Cour administrative d’appel de Bordeaux
N° 10BX02881
3ème chambre (formation à 3)
M. DE MALAFOSSE, président
Mme Dominique BOULARD, rapporteur
M. de la TAILLE LOLAINVILLE, rapporteur public
LARROUY CASTERA, avocat
lecture du jeudi 24 janvier 2013
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la requête, enregistrée le 25 novembre 2010, présentée pour M. et Mme A…B…demeurant …par Me Larrouy-Castera ;
M. et Mme B…demandent à la cour :
1°) d’annuler le jugement n°0504967 en date du 30 septembre 2010 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu’il a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l’Etat à leur verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi par eux à la suite de l’explosion survenue dans l’usine AZF et restant à indemniser ;
2°) de condamner l’Etat à leur verser, en réparation de leur préjudice restant à indemniser subi du fait de l’explosion survenue dans l’usine AZF, la somme de 20 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2005, ces intérêts devant être capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
– l’Etat a commis de très nombreuses fautes dans le suivi de la gestion du site industriel ;
– ces fautes résultent de la carence de l’administration dans l’exercice de son pouvoir de police en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, telles qu’une absence de prescriptions adaptées à l’activité exercée, une absence de cohérence de l’étude de danger, une absence de contrôle du respect des prescriptions de l’arrêté préfectoral du 18 octobre 2000 ;
– des fautes ont également été commises dans la délimitation du projet d’intérêt général et dans l’analyse critique de l’étude de dangers ;
– des carences entachent aussi l’application et la transposition tardive des directives européennes, comme la directive 96//82/CE du 9 décembre 1996, laquelle impose une obligation de maîtrise permanente ; ces carences se retrouvent au niveau de la réglementation des nitrates auxquels ont été étendues les règles de la directive CEE 82/591 ;
– des carences affectent en outre la réglementation relative à la maîtrise de l’urbanisation et entachent aussi la révision des plans particuliers d’intervention ;
– des fautes ont été commises dans la mise en oeuvre des exercices fixés par le plan particulier d’intervention et quant à l’actualisation du plan d’opération interne ;
– les populations n’ont pas été informées des risques et des mesures à prendre ;
– il existe un lien de causalité directe entre les fautes de l’Etat et les préjudices dont il est demandé réparation, car la carence des services de l’Etat, notamment à l’égard des bâtiments recevant des produits chlorés, a nécessairement contribué à l’augmentation des risques d’explosion de l’usine ;
– les préjudices subis personnellement par eux consistent d’abord dans le fait de ne pas avoir été informé des dangers provenant de l’usine à proximité de laquelle ils ont vécu depuis des années, et d’avoir été sans nouvelle de leur fils au moment de l’accident, pendant de longues heures ; ils ont aussi subi des épreuves dues notamment aux formalités régissant l’indemnisation des préjudices matériels ; leur maison d’habitation a été totalement dévastée ; ils ont dû réaliser des réparations de fortune ; leur vie de famille en a souffert ; ces derniers préjudices moraux et troubles dans leurs conditions d’existence ont été subis pendant une période de six mois ; la somme de 20 000 euros demandée au total est donc justifiée ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 avril 2011, présenté par le ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
– la carence de l’Etat dans l’exercice de son pouvoir de police des installations classées n’est pas établie à l’égard de l’usine AZF qui a fait l’objet entre 1995 et 2001 de onze visites d’inspection et d’autant de comptes-rendus ; les risques encourus, notamment à cause du nitrate d’ammonium, n’ont pas été ignorés par l’arrêté du 18 octobre 2000 et ses annexes dont les prescriptions techniques exhaustives visaient à réduire ces risques ;
– les moyens des requérants tenant aux directives européennes et au projet d’intérêt général doivent être écartés au vu des observations produites par le préfet en première instance ;
– en tout état de cause, l’existence d’un lien de causalité directe n’est pas établie en l’espèce, plusieurs faits s’étant interposés, dont au premier rang ceux imputables à l’exploitant, entre les fautes alléguées et les préjudices subis par les requérants ;
Vu le mémoire, enregistré le 24 mai 2011, présenté pour les requérants et tendant aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens ;
Ils soutiennent encore que :
– les carences de l’Etat qui n’a pas pris de mesure particulière de contrôle ni de mesure coercitive sont avérées, alors que ses services étaient informés des graves violations commises par l’exploitant ;
