Conseil d’État
N° 408068
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
Mme Airelle Niepce, rapporteur
Mme Julie Burguburu, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP MONOD, COLIN, STOCLET, avocats
lecture du mercredi 30 mai 2018
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme B…A…a demandé au tribunal administratif de Montpellier d’annuler pour excès de pouvoir la délibération du 10 février 2014 par laquelle le conseil municipal de Sète a approuvé le plan local d’urbanisme de la commune ainsi que la décision du 24 avril 2014 par laquelle le maire de Sète a rejeté son recours gracieux contre cette délibération.
Par un jugement n° 1403158 du 4 février 2016, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 16MA01283 du 16 décembre 2016, la cour administrative d’appel de Marseille a, sur appel de MmeA…, annulé ce jugement ainsi que la délibération du 10 février 2014 par laquelle le conseil municipal de Sète a approuvé le plan local d’urbanisme en tant que ce dernier crée l’emplacement réservé n° 29 pour la réalisation d’une voie publique et en tant qu’il ne classe pas les parcelles cadastrées section BM n° 73 et 89 en espaces boisés classés, ainsi que la décision du 24 avril 2014 rejetant son recours gracieux, dans cette mesure, et rejeté le surplus des conclusions présentées par MmeA….
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 16 février et 16 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Sète demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt en tant qu’il a annulé partiellement le plan local d’urbanisme de la commune ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de MmeA….
La commune soutient que l’arrêt de la cour administrative de Marseille qu’elle attaque est entaché :
– d’une erreur de droit dans l’application de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, en ce qu’il juge que le secteur couvert par l’emplacement réservé n° 29, créé par le plan local d’urbanisme attaqué, constitue un espace remarquable au sens de ses dispositions ;
– d’une erreur de droit, en ce qu’il juge que la création de cet emplacement réservé n’est pas en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables ;
– d’une erreur de qualification juridique, en ce qu’il juge que les auteurs du plan local d’urbanisme ont entaché la délibération attaquée d’une erreur d’appréciation en s’abstenant de classer les parcelles cadastrées section BM n° 73 et 89 en espaces boisés classés en application de l’article L. 130-1 du code de l’urbanisme ;
– d’une omission à statuer sur ses conclusions subsidiaires en défense tendant à la mise en oeuvre des dispositions de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2017, Mme A…conclut au rejet du pourvoi et à ce qu’une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la commune de Sète sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,
– les conclusions de Mme Julie Burguburu, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la commune de Sète et à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de MmeA….
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 10 février 2014, le conseil municipal de Sète a approuvé le plan local d’urbanisme de la commune. Le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande d’annulation pour excès de pouvoir formée par Mme A…contre ce document d’urbanisme par un jugement du 4 février 2016. La cour administrative d’appel de Marseille a, sur appel de MmeA…, annulé le plan local d’urbanisme approuvé le 10 février 2014 en tant, d’une part, qu’il crée un emplacement réservé n° 29 sur les parcelles cadastrées section BM n° 73 et 89 dans la partie nord-est du Mont Saint-Clair en vue de la réalisation d’une voie publique (prolongation du boulevard Grangent) et, d’autre part, qu’il ne classe pas ces deux parcelles en espaces boisés classés. La commune de Sète se pourvoit en cassation contre l’arrêt dans cette mesure.
Sur l’annulation de la délibération approuvant le plan local d’urbanisme, en tant qu’elle crée l’emplacement réservé n° 29 :
2. La cour a fondé l’annulation de cette partie du document d’urbanisme attaqué en retenant deux motifs, tirés, l’un, de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, alors en vigueur, relatives à la protection des espaces remarquables du littoral, et l’autre, du défaut de cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables du plan local d’urbanisme.
3. En premier lieu, en vertu de l’article L. 123-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur, » Le plan local d’urbanisme (…) comprend un rapport de présentation, un projet d’aménagement et de développement durables, des orientations d’aménagement et de programmation, un règlement et des annexes « . L’article L. 123-1-3 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose que : » Le projet d’aménagement et de développement durables définit les orientations générales des politiques d’aménagement, d’équipement, d’urbanisme, de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers, et de préservation ou de remise en bon état des continuités écologiques. / Le projet d’aménagement et de développement durables arrête les orientations générales concernant l’habitat, les transports et les déplacements, le développement des communications numériques, l’équipement commercial, le développement économique et les loisirs, retenues pour l’ensemble de l’établissement public de coopération intercommunale ou de la commune. / Il fixe des objectifs de modération de la consommation de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain. « . L’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose que : » Le règlement fixe, en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables, les règles générales et les servitudes d’utilisation des sols permettant d’atteindre les objectifs mentionnés à l’article L. 121-1, qui peuvent notamment comporter l’interdiction de construire, délimitent les zones urbaines ou à urbaniser et les zones naturelles ou agricoles et forestières à protéger et définissent, en fonction des circonstances locales, les règles concernant l’implantation des constructions. / (…) / A ce titre, le règlement peut : / (…) 8° Fixer les emplacements réservés aux voies et ouvrages publics, aux installations d’intérêt général ainsi qu’aux espaces verts ; (…) « .
