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Contravention de grande voirie : quel est le montant de l’amende maximum pour une personne morale ?

Arrêt rendu par Cour administrative d’appel de Marseille
05-05-2023
n° 22MA00460

Texte intégral :
Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la Corse-du-Sud a déféré au tribunal administratif de Bastia, comme prévenus d’une contravention de grande voirie, la SAS Tavera et Mme V. E., et lui a demandé de les condamner au paiement de l’amende prévue par le décret n° 2003-172 du 25 février 2003, d’ordonner la remise à l’état d’origine des lieux, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard et de l’autoriser à procéder d’office, aux frais des contrevenantes, à la remise en état des lieux.

Par un jugement n° 2101123 du 13 décembre 2021, le tribunal administratif de Bastia a, à l’article 1er, condamné la SAS KOS et Mme E. à payer une amende, respectivement, de 5 000 € et de 1 500 €, à l’article 2, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le surplus des conclusions du déféré du préfet de la Corse-du-Sud et à l’article 3, rejeté les conclusions de la SAS KOS et de Mme E. présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 7 février 2022, la SAS KOS, anciennement dénommée SAS Tavera, et Mme E., représentées par Me Nesa, demandent à la Cour :

1°) à titre principal, d’annuler l’article 1er du jugement du tribunal administratif de Bastia du 13 décembre 2021 les condamnant à payer une amende, respectivement, de 5 000 € et de 1 500 €, le cas échant, assortie d’un sursis ;

2°) de les relaxer des fins de la poursuite sans peine ni dépens ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter dans de plus justes proportions l’amende prévue par le décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 € en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

– Mme E. doit être relaxée des fins de poursuite dès lors que l’autorisation d’occupation du domaine public a été délivrée à la SAS Tavera et qu’elle n’occupe pas pour elle-même le domaine public dont s’agit ;

– la matérialité des faits n’est pas établie ;

– subsidiairement, les amendes doivent être ramenées à de plus justes proportions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2022, la ministre de la transition écologique et la ministre de la mer concluent au rejet de la requête de la société KOS et de Mme E.

Elles font valoir que les moyens soulevés par la SAS KOS et Mme E. ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l’arrêt était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de ce qu’alors que le montant maximum des amendes encourues est prévu par le 5° de l’article 131-13 du code pénal, soit 1 500 € pour une première condamnation, auquel l’article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques renvoie, le premier juge a méconnu le principe de légalité des peines en fixant à 5 000 € le montant de l’amende infligé à la SAS KOS.

Des observations en réponse au moyen d’ordre public ont été produites le 17 avril 2023 par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et communiquées le 18 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la Constitution, et notamment son Préambule ;

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– le code général de la propriété des personnes publiques ;

– le code pénal ;

– le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme Virginie Ciréfice, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l’article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Marchessaux,

– et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de la Corse-du-Sud a, par un arrêté du 12 avril 2021, autorisé la SAS Tavera, devenue la SAS KOS et sa gérante, Mme E., à occuper, jusqu’au 31 octobre 2021, pour y disposer 28 matelas et 14 parasols, une surface de 100 m² de la plage de l’Ariadne, située sur le territoire de la commune d’Ajaccio et appartenant au domaine public maritime. Un procès-verbal de contravention de grande voirie a été dressé, le 27 août 2021, à leur encontre pour avoir, le 9 août 2021, occupé sans titre une surface supplémentaire de 51 m² du domaine public maritime. Le préfet de la Corse-du-Sud a déféré au tribunal, comme prévenues d’une contravention de grande voirie, la SAS Tavera et Mme E. La SAS KOS et Mme E. relèvent appel de l’article 1er du jugement du 13 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Bastia les a condamnées à payer une amende, respectivement, de 5 000 € et de 1 500 €.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la matérialité de l’infraction :

2. Selon le 1er alinéa de l’article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques : « Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d’amende ». L’article L. 2111-4 du même code dispose que : « Le domaine public maritime naturel de L’Etat comprend : 1° […] le rivage de la mer. Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu’elle couvre et découvre jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles […] 3° Les lais et relais de la mer : a) Qui faisaient partie du domaine privé de l’Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; b) Constitués à compter du 1er décembre 1963. […]. »

3. Aux termes du 1er alinéa de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous. […]. » L’article L. 2132-2 du même code dispose que : « Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l’amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n’appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l’intégrité ou de l’utilisation de ce domaine public, soit d’une servitude administrative mentionnée à l’article L. 2131-1. / Elles sont constatées, poursuivies et réprimées par voie administrative. »

