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Environnement : quelles sont les modalités de gestion des bois et forêts appartenant aux commune ?

Conseil d’État 

N° 404912    
Publié au recueil Lebon
Section
M. Guillaume Leforestier, rapporteur
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public
SCP DE NERVO, POUPET, avocats

lecture du vendredi 21 décembre 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, cinq mémoires complémentaires et deux mémoires en réponse à un supplément d’instruction, enregistrés les 7 novembre 2016, 29 mars, 28 juin et 27 septembre 2017 et les 12 février, 9 mars, 22 mars et 7 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, la commune de Saint-Jean de Marsacq demande au Conseil d’État :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 septembre 2016 par laquelle le directeur général de l’Office national des forêts (ONF) a rejeté sa demande tendant à ce que l’ONF adopte et propose à l’approbation du ministre chargé des forêts un projet de règlement type de gestion correspondant à la catégorie de bois et forêts dont relèvent ceux de la commune ;

2°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre chargé des forêts sur sa demande du 8 août 2016 tendant à ce qu’il édicte ou approuve un règlement type de gestion correspondant à la catégorie de bois et forêts dont relèvent ceux de la commune ;

3°) d’enjoindre à l’ONF et au ministre chargé des forêts de prendre, dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision à intervenir, le règlement type de gestion correspondant à la catégorie dont relèvent les bois et forêts de la commune, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’ONF et de l’État une somme de 3 000 euros chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code forestier ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Guillaume Leforestier, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de l’Office national des forêts ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 décembre 2018, présentée par l’Office national des forêts ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 décembre 2018, présentée par la commune de Saint-Jean de Marsacq ;

1. Considérant que la commune de Saint-Jean de Marsacq demande l’annulation pour excès de pouvoir, d’une part, de la décision du 5 septembre 2016 par laquelle le directeur général de l’Office national des forêts (ONF) a refusé de faire droit à sa demande tendant à ce qu’il adopte et propose à l’approbation du ministre chargé des forêts un projet de règlement type de gestion, tel que prévu par les articles L. 124-1 et R. 124-2 du code forestier, correspondant à la catégorie de bois et forêts dont relèvent ses bois communaux et, d’autre part, de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt sur sa demande en date du 8 août 2016 tendant à ce qu’il approuve ce règlement type de gestion ; qu’une décision explicite de rejet, prise par le ministre le 20 janvier 2017, s’est substituée à sa décision implicite ;

2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 211-1 du code forestier :  » I. – Relèvent du régime forestier, constitué des dispositions du présent livre, et sont administrés conformément à celui-ci : / (…) / 2° Les bois et forêts susceptibles d’aménagement, d’exploitation régulière ou de reconstitution qui appartiennent aux collectivités et personnes morales suivantes, ou sur lesquels elles ont des droits de propriété indivis, et auxquels ce régime a été rendu applicable dans les conditions prévues à l’article L . 214-3 : / a) (…) les communes (…)  » ; qu’aux termes de l’article L. 214-3 de ce code :  » Dans les bois et forêts des collectivités territoriales et des autres personnes morales mentionnées au 2° du I de l’article L. 211-1 susceptibles d’aménagement, d’exploitation régulière ou de reconstitution, l’application du régime forestier est prononcée par l’autorité administrative compétente de l’État, après avis de la collectivité ou de la personne morale intéressée. En cas de désaccord, la décision est prise par arrêté du ministre chargé des forêts  » ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes du dernier alinéa de l’article L. 124-1 du code forestier, présentent des garanties de gestion durable, dès lors qu’ils disposent du document de gestion spécifique à leur situation, les bois et forêts :  » 4° Appartenant à des personnes publiques sans relever du I de l’article L. 211-1 et gérés conformément à un règlement type de gestion agréé, que le propriétaire s’est engagé à appliquer pour une durée et selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État  » ; qu’aux termes de l’article R. 124-2 du même code :  » Les bois et forêts appartenant à des personnes publiques et ne relevant pas du régime forestier, mentionnés au dernier alinéa de l’article L. 124-1, présentent une garantie de gestion durable lorsqu’ils sont gérés : / 1° Conformément au règlement-type de gestion agréé mentionné au deuxième alinéa de l’article D. 212-10, correspondant à la catégorie de bois et forêts dont ils relèvent dans le ressort de la directive régionale d’aménagement ou du schéma régional d’aménagement applicable dans la région où ils sont situés ; / 2° Soit par l’Office national des forêts, selon les modalités prévues pour les bois et forêts des particuliers aux articles D. 315-1 à D. 315-7, soit par un organisme de gestion en commun des forêts ou un expert forestier mentionnés à l’article L. 313-2, soit par un gestionnaire forestier professionnel répondant aux conditions mentionnées à l’article L. 315-1 ; dans chaque cas, le contrat doit être d’une durée au moins égale à dix ans  » ; qu’aux termes du second alinéa de l’article D. 212-10 du même code, l’ONF propose à l’approbation du ministre chargé des forêts  » pour chaque catégorie de bois et forêts dans le ressort d’une directive régionale d’aménagement ou d’un schéma régional d’aménagement, un projet de règlement type de gestion conforme à cette directive ou à ce schéma  » ;

