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Plan Local d’Urbanisme : attention à respecter le « principe d’égalité » entre les constructions de même destination !

Arrêt rendu par Cour administrative d’appel de Nantes
06-10-2020
n° 19NT03666

Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI de la Lande, la SCI Lan Kerellec, la SCI Hôtel du Toëno, la SCI La Clarté et Mme F. A. ont demandé au tribunal administratif de Rennes d’annuler la délibération du 3 mars 2017 par laquelle le conseil municipal de Trébeurden a approuvé son plan local d’urbanisme.

Par un jugement n° 1702143 du 11 juillet 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 septembre 2019 et 4 mars 2020, la SCI de la Lande, la SCI Lan Kerellec et la SCI Hôtel du Toëno, représentées par Me B., demandent à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) d’annuler la délibération du 3 mars 2017 par laquelle le conseil municipal de la commune de Trébeurden a approuvé son plan local d’urbanisme ;

3°) de mettre à la charge de la communauté d’agglomération de Lannion Trégor Communauté et de la commune de Trébeurden une somme de 2 000 € au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

– les articles UA1, UC1 et UD1 du règlement du plan local d’urbanisme contesté méconnaissent les dispositions des articles L. 151-9 et L. 151-16 du code de l’urbanisme ;

– les dispositions du H de l’article N2 et du G de l’article N1 de ce règlement sont illégales dès lors qu’elles interdisent la création de nouveaux hébergements hôteliers dans une zone qui a vocation à les accueillir ;

– les dispositions des articles précités sont entachées d’erreur manifeste d’appréciation, ne sont pas justifiées par les circonstances locales et portent une atteinte disproportionnée au droit de propriété et au principe d’égalité, en méconnaissance de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de l’article 544 du code civil et de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 31 janvier et 6 mai 2020, la communauté d’agglomération de Lannion Trégor Communauté et la commune de Trébeurden, représentées par Me D., demandent à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge des sociétés requérantes une somme de 3 000 € au profit de la communauté d’agglomération Lannion Trégor Communauté et une même somme de 3000 € au profit de la commune de Trébeurden au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code de l’urbanisme ;

– le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. C.,

– les conclusions de M. Mas, rapporteur public,

– et les observations de Me E., représentant la communauté d’agglomération de Lannion Trégor Communauté et la commune de Trébeurden.

Une note en délibéré, présentée pour la communauté d’agglomération de Lannion Trégor Communauté, a été enregistrée le 29 septembre 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 3 mars 2017, le conseil municipal de Trébeurden a approuvé le plan local d’urbanisme de la commune, avant que la compétence en matière de planification et d’élaboration des documents d’urbanisme ne soit transférée à la communauté d’agglomération de Lannion Trégor Communauté le 27 mars 2017. La SCI de la Lande, la SCI Lan Kerellec et la SCI Hôtel du Toëno relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande d’annulation de cette délibération. Ils doivent être regardés comme demandant l’annulation de la délibération attaquée en tant seulement qu’elle approuve les articles UA 1, UC 1, UD 1 ainsi que le H de l’article N 2 et le G de l’article N 1 du règlement du plan local d’urbanisme.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. La révision du plan d’occupation des sols de la commune de Trébeurden et sa transformation en plan local d’urbanisme ont été décidées par une délibération du 28 septembre 2011 de son conseil municipal. Il ne ressort d’aucune pièce du dossier que ce conseil municipal aurait décidé, par une délibération expresse, que serait applicable au plan local d’urbanisme en cours d’élaboration l’ensemble des articles R. 151-1 à R. 151-55 du code de l’urbanisme dans leur rédaction en vigueur à compter du 1er janvier 2016. Dès lors, en application du VI de l’article 12 du décret du 28 décembre 2015 relatif à la partie réglementaire du livre Ier du code de l’urbanisme et à la modernisation du contenu du plan local d’urbanisme, les dispositions des articles R. 123-1 à R. 123-14 du code de l’urbanisme dans leur rédaction en vigueur au 31 décembre 2015 sont restées applicables au plan local d’urbanisme adopté par la délibération contestée du 3 mars 2017 du conseil municipal de Trébeurden.