4. Pour apprécier la cohérence ainsi exigée au sein du plan local d’urbanisme entre le règlement et le projet d’aménagement et de développement durables, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle du territoire couvert par le document d’urbanisme, si le règlement ne contrarie pas les orientations générales et objectifs que les auteurs du document ont définis dans le projet d’aménagement et de développement durables, compte tenu de leur degré de précision. Par suite, l’inadéquation d’une disposition du règlement du plan local d’urbanisme à une orientation ou un objectif du projet d’aménagement et de développement durables ne suffit pas nécessairement, compte tenu de l’existence d’autres orientations ou objectifs au sein de ce projet, à caractériser une incohérence entre ce règlement et ce projet.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le projet d’aménagement et développement durables du plan local d’urbanisme de la commune de Sète comporte, outre une orientation générale numérotée IV tendant à » préserver et valoriser les identités sétoises, anticiper le changement climatique, rechercher l’excellence environnementale et mieux considérer les risques naturels et les nuisances « , précisant notamment un objectif particulier de » préservation des éléments paysagers remarquables notamment sur le Mont Saint-Clair, entité patrimoniale et emblématique de la ville et de son centre ancien « , une orientation numérotée III qui vise à » organiser les déplacements pour limiter les nuisances et mettre en valeur la ville « , en précisant notamment l’objectif d’ » amélioration de la hiérarchisation du réseau viaire dans l’optique d’une voirie pour tous : par la poursuite des aménagements viaires structurants à vocation de diffusion des flux sur une trame viaire complétée (prolongement boulevard Grangent, …) (…) « . Pour juger que le règlement du plan local d’urbanisme n’était pas en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables de ce même plan, la cour s’est fondée sur la circonstance que la création de l’emplacement réservé n° 29, destiné à la réalisation d’une voie publique servant à relier le boulevard Grangent au chemin de la Croix de Marcenac, est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’objectif relatif à la protection de la perspective paysagère du Mont Saint-Clair. En exerçant ainsi son contrôle au regard d’un objectif particulier du projet d’aménagement et développement durables, sans prendre en compte l’ensemble des orientations et des objectifs de ce projet dans les conditions énoncées au point précédent, la cour a commis une erreur de droit.
6. En second lieu, le premier aliéna de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose que : » Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l’occupation et à l’utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l’intérêt écologique qu’ils présentent, (…) les forêts et zones boisées côtières, (…) « . L’article R. 146-1 du même code, dans sa rédaction applicable en l’espèce, prévoit que : » En application du premier alinéa de l’article L. 146-6, sont préservés, dès lors qu’ils constituent un site ou un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral, sont nécessaires au maintien des équilibres biologiques ou présentent un intérêt écologique : / (…) b) Les forêts et zones boisées proches du rivage de la mer et des plans d’eau intérieurs d’une superficie supérieure à 1 000 hectares ; / (…) « .
7. Pour juger que l’emplacement réservé n° 29 du plan local d’urbanisme devait être regardé comme ayant été créé sur des parcelles présentant le caractère de site ou paysage remarquable à protéger au sens des dispositions du premier alinéa de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme citées au point précédent, la cour s’est bornée à relever que ces parcelles, dont elle constatait qu’elles étaient vierges de toutes construction et boisées d’essences d’arbres ne présentant aucun intérêt particulier, étaient situées en continuité avec le Bois des Pierres Blanches dont le rapport de présentation et le projet d’aménagement et de développement durables du plan local d’urbanisme soulignent l’importance paysagère. La cour, en relevant l’absence d’intérêt propre de ces parcelles, a ainsi nécessairement écarté le caractère remarquable de celles-ci prises isolément. En se fondant par conséquent sur leur seule continuité avec un bois présentant, selon son appréciation, un tel caractère, sans rechercher si elles constituaient avec cet espace une unité paysagère justifiant dans son ensemble cette qualification de site ou paysage remarquable à préserver, la cour a commis une erreur de droit.
Sur l’annulation de la délibération approuvant le plan local d’urbanisme en tant qu’elle ne classe pas les parcelles cadastrées section BM n° 73 et BM n° 89 en espace boisé classé :
8. Le dernier alinéa de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable en l’espèce, dispose que : » Le plan local d’urbanisme doit classer en espaces boisés, au titre de l’article L. 130-1 du présent code, les parcs et ensembles boisés existants les plus significatifs de la commune ou du groupement de communes, après consultation de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites. « . Par ailleurs, l’article L. 130-1 du même code, également dans sa rédaction applicable, dispose que : » Les plans locaux d’urbanisme peuvent classer comme espaces boisés, les bois, forêts, parcs à conserver, à protéger ou à créer, qu’ils relèvent ou non du régime forestier, enclos ou non, attenant ou non à des habitations. Ce classement peut s’appliquer également à des arbres isolés, des haies ou réseaux de haies, des plantations d’alignements. / Le classement interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements. / (…) « .
9. Pour juger que les auteurs du plan local d’urbanisme ont commis une erreur d’appréciation dans l’application des dispositions précitées en s’abstenant de classer les parcelles cadastrées section BM n° 73 et BM n° 89 en espace boisé classé, la cour s’est fondée sur la circonstance que ces parcelles boisées constituent un espace à préserver au sens du premier aliéna de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme. Cependant, compte tenu de l’erreur de droit relevée au point 4 concernant cette qualification, la cour a, en statuant ainsi, commis une erreur de droit.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi, que la commune de Sète est fondée à demander l’annulation des articles 1, 2 et 4 de l’arrêt attaqué de la cour d’administrative d’appel de Marseille, qui, au surplus, a omis de se prononcer sur ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme dont elle était saisie, en tant qu’il a procédé aux deux annulations partielles contestées.
Sur les frais de procédure :
11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Sète qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1, 2 et 4 de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 16 décembre 2016 sont annulés.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Marseille, dans cette mesure.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme A…au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Sète et à Mme B…A….