4. Il résulte de l’instruction que par un arrêté du 12 avril 2021, le préfet de la Corse-du-Sud a, autorisé la SAS Tavera, devenue la SAS KOS, représentée par Mme E., à occuper jusqu’au 31 octobre 2021, pour y disposer 28 matelas et 14 parasols, une surface de 100 m² de la plage de l’Ariadne, située sur le territoire de la commune d’Ajaccio et appartenant au domaine public maritime. Selon le constat d’occupation du domaine public maritime dressé le 15 juillet 2021 et le procès-verbal de contravention de grande voirie du 27 août 2021, le contrôleur de la direction départementale des territoires et de la mer de la Corse-du-Sud a constaté que Mme E. occupait sans droit ni titre le domaine public maritime sur une superficie de 51 m² correspondant à l’implantation de 21 transats et 14 parasols ainsi qu’à du stockage de matériel sur le sable. La circonstance que l’occupation irrégulière concernerait un nombre inférieur de transats et de parasols à celui autorisé par l’arrêté du 12 avril 2021 est sans incidence. Si la SAS KOS et Mme E. soutiennent qu’aucune des pièces du dossier ne permet de vérifier que les 100 m² autorisés ont été réellement dépassés dès lors que le « plan annexé » évoqué à l’article 2 de l’arrêté précité n’est pas versé au débat et qu’aucune mesure particulière de surface ne figure au dossier, les mentions du constat et du procès-verbal précités font foi jusqu’à preuve du contraire. Par ailleurs, la zone d’occupation régulière est décrite par un plan annexé à l’autorisation d’occupation du domaine public du 12 avril 2021 dont Mme E. a nécessairement possession, ce plan devant être affiché sur le lieu d’occupation à destination des usagers comme le précise ledit arrêté. En outre, le plan de l’implantation irrégulière annexé au constat est suffisamment précis pour établir le dépassement litigieux. Par suite, la matérialité de l’infraction relevée par ce constat et le procès[#8209]verbal de contravention de grande voirie doit être regardée comme établie.

En ce qui concerne la demande de relaxe de Mme E. :

5. La personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l’action qui est à l’origine de l’infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l’objet qui a été la cause de la contravention.

6. Il résulte de l’instruction que Mme E. est la présidente de la SAS Tavera devenue la SAS KOS laquelle est titulaire d’une autorisation d’occupation du domaine public délivrée le 12 avril 2021 par le préfet de la Corse-du-Sud. Dans ces conditions, Mme E. disposait des pouvoirs lui permettant de prendre toutes dispositions pour faire cesser l’atteinte au domaine public constituée par l’occupation sans titre d’une surface de 51 m² sur le domaine public maritime laquelle est établie ainsi qu’il a été dit au point 4. Le tribunal a pu ainsi, à juste titre, la condamner à une amende de 1 500 € alors même que l’autorisation d’occupation du domaine public a été délivrée à la SAS Tavera et qu’elle n’occuperait pas pour elle-même le domaine public. Ses conclusions tendant à ce qu’elle soit relaxée de cette condamnation ne peuvent dès lors qu’être rejetées.

En ce qui concerne la demande subsidiaire tendant à ramener à de plus justes proportions les condamnations prononcées par le tribunal :

7. Aux termes de l’article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques : « Sous réserve des textes spéciaux édictant des amendes d’un montant plus élevé, l’amende prononcée pour les contraventions de grande voirie ne peut excéder le montant prévu par le 5° de l’article 131-13 du code pénal. / Dans tous les textes qui prévoient des peines d’amendes d’un montant inférieur ou ne fixent pas le montant de ces peines, le montant maximum des amendes encourues est celui prévu par le 5° de l’article 131-13. / Dans tous les textes qui ne prévoient pas d’amende, il est institué une peine d’amende dont le montant maximum est celui prévu par le 5° de l’article 131-13. »