– le ministre est taisant sur les très nombreuses lacunes entachant la transposition de la directive Seveso II au regard des plans particuliers d’intervention ;
– le lien de causalité entre la faute de l’Etat et les préjudices dont la réparation est demandée est incontestable, puisque son défaut de contrôle du bâtiment 221-222 a nécessairement eu un rôle significatif dans la survenance de l’explosion, laquelle aurait pu être évitée si la réglementation sur les déchets chimiques avait été respectée et si une étude préliminaire des risques avait été menée ;
– le défaut de mise en oeuvre des pouvoirs de police des installations classées est constitutif d’une faute directement à l’origine des dommages subis ;
– ni la réalité ni l’évaluation de ses préjudices ne sont contestées ;
Vu le mémoire, enregistré le 11 octobre 2012, présenté pour les requérants et tendant aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens ;
Ils soutiennent en outre que :
– l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 24 septembre 2012 a mis en évidence les dysfonctionnements majeurs ayant causé l’explosion ; ces négligences coupables incombent certes au premier chef à l’exploitant, en tant que personne physique et morale, mais révèlent aussi les graves carences de l’Etat dans l’accomplissement de ses missions ;
– ces carences ont été commises dès l’instruction du dossier, qui comportait une étude de danger entachée d’une insuffisance substantielle telle qu’elle aurait dû amener les services compétents à demander une nouvelle étude permettant d’appréhender correctement les risques entraînés par l’exploitation en cause ;
– des carences entachent également la vérification du respect des prescriptions de l’arrêté préfectoral du 18 octobre 2000, en particulier quant à la gestion du bâtiment 221, au centre de la chaîne pyrotechnique, lequel n’a jamais été visité par les services de l’Etat ;
– le comportement fautif de l’entreprise et de son dirigeant ainsi que leur désintérêt de la gestion des bâtiments 221 et 335 trouvent leur origine dans le fait qu’ils n’ont jamais été inquiétés, ni même incités à agir régulièrement, par l’administration censée les contrôler ; l’inertie des services de l’Etat a ainsi créé les conditions favorables au laxisme de l’exploitant en termes de sécurité, et a conduit, par suite, à la survenance de l’explosion ;
– si les services de l’État avaient été moyennement diligents dans les obligations qui sont les leurs en matière d’installations classées, la catastrophe aurait pu être évitée ;
Vu le mémoire en production de pièces, enregistré le 26 octobre 2012 présenté par le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ;
Vu le mémoire, enregistré le 5 novembre 2012, présentés pour les requérants et tendant aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens ;
Ils soutiennent encore que :
– les rapports de l’inspection des installations classées mettent en évidence une série d’anomalies et de non-respect de ses obligations par l’exploitant, alors qu’il lui est seulement demandé d’informer ce service des suites qui y seront apportées ; aucune sanction n’a été prise et aucune mise en demeure n’a été adressée, malgré les multiples rappels à l’ordre ; la carence de l’Etat est prouvée, notamment quant au contrôle du bâtiment siège de l’explosion, qui a nécessairement favorisé l’explosion et engage la responsabilité de la personne publique ;
Vu le mémoire, enregistré le 8 novembre 2012, présenté par le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, qui conclut comme précédemment au rejet de la requête, par les mêmes moyens ;
Il fait en outre valoir que :
– les prétendues carences des services de l’Etat dans le suivi du site AZF ne sont pas démontrées ;
– en tout état de cause, il ressort clairement du dossier que les nombreuses et graves fautes commises par la société dans l’exploitation de son installation constituent les causes déterminantes du dommage dont la réparation est demandée ; l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse met en évidence ces fautes, notamment quant à la conduite de la sous-traitance et à la surveillance du bâtiment 221 ;
Vu le mémoire, enregistré le 16 novembre 2012, présenté pour les requérants et tendant aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens ;
Ils soutiennent encore que :
– si l’exploitant a été condamné pénalement, il n’en demeure pas moins que la responsabilité de l’État est engagée sur le terrain de la responsabilité administrative pour faute simple à raison de ses manquements graves et répétés dans le contrôle et la surveillance de l’exploitation de l’usine AZF ;
Vu le mémoire en production de pièces, enregistré le 3 décembre 2012, présenté par le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive 82/501/CEE du 24 juin 1982 du Conseil concernant les risques d’accidents majeurs de certaines activités industrielles ;
