au projet, lorsque la puissance électrique est supérieure à 12 kilovoltampères monophasé ou 36 kilovoltampères triphasé « .

3. Lorsqu’une juridiction, à la suite de l’annulation d’un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol, fait droit à des conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration de réexaminer cette demande, ces conclusions aux fins d’injonction du requérant doivent être regardées comme confirmant sa demande initiale. Par suite, la condition posée par l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme imposant que la demande ou déclaration soit confirmée dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire doit être regardée comme remplie lorsque la juridiction enjoint à l’autorité administrative de réexaminer la demande présentée par le requérant. Dans un tel cas, l’autorité administrative compétente doit, sous réserve que l’annulation soit devenue définitive et que le pétitionnaire ne dépose pas une demande d’autorisation portant sur un nouveau projet, réexaminer la demande initiale sur le fondement des dispositions d’urbanisme applicables à la date de la décision annulée, en application de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme.

4. Ainsi qu’il a été dit au point 1, la demande initiale de permis de construire a été déposée le 22 décembre 2009 et le permis de construire attaqué n’a été délivré qu’après que le tribunal administratif de Limoges a, par jugement du 16 février 2012, d’une part, annulé le refus opposé initialement à cette demande et, d’autre part, enjoint à l’autorité administrative de statuer de nouveau. Ainsi, dès lors que la condition posée par l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme imposant que la demande soit confirmée dans les six mois devait être regardée comme remplie à cette date, que la demande déposée par la société requérante ne pouvait être regardée comme constitutive d’un nouveau projet, et que le jugement portant injonction de réexamen était devenu définitif à la date du 5 juin 2012 à laquelle le permis a été délivré, les dispositions précitées du g de l’article R*. 431-35 n’étaient pas applicables. Par suite, le moyen tiré de leur méconnaissance ne peut qu’être écarté.

5. En deuxième lieu, lorsqu’un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’un permis modificatif dès lors que celui-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises. Il peut, de même, être régularisé par un permis modificatif si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par le permis initial a été entretemps modifiée. Les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial.

6. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le dossier de demande du permis de construire délivré le 5 juin 2012 ne permettait pas d’apprécier l’implantation, l’organisation, la composition et le volume des constructions nouvelles par rapport aux constructions existantes et son insertion par rapport à celles-ci, en méconnaissance des dispositions des articles R*. 431-8 et R*. 431-10 du code de l’urbanisme, qui a motivé la mise en oeuvre par le tribunal administratif de Limoges des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme et donné lieu à délivrance d’un permis de construire modificatif, doit être écarté comme inopérant à l’encontre du permis de construire initial.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré de ce que la demande de permis de construire initiale n’aurait pas été déposée par un architecte manque en fait.

8. Enfin, les requérants se bornent pour le surplus à reprendre en appel les moyens invoqués en première instance, tirés de ce que le dossier de demande du permis de construire délivré le 5 juin 2012 ne faisait pas apparaître l’implantation, l’organisation, la composition et le volume des constructions nouvelles par rapport aux paysages avoisinants, de ce que le plan de masse joint n’était pas coté dans les trois dimensions, ne précisait pas les caractéristiques de la voie d’accès desservant le projet et ne faisait pas apparaître l’implantation des équipements publics susceptibles de le desservir ni les modalités de raccordement aux réseaux, sans apporter aucun élément de droit ou de fait nouveau à l’appui de ces moyens. Il y a lieu, dès lors, de les écarter par adoption des motifs retenus, à bon droit, par les premiers juges.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance du règlement national d’urbanisme :

9. Aux termes de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme :  » Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations « .

10. Si les requérants soutiennent que le permis délivré le 5 juin 2012 est entaché d’erreur manifeste d’appréciation en raison des nuisances sonores ou olfactives et des pollutions que le projet est susceptible d’entraîner, notamment en période chaude du fait de la méthode de traitement des déjections animales, ils se bornent pour ce faire à souligner l’importance de l’exploitation en cause, et à affirmer qu’elle aura nécessairement  » des conséquences gravissimes sur le plan de la salubrité et de la sécurité publique « . Par suite, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier que la construction autorisée est située à environ 80 mètres de la plus proche maison d’habitation, alors que les dispositions de l’article 153.4 du règlement sanitaire départemental applicable imposent seulement une distance minimale de 50 mètres, que deux autres bâtiments à usage de stabulation sont déjà implantés à proximité et qu’aucune critique précise n’est articulée à l’encontre de la méthode d’exploitation dite  » stabulation libre 100% paillée sur litière accumulée « , qui permet précisément de stocker le fumier de litière directement au champ après une période de deux mois et ne nécessite donc pas d’ouvrage annexe pour le stockage des déjections, le moyen doit être écarté.