En ce qui concerne les articles UA 1, UC 1 et UD 1 du règlement du plan local d’urbanisme :

3. En premier lieu, aux termes de l’article L. 151-9 du code de l’urbanisme, dont les dispositions figuraient antérieurement à l’article L. 123-1-5 du même code : « Le règlement délimite les zones urbaines ou à urbaniser et les zones naturelles ou agricoles et forestières à protéger. Il peut préciser l’affectation des sols selon les usages principaux qui peuvent en être faits ou la nature des activités qui peuvent y être exercées et également prévoir l’interdiction de construire. Il peut définir, en fonction des situations locales, les règles concernant la destination et la nature des constructions autorisées. » L’article R. 123-9, dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 31 décembre 2015, dispose que les règles qu’il édicte, dont celles relatives aux occupations et utilisations du sol interdites ou soumises à des conditions particulières, « peuvent être différentes, dans une même zone, selon que les constructions sont destinées à l’habitation, à l’hébergement hôtelier, aux bureaux, au commerce, à l’artisanat, à l’industrie, à l’exploitation agricole ou forestière ou à la fonction d’entrepôt ».

4. S’il est loisible aux auteurs des plans locaux d’urbanisme de préciser, pour des motifs d’urbanisme et sous le contrôle du juge, le contenu des catégories énumérées à l’article R. 123-9, les dispositions de cet article ne leur permettent, toutefois, ni de créer de nouvelles catégories de destination pour lesquelles seraient prévues des règles spécifiques, ni de soumettre certains des locaux relevant de l’une des catégories qu’il énumère aux règles applicables à une autre catégorie.

5. Les articles UA 1, UC 1 et UD 1 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Trébeurden prévoient chacun que « le changement de destination des bâtiments d’hébergement hôtelier identifiés sur le document graphique du règlement est interdit ».

6. Par ces dispositions, les auteurs du plan local d’urbanisme ont prévu une réglementation spécifique applicable aux seuls bâtiments d’hébergement hôtelier existants dans les zones urbaines du territoire communal à la date de l’adoption de ce plan, à laquelle ne sont pas soumis les autres bâtiments d’hébergement hôtelier susceptibles d’être créés au sein des mêmes zones urbaines. En prévoyant ainsi des règles différentes pour des constructions qui relèvent de la même catégorie de destination, les auteurs du plan local d’urbanisme ont méconnu les dispositions précitées des articles L. 151-9 et R. 123-9 du code de l’urbanisme.

7. En second lieu, le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un comme l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

8. En l’espèce, l’interdiction du changement de destination des bâtiments d’hébergement hôtelier identifiés par le document graphique du règlement du plan local d’urbanisme contesté est justifiée, selon le rapport de présentation, par la volonté d’enrayer le déclin de la capacité hôtelière de la commune, passée de 338 lits en 2003 à 208 lits en 2015, et de préserver la diversité de l’offre d’hébergement touristique de la commune, afin de consolider l’activité touristique et de conserver son statut de « station classée de tourisme ». Le rapport de présentation précise que « il s’agit en particulier d’éviter que se développe la tendance à produire uniquement des appartements simplement offerts à la location à la semaine, ce qui au sens du code de l’urbanisme se traduit par un changement de destination, d’une destination « hébergement hôtelier » vers une destination « habitation » ». Le plan local d’urbanisme contesté soumet à cette interdiction les seuls bâtiments d’hébergement hôtelier existants dans la commune à la date de l’adoption du plan local d’urbanisme et en exempte les autres bâtiments d’hébergement hôtelier créés ultérieurement ou susceptibles de l’être au sein de la commune, qui ne sont pas dans des situations différentes dès lors qu’ils délivrent tous des prestations hôtelières sur le territoire de Trébeurden. Si les auteurs du plan local d’urbanisme ont entendu déroger à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, la différence de traitement qui en résulte est dépourvue de rapport direct avec l’objet de la norme consistant à maintenir la capacité hôtelière de la commune, à laquelle contribueront les établissements d’hébergement hôtelier créés postérieurement à l’adoption du plan ou susceptibles de l’être au sein de la commune. En tout état de cause, cette différence de traitement est manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit être accueilli.

9. Il en résulte que les dispositions des articles UA 1, UC 1 et UD 1 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Trébeurden selon lesquelles « le changement de destination des bâtiments d’hébergement hôtelier identifiés sur le document graphique du règlement est interdit », divisibles des autres dispositions du règlement, sont illégales.

10. Pour l’application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, aucun des autres moyens invoqués n’est susceptible, en l’état du dossier, de fonder l’annulation de la délibération attaquée en tant qu’elle approuve ces dispositions.