Vu la directive 96/82/CE du 9 décembre 1996 du Conseil concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 11 décembre 2012 :
– le rapport de Mme Dominique Boulard, président-assesseur ;
– les observations de Me Larrouy-Castera, avocat de M. et Mme B…;
– et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public ;
1. Considérant que M. et MmeB…, victimes de l’explosion intervenue le 21 septembre 2001 sur le site de l’usine AZF exploité à Toulouse par la société Grande Paroisse, ont demandé devant le tribunal administratif de Toulouse la condamnation de l’Etat à réparer les dommages au titre desquels ils n’avaient pas été indemnisés, dommages qu’ils ont estimé procéder d’un préjudice moral et de troubles dans les conditions d’existence évalués par eux à 20 000 euros ; que, par un jugement du 30 septembre 2010, le tribunal administratif a rejeté leur demande au motif qu’il n’était pas établi que les dommages entraînés par l’explosion de l’usine AZF, dont il a relevé que les causes restaient » à ce jour inexpliquées « , seraient la conséquence directe des fautes de l’Etat ; que M. et Mme B…font appel de ce jugement ;
2. Considérant que les requérants recherchent la responsabilité de l’Etat sur le terrain de la faute en se prévalant notamment de la carence de ses services en matière de police des installations classées pour la protection de l’environnement ; qu’ils se prévalent à cet égard de l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse n°2012/642 du 24 septembre 2012 ayant retenu la responsabilité pénale du directeur de l’usine AZF de même que celle de la société Grande Paroisse dont il était le salarié ; qu’ils soutiennent ainsi que la chaîne pyrotechnique a été élucidée par le juge pénal, que les causes de l’explosion sont désormais connues, procédant de » négligences coupables » commises par les personnes physique et morale condamnées, mais font valoir que ces défaillances de l’exploitant n’ont conduit à l’explosion du 21 septembre 2001 que parce que l’Etat n’a pas exercé les pouvoirs de police qu’il détient à l’égard de cette entreprise exploitant des installations classées pour la protection de l’environnement et qu’il n’a pas rempli les obligations qui sont les siennes en cette matière ;
Sur la responsabilité de l’Etat :
3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 511-1 du code de l’environnement : « Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d’une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature (…) » ; que l’article L. 512-1 du même code dispose : » Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l’article L. 511-1. / L’autorisation ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l’arrêté préfectoral « ; qu’aux termes de l’article L. 512-3 dudit code : » Les conditions d’installation et d’exploitation jugées indispensables pour la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1, les moyens d’analyse et de mesure et les moyens d’intervention en cas de sinistre sont fixés par l’arrêté d’autorisation et, éventuellement, par des arrêtés complémentaires pris postérieurement à cette autorisation » ; qu’aux termes de l’article L. 514-1 du même code : » I. – Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, et lorsqu’un inspecteur des installations classées ou un expert désigné par le ministre chargé des installations classées a constaté l’inobservation des conditions imposées à l’exploitant d’une installation classée, le préfet met en demeure ce dernier de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé. Si, à l’expiration du délai fixé pour l’exécution, l’exploitant n’a pas obtempéré à cette injonction, le préfet peut : 1° Obliger l’exploitant à consigner entre les mains d’un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser, laquelle sera restituée à l’exploitant au fur et à mesure de l’exécution des mesures prescrites ; (…) 2° Faire procéder d’office, aux frais de l’exploitant, à l’exécution des mesures prescrites ; 3° Suspendre par arrêté, après avis de la commission départementale consultative compétente, le fonctionnement de l’installation, jusqu’à exécution des conditions imposées et prendre les dispositions provisoires nécessaires » ; qu’enfin, l’article L.514-7 du code de l’environnement dispose : « Un décret en Conseil d’État, pris après avis du conseil supérieur des installations classées, peut ordonner la fermeture ou la suppression de toute installation, figurant ou non à la nomenclature, qui présente, pour les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1, des dangers ou inconvénients tels que les mesures prévues par le présent titre ne puissent les faire disparaître »;