11. Aux termes de l’article R*. 111-5 du code de l’urbanisme :  » Le projet peut être refusé sur des terrains qui ne seraient pas desservis par des voies publiques ou privées dans des conditions répondant à son importance ou à la destination des constructions ou des aménagements envisagés, et notamment si les caractéristiques de ces voies rendent difficile la circulation ou l’utilisation des engins de lutte contre l’incendie. / Il peut également être refusé ou n’être accepté que sous réserve de prescriptions spéciales si les accès présentent un risque pour la sécurité des usagers des voies publiques ou pour celle des personnes utilisant ces accès. Cette sécurité doit être appréciée compte tenu, notamment, de la position des accès, de leur configuration ainsi que de la nature et de l’intensité du trafic « .

12. Si les requérants soutiennent que l’exploitation mettra en danger les usagers de la RD 173, sur laquelle elle débouche, il ressort des pièces du dossier, d’une part, que le permis de construire délivré le 5 juin 2012 a été assorti d’une prescription imposant que son accès soit commun à celui d’un terrain sur lequel est édifié un autre bâtiment à usage de stabulation, précisément afin de limiter son impact sur les conditions de circulation de cette route départementale. D’autre part, compte tenu de la largeur de la voie à cet endroit, d’approximativement 5 mètres, de l’absence de démonstration d’un manque de visibilité, de la faible densité de population de la zone, et de l’absence au dossier de tout élément concret concernant le type et le nombre de véhicules susceptibles d’être utilisés ou le nombre de leurs rotations, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet accès ne répondrait pas à l’importance ou à la destination de la construction ou présenterait un risque pour la sécurité des usagers des voies publiques ou pour celle des personnes utilisant ces accès.

13. Aux termes de l’article R*. 111-8 du code de l’urbanisme :  » L’alimentation en eau potable et l’assainissement des eaux domestiques usées, la collecte et l’écoulement des eaux pluviales et de ruissellement ainsi que l’évacuation, l’épuration et le rejet des eaux résiduaires industrielles doivent être assurés dans des conditions conformes aux règlements en vigueur « .

14. En se bornant à mettre en doute la salubrité de l’exploitation et sa gestion de l’eau, sans invoquer de règle précise à laquelle le traitement des eaux pluviales et de ruissellement, seules en cause dans leurs écritures, contreviendrait, ni préciser en quoi l’autorité administrative aurait été insuffisamment éclairée par le dossier de demande sur ces points, les requérants n’apportent aucun élément permettant de regarder le moyen comme fondé.

15. Aux termes de l’article R*. 111-15 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable :  » Le permis ou la décision prise sur la déclaration préalable doit respecter les préoccupations d’environnement définies aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l’environnement. Le projet peut n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si, par son importance, sa situation ou sa destination, il est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l’environnement « .

16. D’une part, il ressort des pièces du dossier que la construction litigieuse est distante de plus de six cents mètres du lieu de baignade que constitue l’étang du  » Pré Chaton  » et d’approximativement deux cents mètres du ruisseau de la Gane, qui l’alimente, soit des distances largement supérieures à celles imposées par le règlement sanitaire départemental. D’autre part, ainsi qu’il a été dit précédemment, les requérants ne font valoir aucun élément concret de nature à mettre en cause les méthodes d’exploitation du bâtiment. Enfin si les requérants se prévalent d’un  » document de travail  » réalisé par l’établissement public territorial du bassin de la Dordogne ayant pour objet d’établir le profil de baignade de l’étang du  » Pré Chaton « , il ne ressort pas de ce document, même s’il souligne l’importance du risque associé aux exploitations agricoles pour la qualité des eaux de baignades en particulier au regard de leur concentration en phosphore, que le projet en cause serait en lui-même susceptible d’avoir des conséquences dommageables pour l’environnement. Le moyen tiré de ce que le permis attaqué serait  » critiquable  » également de ce point de vue ne peut, par suite, qu’être écarté.

17. Aux termes de l’article R*. 111-21 du code de l’urbanisme :  » Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales « . Pour rechercher l’existence d’une atteinte à un paysage urbain ou naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier, dans un premier temps, la qualité du site urbain ou naturel sur lequel la construction est projetée et d’évaluer, dans un second temps, l’impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

18. Il ressort des pièces du dossier, d’une part, que la construction litigieuse est située dans une zone rurale qui ne présente aucun intérêt architectural ou paysager particulier, et, d’autre part, que bien que située sur un point haut, la parcelle d’assiette est bordée de haies d’arbres sur trois côtés et est donc peu visible, au sein d’une zone qui comporte déjà plusieurs exploitations agricoles du même type à proximité. Par suite, le moyen tiré de ce que le permis de construire du 5 juin 2012 serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation de son impact sur le site doit être écarté.

19. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation du jugement avant dire droit du 31 décembre 2015 en tant qu’il écarte les moyens articulés à l’encontre du permis initial.

Sur l’appel dirigé contre le jugement du 8 juillet 2016 mettant fin à l’instance de premier ressort : 

20. Lorsque le juge a fait usage de la faculté de surseoir à statuer ouverte par l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, qu’un permis modificatif a été délivré et que le juge a mis fin à l’instance par un second jugement, l’auteur d’un recours contre ce jugement peut contester la légalité du permis de construire modificatif par des moyens propres et au motif que le permis initial n’était pas régularisable.