En ce qui concerne les dispositions du H de l’article N 2 et du G de l’article N 1 du règlement du plan local d’urbanisme :

11. Le G de l’article N 1 du règlement du plan local d’urbanisme dispose que « Sont interdites en secteur NT, les occupations et utilisations du sol non autorisées à l’article N2-H et qui correspondent à des activités nuisantes ou incompatibles avec la vocation principale de la zone. / De plus, le changement de destination des bâtiments d’hébergement hôtelier identifiés sur le document graphique du règlement est interdit. » Ces dispositions sont entachées d’une erreur de plume en tant qu’elles visent le H de l’article N 2, lequel porte en réalité sur les constructions admises en secteur NN. Les constructions autorisées en secteur NT sont énumérées au J de l’article N2, selon lequel sont admises : « 1. Les aires naturelles aménagées de camping, de caravanage et d’accueil de camping-cars. / 2. L’aménagement et l’extension limitée à 50 m2 de surface de plancher des équipements techniques d’accueil, logements de fonction et bâtiments d’hébergement touristique existants. / 3. Les travaux ou aménagements légers nécessaires à la mise en valeur et à la gestion du secteur (éclairage, cheminement, …), à l’exclusion de nouvelles constructions. / 4. Les équipements et aménagement de sport et les aires de jeux correspondant à l’activité d’une aire naturelle de camping. / 5. Les aires naturelles de stationnement. »

12. En premier lieu, contrairement à ce que font valoir la communauté d’agglomération de Lannion Trégor Communauté et la commune de Trébeurden, ces dispositions interdisent les nouvelles constructions de bâtiments d’hébergement hôtelier en zone NT, laquelle est dédiée aux équipements touristiques isolés. Pour autant, aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obstacle à que les auteurs d’un plan local d’urbanisme interdisent, au sein d’une zone naturelle, même dédiée aux équipements touristiques, la construction de nouveaux bâtiments d’hébergement hôtelier. En outre, une telle interdiction applicable en zone naturelle, y compris au sein de la zone dédiée aux équipements touristiques isolés, ne contredit pas l’objectif du projet d’aménagement et de développement durables tendant à maintenir une capacité d’hébergement marchand diversifiée, et n’est pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

13. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 7 et 8 du présent arrêt, l’interdiction du changement de destination des bâtiments d’hébergement hôtelier identifiés sur le document graphique du règlement prévue par le G de l’article N1 du règlement du plan local d’urbanisme méconnaît le principe d’égalité.

14. Il en résulte que les dispositions du G de l’article N1 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Trébeurden selon lesquelles « De plus, le changement de destination des bâtiments d’hébergement hôtelier identifiés sur le document graphique du règlement est interdit », divisibles des autres dispositions du règlement, sont illégales.

15. Pour l’application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, aucun des autres moyens invoqués n’est susceptible, en l’état du dossier, de fonder l’annulation de la délibération attaquée en tant qu’elle approuve ces dispositions.

16. Il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes sont seulement fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande d’annulation de la délibération du 3 mars 2017 par laquelle le conseil municipal de Trébeurden a approuvé son plan local d’urbanisme, en tant qu’elle concernait les dispositions des articles UA 1, UC 1, UD 1 et du G de l’article N 1 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Trébeurden citées aux points 9 et 14 du présent arrêt. Elles ne sont, en revanche, pas fondées à soutenir que c’est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Rennes a rejeté le surplus de leur demande d’annulation.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des sociétés requérantes, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que la communauté d’agglomération de Lannion Trégor Communauté et la commune de Trébeurden demandent au titre des frais exposés par elles à l’occasion du litige soumis au juge.

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre solidairement à la charge de la communauté d’agglomération de Lannion Trégor Communauté et de la commune de Trébeurden la somme globale de 1 500 € à verser à la SCI de la Lande, à la SCI Lan Kerellec et à la SCI Hôtel du Toëno, au titre des frais liés à l’instance.

Décide :

Article 1er : La délibération du 3 mars 2017 par laquelle le conseil municipal de Trébeurden a approuvé son plan local d’urbanisme est annulée en tant qu’elle concerne les dispositions des articles UA 1, UC 1, UD 1 et N 1 du règlement, citées aux points 9 et 14 du présent arrêt, qui interdisent le changement de destination des bâtiments d’hébergement hôtelier identifiés sur le document graphique.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 juillet 2019 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La communauté d’agglomération de Lannion Trégor Communauté et la commune de Trébeurden verseront solidairement une somme globale de 1 500 € à la SCI de la Lande, à la SCI Lan Kerellec et à la SCI Hôtel du Toëno au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.

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