4. Considérant qu’il ressort de l’arrêt précité de la cour d’appel de Toulouse du 24 septembre 2012, lequel est revêtu de l’autorité de la chose jugée quant aux faits constatés par le juge pénal, que l’explosion s’est produite dans un entrepôt, dit bâtiment 221, du site AZF où étaient alors stockés en vrac, sous forme de plusieurs tas ou compactés en semelle épaisse sur le sol, plus de 600 tonnes de nitrates d’ammonium agricoles et de nitrates d’ammonium industriels fabriqués par l’entreprise et déclassés, notamment en raison de leur composition, de leur granulométrie et de leur porosité ou par craquage, qu’il soit volontaire ou involontaire, de leurs emballages ; que, le jour de cette explosion et peu de temps avant celle-ci, le contenu d’une benne, de plusieurs centaines de kilos, où avaient été mélangés l’avant-veille en vrac et de manière indifférenciée, par un employé d’une entreprise sous-traitante, des dérivés chlorés et des nitrates d’ammonium industriels provenant d’un bâtiment dit demi-grand ou 335, raclés, balayés et ramassés à même le sol de ce bâtiment servant au stockage des sacs usagés où ils avaient été répandus par secouage de leur emballage, a été déversé sur les autres produits entassés dans le bâtiment 221 ; qu’il est établi que le croisement des dérivés chlorés et des nitrates d’ammonium, produits dont les caractéristiques en termes de porosité et de granulométrie ainsi que le caractère souillé avaient accru la réactivité, de même que l’entassement sur un sol dégradé dans un environnement humide, a entraîné, dans un délai d’une vingtaine de minutes après la mise en contact du contenu de la benne avec les nitrates du bâtiment 221, leurs décomposition et combustion spontanées ainsi que la production massive de trichlorure d’azote qui a servi de détonateur à l’explosion du tas où avaient été déversés les produits mélangés, laquelle s’est transmise au tas principal de l’entrepôt qui a explosé à son tour ;
5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’explosion qui s’est produite le 21 septembre 2001, initiée dans le bâtiment 221 de l’usine AZF, a pour origine la réaction chimique accidentelle née du mélange de nitrates d’ammonium et de produits chlorés dans un environnement et des conditions d’entreposage qui ont favorisé cette réaction ;
6. Considérant que le caractère explosif des produits fabriqués par l’exploitant et de leur croisement était connu ; que le risque de sa survenance dans le secteur dit des ammonitrates, que l’entreprise n’avait examiné, lors de l’étude de danger réalisée en 1990, qu’à propos d’une autre de ses installations de stockage en vrac d’ammonitrates soumise à autorisation, dit silo 14, d’une capacité autorisée de 15 000 tonnes de produits non déclassés, avait été écarté par elle, du moins dans les conditions d’un entreposage dans ce local « exploité normalement » et sous la réserve que soit exclue l’hypothèse d’un « amorçage par détonation » ; que ce risque de combustion et d’explosion avait notamment justifié des prescriptions techniques au respect desquelles était subordonnée l’autorisation d’exploiter les installations classées, notamment celles relatives aux nitrates d’ammonium, qui avait été délivrée à l’entreprise, résultant en dernier lieu de l’arrêté du 18 octobre 2000 du préfet de la Haute-Garonne ; que ces prescriptions imposaient, pour la conception des locaux, une séparation physique efficace des stocks de produits fabriqués par l’entreprise incompatibles entre eux, dont l’exploitant se devait de dresser une liste et à l’égard desquels les procédures de traitement, notamment de traitement des déchets, dont faisait partie la gestion des emballages usagés, devaient être formalisées, et sur les risques desquels le personnel, y compris celui des entreprises sous-traitantes, devait être informé ; que les risques spécifiques liés au traitement et au stockage des nitrates d’ammonium et des dérivés chlorés avaient aussi justifié des prescriptions techniques particulières propres aux secteurs intéressant ces deux types de produits, lesquels secteurs devaient être différenciés et comporter des installations adaptées aux caractéristiques de ces produits, notamment pour parer aux risques d’humidité, activateurs de réaction chimique, et aux risques de combustion ; qu’ainsi, le sol des bâtiments abritant les dépôts de nitrates d’ammonium devait être étanche et cimenté et ces bâtiments comporter un dispositif anti-incendie ;
7. Considérant que la procédure pénale a mis en évidence le non-respect des prescriptions réglementaires quant aux modes de stockage des nitrates d’ammonium déclassés, à l’établissement des procédures de traitement ou de stockage des produits fabriqués par l’entreprise et aux actions de formation du personnel, en particulier celui des sous-traitants ; que ce dernier personnel n’avait reçu aucune formation particulière quant aux propriétés des produits qu’ils manipulaient effectivement et aux risques d’explosion qui s’attachaient à leur croisement ; que le sol du bâtiment 221, où reposait le tas de nitrates d’ammonium déclassés sur lequel a été déversé le mélange de nitrates d’ammonium industriel et de dérivés chlorés, attaqué de longue date par les nitrates, n’était plus étanche et la nappe phréatique y affleurait ; que ce bâtiment, dont la porte ne fermait plus, restait en permanence ouvert, ce qui, du fait de son orientation, en augmentait l’humidité ; que cet entrepôt, au titre duquel aucun registre d’entrée et de sortie n’était tenu, accueillait de fait des quantités de nitrates, que ce soit en tas ou sous la forme d’une épaisse semelle durcie sur le sol, excédant notablement le seuil de stockage déclaré et autorisé à cet endroit qui était de 500 tonnes ;