En ce qui concerne la possibilité de régularisation :
21. Aux termes de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme :  » Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. « 
22. En premier lieu, ces dispositions ne subordonnent pas, par principe, la faculté de régularisation qu’elles prévoient à la condition que les travaux autorisés par le permis de construire initial n’aient pas été achevés. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges ne pouvaient en faire usage dès lors que la construction prévue était achevée à la date à laquelle ils ont statué ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté.

23. En second lieu, il ne résulte pas des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme que l’expiration du délai prescrit par le juge pour procéder à la régularisation du permis de construire attaqué devant lui entacherait le permis de construire modificatif délivré dans ce cadre d’irrégularité ou ferait obstacle à ce qu’il puisse régulariser le permis initial. Par suite, s’il appartient au juge ayant sursis à statuer pour permettre cette régularisation de constater, le cas échéant, que celle-ci n’a pas été effectuée à la date à laquelle il statue de nouveau, postérieurement à l’expiration du délai prescrit par le jugement avant dire droit, et d’annuler en conséquence le permis initial, la seule circonstance que le permis de construire modificatif n’ait pas été délivré dans ce délai n’est pas de nature en elle-même à l’entacher d’irrégularité ou à faire obstacle à la régularisation du vice constaté dans le jugement avant dire droit. Par ailleurs, la circonstance qu’en l’espèce, la demande de permis de construire modificatif déposée le 5 mars 2016 ait été complétée en mai 2016 postérieurement à l’expiration du délai imparti par le tribunal administratif, n’est pas de nature à la faire regarder comme déposée après l’expiration de ce délai. Les moyens tirés de ce que le permis de construire modificatif du 2 juin 2016 aurait été demandé et a été délivré postérieurement à l’expiration du délai de trois mois imparti le 31 décembre 2015 par le tribunal pour régulariser le permis délivré le 5 juin 2012 doivent donc en tout état de cause être écartés.

En ce qui concerne la légalité du permis de construire modificatif :

24. Aux termes de l’article L. 431-1 du code de l’urbanisme:  » Conformément aux dispositions de l’article 3 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture, la demande de permis de construire ne peut être instruite que si la personne qui désire entreprendre des travaux soumis à une autorisation a fait appel à un architecte pour établir le projet architectural faisant l’objet de la demande de permis de construire « . 

25. Il ressort des pièces du dossier que si le projet architectural figurant au dossier de demande initial de permis de construire modificatif déposé le 5 mars 2016 n’a pas été établi par un architecte, la demande a ensuite été modifiée et complétée en ce sens. Par suite, et alors même que ces pièces seraient similaires à celles déposées en premier lieu à l’exception du cachet et des coordonnées dudit architecte, ce projet architectural doit être regardé comme ayant été établi par un architecte au sens des dispositions précitées.

26. Enfin, les pièces produites dans le cadre de la demande de permis de construire modificatif comprennent des photographies et photomontages et une notice explicative qui permettent d’apprécier précisément l’insertion du projet par rapport aux constructions avoisinantes au sens des dispositions des articles R. 431-8 et R. 431-10 du code de l’urbanisme, alors même qu’ils auraient été réalisés à une saison durant laquelle les arbres entourant la parcelle d’assiette la masquent partiellement à la vue du fait de leur feuillage. Par suite, le moyen tiré de ce que le permis de construire modificatif ne permettrait pas de regarder comme régularisé le vice tiré de la méconnaissance des dispositions des articles R. 431-8 et R. 431-10 du code de l’urbanisme doit être écarté.

27. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le second jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article R. 741-12 du code de justice administrative :

28. Aux termes de l’article R. 741-12 du code de justice administrative :  » Le juge peut infliger à l’auteur d’une requête qu’il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros « . La faculté ouverte par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, ainsi que le tribunal l’a déjà rappelé, les conclusions tendant à ce que les appelants soit condamnés au paiement d’une amende pour recours abusif sont irrecevables et doivent être rejetées.

Sur les frais exposés par les parties à l’occasion du litige :

29. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les requérants demandent sur leur fondement. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge solidaire des requérants une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l’EARL Franck F…et M. E…F…et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M.C…, Mme M…, M. M…, M. J…, et M. I… est rejetée.
Article 2 : M. C…, Mme M…, M. M…, M. J… et M. I… verseront à l’EARL Franck F…et M. E…F…une somme globale de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D…C…, Mme K…M…, M. B… M…, M. H…J…et M. G…I…, au ministre de la cohésion des territoires, à l’Earl FranckF…, à M.E… F…. Copie en sera adressée à la commune de Saint-Salvadour.
Délibéré après l’audience du 11 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
M. David Terme, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 15 novembre 2018.

Le rapporteur,
David TERMELe président,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Virginie MARTY 
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
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N° 16BX03080

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