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Aménagement du sentier littoral : la proximité d’une falaise ne change pas le tracé !

Cour Administrative d’Appel de Marseille 

N° 10MA02546    
Inédit au recueil Lebon 
1ère chambre – formation à 3
M. BENOIT, président
Mme Frédérique SIMON, rapporteur
M. REVERT, rapporteur public
BUSSON, avocat


lecture du vendredi 25 octobre 2013

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 5 juillet 2010 au greffe de la cour administrative d’appel de Marseille sous le n° 10MA02546, présentée pour l’association U Levante, dont le siège est RN 193 E Muchjelline à Corte (20250), l’association ABCDE dont le siège est au lieu-dit Palmentile à Bonifacio (20169) et l’association Surfrieder Foundation Europe dont le siège est 120 avenue de Verdun Villa Maro à Biarritz (64200), par Me Busson, avocat ; l’association U Levante et autres demande à la Cour :


1°) d’annuler le jugement n° 0900518 du 15 avril 2010 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté en date du 10 mars 2009, par lequel le préfet de la Corse-du-Sud a transféré la servitude de passage des piétons sur le littoral du territoire de la commune de Bonifacio, de la chapelle Saint Roch à Sant’Amanza ; 


2°) d’annuler l’arrêté précité ;


3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; 


……………………………………………………………………………………….

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’urbanisme ; 

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ; 

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 19 septembre 2013 ;

– le rapport de Mme Simon, première conseillère ;
– et les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;

1. Considérant que les associations U Levante, ABCDE et Surfrieder Foundation Europe interjettent appel du jugement du 15 avril 2010 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté, en date du 10 mars 2009, par lequel le préfet de la Corse-du-Sud a transféré la servitude de passage des piétons sur le littoral du territoire de la commune de Bonifacio, de la chapelle Saint Roch à Sant’Amanza ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance : 

2. Considérant, en premier lieu, que d’une part, aux termes de l’article 2 de ses statuts, l’association U Levante a notamment pour objet  » de veiller au respect du libre accès au domaine public maritime et de lutter contre l’aliénation des chemins ruraux et de randonnée  » ; qu’un tel objet lui confère un intérêt pour demander l’annulation de l’arrêté du 10 mars 2009 ; que, d’autre part, par délibération du 11 mai 2009, la direction collégiale de cette association, compétente à cet effet en vertu de l’article10 des statuts, a décidé d’attaquer ledit arrêté et habilité deux de ses membres pour le faire ; 

3. Considérant, en deuxième lieu, que, d’une part, aux termes de l’article 2 de ses statuts, l’association ABCD a notamment pour objet de défendre et de sauvegarder l’espace littoral et maritime bordant la commune de Bonifacio et le canton ; qu’un tel objet lui confère également un intérêt pour demander l’annulation de l’arrêté querellé ; que, d’autre part, par délibération du 7 avril 2009, le conseil d’administration de l’association, compétente à cet effet en vertu de l’article 9 des statuts, a décidé d’attaquer l’arrêté du 10 mars 2009 et a habilité son président pour ce faire ; 
4. Considérant, en dernier lieu, que, d’une part, aux termes de l’article 2 de ses statuts, l’association Surfrider Foundation Europe a pour objet la défense, la sauvegarde la mise en valeur et la gestion durable de l’océan, du littoral, des vagues et de la population qui en jouit ; qu’un tel objet lui confère, à elle aussi, un intérêt pour demander l’annulation de l’arrêté litigieux ; que, d’autre part, en vertu de l’article 10 des mêmes statuts, le président a qualité pour ester en justice au nom de l’association, tant en demande qu’en défense ; 

5. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les associations U Levante, ABCDE et Surfrieder Foundation Europe sont recevables à demander l’annulation de l’arrêté du 10 mars 2009 ; 

Sur le bien fondé du jugement :

6. Considérant, en premier lieu, que, d’une part, aux termes de l’article R. 160-12 du code de l’urbanisme dans sa version applicable :  » En vue de la modification, par application des alinéas 2 et 3 de l’article L. 160-6, du tracé ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques de la servitude, le chef du service maritime adresse au préfet, pour être soumis à enquête, un dossier qui comprend ; a) Une notice explicative exposant l’objet de l’opération prévue ; b) Le plan parcellaire des terrains sur lesquels le transfert de la servitude est envisagé, avec l’indication du tracé à établir et celle de la largeur du passage ; c) La liste par communes des propriétaires concernés par le transfert de la servitude, dressée à l’aide d’extraits des documents cadastraux délivrés par le service du cadastre ou à l’aide des renseignements délivrés par le conservateur des hypothèques au vu du fichier immobilier, ou par tous autres moyens ; d) L’indication des parties de territoire où il est envisagé de suspendre l’application de la servitude, notamment dans les cas visés à l’article R. 160-14.  » ; que, d’autre part, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ;

7. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et qu’il n’est pas contesté par le ministre que le dossier soumis à enquête publique ne contenait pas de notice explicative ; que, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, ni le document intitulé  » Annexes n°1 Plans  » ni aucun autre document dudit dossier n’expose d’une manière suffisamment claire et précise propre à permettre au public intéressé d’appréhender, en ces lieux, le tracé et les caractéristiques de la servitude de passage des piétons le long du littoral dont l’arrêté contesté approuve des modifications ; que, dans les circonstances de l’espèce, ce manquement a eu pour effet de nuire à l’information de l’ensemble des personnes intéressées par l’opération, les privant ainsi d’une garantie ; que ce vice de procédure entache par suite d’illégalité l’arrêté litigieux ; 

8. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article L. 160-6 du code de l’urbanisme :  » Les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de trois mètres de largeur d’une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons. L’autorité administrative peut, par décision motivée prise après avis du ou des conseils municipaux intéressées et au vu du résultat d’une enquête publique effectuée comme en matière d’expropriation : a) Modifier le tracé ou les caractéristiques de la servitude, afin, d’une part, d’assurer, compte tenu notamment de la présence d’obstacles de toute nature, la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, d’autre part, de tenir compte des chemins ou règles locales préexistants ; le tracé modifié peut grever exceptionnellement des propriétés non riveraines du domaine public maritime (…)  » ; 

9. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que les propriétés riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de trois mètres de largeur d’une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons ; que l’autorité administrative peut, par décision motivée, modifier le tracé ou les caractéristiques de cette servitude afin d’assurer, compte tenu des obstacles de toute nature, la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer ; que cette faculté n’est ouverte à l’autorité administrative que dans la stricte mesure nécessaire au respect des objectifs ainsi fixés par la loi ;



10. Considérant que, pour décider de la modification querellée du tracé de la servitude allant, sur le territoire de la commune de Bonifacio, de la chapelle Saint Roch à Sant’Amanza, le préfet de la Corse-du-Sud s’est fondé sur l’existence avérée au niveau du cap de Sperone d’un phénomène d’érosion qu’un piétinement continu pourrait aggraver et la dangerosité de faire cheminer les piétons au bord des falaises ; que toutefois, si une telle dangerosité a été relevé par le commissaire enquêteur, l’ensemble des éléments motivant l’arrêté contesté sont contredits par l’étude réalisée en septembre 2010 par un géologue alors que l’Etat, sur lequel repose la charge de la preuve eu égard au régime dérogatoire ainsi mis en oeuvre, n’apporte aucun élément de nature à établir la réalité du motif sur lequel le préfet s’est fondé ; qu’en tout état de cause, à supposer même cette dangerosité établie, la continuité du cheminement des piétons pouvait être assurée par un simple aménagement des caractéristiques de la servitude en bordure du littoral ; qu’il suit de là que le préfet de la Corse-du-Sud a entaché sa décision du 10 mars 2009 d’une erreur manifeste d’appréciation ; que, par ailleurs, si le préfet a également fait état dans cette décision de la possibilité d’emprunter les voies publiques ouvertes à la circulation et des différents accès publics à la mer, ce motif, au demeurant non déterminant en l’espèce, n’est pas de nature à justifier la modification du tracé d’une servitude de passage des piétons le long du littoral ;

11. Considérant, pour l’application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, qu’aucun autre moyen n’est de nature à conduire à l’annulation de la délibération querellée ; 

12. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les associations U Levante, ABCDE et Surfrieder Foundation Europe sont fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 10 mars 2009 ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :  » Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.  » ;
14. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 500 euros au titre des frais exposés par chacune des associations U Levante, ABCDE et Surfrieder Foundation Europe, et non compris dans les dépens, soit une somme totale de 1 500 euros ;
D É C I D E :


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia n° 0900518 du 15 avril 2010 et l’arrêté en date du 10 mars 2009, par lequel le préfet de la Corse-du-Sud a transféré la servitude de passage des piétons sur le littoral du territoire de la commune de Bonifacio, de la chapelle Saint Roch à Sant’Amanza, sont annulés. 
Article 2 : L’Etat versera aux associations U Levante, ABCDE et Surfrieder Foundation Europe une somme de 500 (cinq cents) euros chacune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l’association U Levante, à l’association ABCDE à l’association Surfrieder Foundation Europe et au ministre de l’égalité des territoires et du logement. 

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