8. Considérant que l’existence même de ces modes irréguliers de stockage de produits dangereux dans le bâtiment 221, pour des quantités importantes et sur une longue durée, que traduisent l’encroûtement des produits répandus sur le sol et la détérioration de celui-ci, révèle une carence des services de l’Etat dans leur mission de contrôle de cette installation classée ; que, si le ministre se prévaut des onze visites d’inspection qui ont eu lieu sur le site du 1er mars 1995 au 17 mai 2001, les rapports d’inspection versés aux débats ne donnent pas à penser que le bâtiment où s’est produite l’explosion aurait été visité et ses modes réels d’exploitation contrôlés ; que n’en apporte pas la preuve contraire la circonstance que la dernière visite d’inspection du 17 mai 2001, consacrée à » l’examen du système de gestion de la sécurité mis en place au sein de » l' » usine dans le cadre de l’application de la directive Seveso II » ait donné lieu à un compte-rendu du 13 juin suivant notant l’engagement de la société de réaliser » fin juillet 2001 » l’étude générale de dangers du site que l’arrêté du 18 octobre 2000 lui imposait de transmettre avant le 3 février 2001, et de réaliser » fin 2001 » une étude de danger propre à la fabrication et au stockage » des ammonitrates et autres engrais » que l’arrêté précité lui imposait déjà de transmettre en 2001, alors surtout que l’étude de danger relative à ces produits réalisée auparavant par l’entreprise, ancienne et partielle, était insuffisante ; que ces carences des services de l’Etat, qui, malgré les pouvoirs que leur confèrent les textes cités au point 3, n’ont pas détecté ou se sont abstenus de sanctionner des défaillances visibles et prolongées de l’exploitant du site, source de risques majeurs dans une zone de forte densité urbaine, sont fautives ; qu’elles sont de nature à entraîner la responsabilité de l’Etat ;
9. Considérant que l’État ne peut, pour s’exonérer de sa responsabilité née de ses propres carences à identifier ou sanctionner des défaillances détectables, durables et d’incidence très grave dans l’exploitation d’installations classées pour la protection de l’environnement qu’il a autorisées, se prévaloir de l’existence même des fautes de cette nature imputables à cet exploitant, dès lors que son action aurait dû précisément avoir pour objet et pour effet d’éviter qu’elles ne soient commises ;
10. Considérant, cependant, qu’une part des fautes commises par l’exploitant que l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse a mises en évidence, consiste à avoir étendu, par des consignes contraires aux prescriptions écrites et formalisées de ses propres procédures internes, quelques mois seulement avant l’explosion, dans le cadre d’un projet dit » plan de progrès » destiné à améliorer le tri des déchets et leur valorisation, l’usage de la sacherie du bâtiment 335 à l’ensemble des emballages usagés du site ; que ces emballages ont ainsi inclus ceux provenant du secteur des chlorures et du secteur des ammonitrates géographiquement séparés, alors que, de fait, ils contenaient des restes, pour des quantités parfois importantes, de ces produits incompatibles entre eux ; que ce sont ces pratiques, envisagées par l’entreprise en février 2001, mises en oeuvre en avril 2001 et dont il est établi qu’elles étaient totalement généralisées en août 2001, qui ont permis le mélange, le 19 septembre 2001, dans la benne entreposée dans la sacherie 335 sur le sol de laquelle ils avaient été indistinctement répandus puis ramassés, de dérivés chlorés et de nitrates d’ammonium industriels, comme il est dit plus haut au point 4, lesquels ont été transportés le 21 septembre suivant dans le bâtiment 221 et déversés sur les nitrates d’ammonium industriels et agricoles déclassés, entassés dans cet entrepôt selon les modalités irrégulières décrites aux points 4 et 7 ;