8. Aux termes de l’article 131-13 du code pénal : « Constituent des contraventions les infractions que la loi punit d’une amende n’excédant pas 3 000 €. / Le montant de l’amende est le suivant : […] / 5° 1 500 € au plus pour les contraventions de la 5e classe, montant qui peut être porté à 3 000 € en cas de récidive lorsque le règlement le prévoit, hors les cas où la loi prévoit que la récidive de la contravention constitue un délit. » L’article 132-11 du code précité dispose que : « Dans les cas où le règlement le prévoit, lorsqu’une personne physique, déjà condamnée définitivement pour une contravention de la 5e classe, commet, dans le délai d’un an à compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine, la même contravention, le maximum de la peine d’amende encourue est porté à 3 000 €. […]. » Aux termes de l’article 132-15 du même code : « Dans les cas où le règlement le prévoit, lorsqu’une personne morale, déjà condamnée définitivement pour une contravention de la 5e classe, engage sa responsabilité pénale, dans le délai d’un an à compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine, par la même contravention, le taux maximum de l’amende applicable est égal à dix fois celui qui est prévu par le règlement qui réprime cette contravention en ce qui concerne les personnes physiques. ».

9. L’article 131-40 du code pénal prévoit que : « Les peines contraventionnelles encourues par les personnes morales sont : / 1° L’amende ; […]. » Selon l’article 131-41 du code précité : « Le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par le règlement qui réprime l’infraction. »

10. Lorsqu’il retient la qualification de contravention de grande voirie s’agissant des faits qui lui sont soumis, le juge est tenu d’infliger une amende au contrevenant. Alors même que les dispositions précitées ne prévoient pas de modulation des amendes, le juge, qui est le seul à les prononcer, peut toutefois, dans le cadre de ce contentieux répressif, moduler leur montant dans la limite du plafond prévu par la loi et du plancher que constitue le montant de la sanction directement inférieure, pour tenir compte de la gravité de la faute commise, laquelle est appréciée au regard de la nature du manquement et de ses conséquences.

11. Lorsque le juge administratif est saisi d’un procès[#8209]verbal de contravention de grande voirie, il ne peut légalement décharger le contrevenant de l’obligation de réparer les atteintes portées au domaine public qu’au cas où le contrevenant produit des éléments de nature à établir que le dommage est imputable, de façon exclusive, à un cas de force majeure ou à un fait de l’administration assimilable à un cas de force majeure. Il s’ensuit que les appelantes ne sauraient utilement se prévaloir de ce qu’elles étaient de bonne foi.

12. Les circonstances que le dépassement en litige résulterait d’une demande de clients à l’occasion de la célébration de deux anniversaires, du respect des mesures sanitaires de distanciation sociale et que l’accès à la mer a été laissé libre sont sans incidence dès lors que la seule implantation, sans autorisation, de 21 transats et 14 parasols et du matériel de stockage sur 51 m² du domaine public maritime constitue une contravention de grande voirie. En outre, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que ce dépassement est resté exceptionnel dès lors qu’un précédent dépassement a été constaté le 15 juillet 2021 par le contrôleur de la direction départementale des territoires et de la mer de la Corse-du-Sud.

13. Il résulte des dispositions de l’article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques que l’amende prononcée pour les contraventions de grande voirie ne peut excéder le montant prévu par le 5° de l’article 131-13 du code pénal, soit 1 500 €, sans distinguer entre personnes physiques et personnes morales. Ces dispositions ne prévoient pas la possibilité de quintupler les amendes pour les personnes morales et ne renvoient pas explicitement à l’article 131-41 du code pénal, ni, de manière générale, aux peines d’amende définies dans le code pénal pour les contraventions de la cinquième classe, à la différence de ce qui est prévu en cas de récidive aux articles 132-11 et 132-15 du code pénal. Par suite, en fixant à 5 000 €, sur le fondement de l’article 131-41 du code pénal, le montant de l’amende infligé à la SAS KOS laquelle n’était pas en situation de récidive, le premier juge a méconnu le principe de légalité des peines consacré par l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et garanti par les stipulations de l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il y a lieu, dès lors, de ramener cette amende à la somme de 1 500 € prévue par le 5° de l’article 131-13 du code pénal.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS KOS et Mme E. sont seulement fondées à demander que l’amende de 5 000 € que le tribunal administratif de Bastia a condamné la SA KOS à payer, à l’article 1er du jugement contesté, soit ramenée à la somme de 1 500 €.

Sur les frais liés au litige :

15. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit à la demande de la SAS KOS et autre tendant à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Décide :

Article 1er : La somme de 5 000 € que la SAS KOS a été condamnée à verser à l’Etat à l’article 1er du jugement du tribunal administratif de Bastia du 13 décembre 2021 est ramenée à 1 500 €.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 13 décembre 2021 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SAS KOS et de Mme E. est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS KOS, à Mme V. E. et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

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