11 .Considérant que, si le regroupement de tous les emballages du site dans le même local 335 devait inéluctablement conduire, comme l’a souligné le juge pénal, au croisement de produits dangereux et aboutir à une explosion, ni ce regroupement résultant de pratiques décidées de manière récente et officieuse par l’exploitant, ni le remplissage de la benne précitée dans ce local puis son transfert dans un autre bâtiment, que le juge pénal qualifie d’ » opération exceptionnelle » ne procédant pas du » fonctionnement habituel de la gestion des déchets » dans l’entreprise, ne révèlent en eux-mêmes des carences des services de l’Etat dans l’exercice de leurs pouvoirs de police en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, contrairement à ce qu’il en est des modalités continues d’entreposage des nitrates d’ammonium industriels et agricoles dans le bâtiment 221 ; que, s’il n’est pas certain qu’aucune explosion ne se serait produite en l’absence de faute commise dans la surveillance de ce dernier entrepôt, il est établi que la mise en contact du mélange explosif avec des produits qui auraient été stockés dans des conditions régulières, et dont la réactivité aurait été ainsi très inférieure, n’aurait pas eu les mêmes conséquences ; que, dans ces conditions, la carence de l’Etat dans la surveillance de cette installation classée doit être regardée comme ayant fait perdre à M. et Mme B…une chance sérieuse d’échapper au risque d’explosion tel qu’il s’est réalisé et d’éviter tout ou partie des dommages qu’ils ont personnellement subis du fait de cette explosion ; qu’eu égard à l’importante probabilité de survenance d’une explosion du seul fait du croisement de produits hautement incompatibles entre eux, il y a lieu d’évaluer l’ampleur de cette perte de chance à 25 % et de mettre à la charge de l’Etat la réparation de cette fraction des dommages qu’ont subis les requérants et qui sont restés non indemnisés ;
12. Considérant, en revanche, qu’il ne résulte pas de l’instruction que les autres défaillances invoquées par les requérants touchant à la délimitation de la zone couverte par le projet d’intérêt général destiné à instituer une zone de protection autour du site exploité, à la réglementation générale en matière d’urbanisme, à la définition ou à la mise en oeuvre des plans particuliers d’intervention ou au contrôle des plans d’opération interne, puissent être regardées comme étant en lien direct avec les préjudices dont ils demandent dans leur intégralité la réparation ; qu’il ne résulte pas davantage de l’instruction que soient en lien direct avec ces préjudices les carences qu’ils invoquent quant à la transposition et à l’application des stipulations de l’article 5 de la directive 96/82/CE du Conseil définissant seulement les obligations générales de l’exploitant ou des stipulations de la directive 87/216/CEE du Conseil du 19 mars 1987 modifiant la directive 82/501/CEE du Conseil du 24 juin 1982 en tant qu’elles retiennent, pour les nitrates d’ammonium et les mélanges de nitrates d’ammonium, une teneur en azote due au nitrate d’ammonium supérieure à 28 % en poids, comme seuil d’application de leurs dispositions ; qu’enfin, les retards mis par les compagnies d’assurance à indemniser les dommages matériels subis par les requérants ne sauraient trouver directement leur source dans les carences fautives des services de l’État décrites plus haut ;
Sur la réparation :
13. Considérant que les requérants ont été les victimes d’une explosion violente, qui a dévasté leur maison d’habitation et a été pour eux une source d’angoisse, notamment pour être restés de longues heures sans nouvelles de leur enfant ; qu’ils ont ainsi subi des troubles dans leurs conditions d’existence et un préjudice moral dont la réalité n’est d’ailleurs pas contestée par le ministre ; qu’il ne résulte pas de l’instruction, et il n’est pas même soutenu, que ces préjudices auraient déjà donné lieu à réparation ; qu’il en sera fait une juste appréciation en les évaluant à la somme de 10 000 euros ; que, compte tenu de la fraction de 25 % définie au point 11, il y a lieu de condamner l’Etat à leur payer à ce titre une indemnité de 2 500 euros tous intérêts confondus ;
14. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B…sont fondés, d’une part, à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande indemnitaire, d’autre part, à demander la condamnation de l’Etat à leur payer une indemnité de 2 500 euros ;
Sur l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat le versement aux requérants d’une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse n° 0504967 en date du 30 septembre 2010 est annulé.
Article 2 : L’Etat versera une indemnité de 2 500 euros tous intérêts confondus à M. et Mme B… ainsi que, au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros.
Article 3 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A…B…et au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Délibéré après l’audience du 11 décembre 2012, à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
Mme Dominique Boulard, président-assesseur,
Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller,
Lu en audience publique le 24 janvier 2013.
Le rapporteur,
Dominique BOULARDLe président,
Aymard de MALAFOSSELe greffier,
Virginie MARTY
La République mande et ordonne au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition certifiée conforme
Le greffier,