4. Considérant, en dernier lieu, que, dans les bois et forêts ne présentant pas de garanties de gestion durable, les coupes d’arbres sont soumises à autorisation dans les conditions prévues à l’article L. 124-5 du code forestier ; qu’en vertu de l’article L. 121-6 du même code, seuls les bois et forêts pour lesquels il existe un des documents de gestion mentionnés aux articles L. 124-1 et L. 124-2 du même code peuvent prétendre au bénéfice des aides publiques destinées à la mise en valeur et à la protection des bois et forêts ; que, toutefois, aux termes de l’article D. 156-6 de ce code :  » Les collectivités et personnes morales mentionnées au 2° du I de l’article L. 211-1 ne peuvent bénéficier d’aides publiques attribuées par l’État ou pour son compte que si le régime forestier est appliqué à leurs bois et forêts susceptibles d’aménagement, d’exploitation régulière ou de reconstitution…  » ;

5. Considérant qu’il résulte des termes mêmes de l’article L. 211-1 du code forestier cité au point 2 que les bois et forêts susceptibles d’aménagement, d’exploitation régulière ou de reconstitution appartenant aux communes doivent, pour relever du régime forestier, au sens de cet article, avoir fait l’objet d’une décision de l’autorité administrative compétente de l’État prononçant l’application de ce régime dans les conditions définies à l’article L. 214-3 du même code ; qu’il résulte des dispositions citées au point 3 que, lorsque, faute d’avoir fait l’objet d’une telle décision, ces bois et forêts ne relèvent pas du régime forestier, ils présentent des garanties de gestion durable s’ils sont gérés conformément à un règlement type de gestion élaboré par l’ONF et approuvé par le ministre chargé des forêts ; que si, selon l’article D. 156-6 cité au point 4, la commune ne peut prétendre aux aides publiques attribuées par l’État ou pour son compte que si le régime forestier a été rendu applicable à ces bois et forêts, le fait que ceux-ci présentent des garanties de gestion durable a notamment pour effet de les dispenser d’obtenir l’autorisation de coupe d’arbres prévue à l’article L. 124-5 du code forestier ;

Sur l’intérêt pour agir de la commune :

6. Considérant qu’il est constant que les bois et forêts de la commune requérante sont susceptibles d’aménagement, d’exploitation régulière ou de reconstitution mais n’ont pas fait l’objet d’une décision administrative prise sur le fondement de l’article L. 214-3 du code forestier ; qu’en conséquence, ils ne peuvent présenter de garanties de gestion durable que s’ils sont gérés conformément à un règlement type de gestion édicté sur le fondement du neuvième alinéa de l’article L. 124-1 du code forestier ; que, par suite, contrairement à ce que soutient l’ONF, la commune requérante justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation des décisions rejetant sa demande tendant à l’adoption d’un règlement type de gestion ;

Sur la légalité des décisions attaquées :

7. Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 124-1, du 2° de l’article R. 124-2 et de l’article D. 212-10 du code forestier qu’il incombe à l’ONF de proposer à l’approbation du ministre chargé des forêts, dans le ressort de chaque directive régionale ou schéma régional d’aménagement, un projet de règlement type de gestion pour chaque catégorie de bois et forêts appartenant à des personnes publiques et auxquels le régime forestier n’a pas été rendu applicable ; qu’il suit de là qu’en refusant, respectivement, d’élaborer et d’approuver un règlement type de gestion pour la ou les catégories dont relèvent les bois et forêts de la commune requérante, auxquels, ainsi qu’il a été dit, le régime forestier n’a pas été rendu applicable, l’ONF et le ministre ont méconnu ces dispositions législatives et réglementaires ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de sa requête, la commune requérante est fondée à demander l’annulation des décisions du directeur général de l’ONF du 5 septembre 2016 et du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt du 20 janvier 2017 ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

8. Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative :  » Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution  » ;

9. Considérant que l’annulation des décisions attaquées implique nécessairement que l’ONF élabore et propose au ministre chargé des forêts et que ce ministre approuve un règlement type de gestion pour la ou les catégories dont relèvent les bois et forêts de la commune requérante ; qu’il y a lieu pour le Conseil d’État d’ordonner cette édiction dans un délai de six mois à compter de l’intervention de la présente décision ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction de l’astreinte demandée par la commune de Saint-Jean de Marsacq ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’ONF et de l’État une somme de 2 500 euros chacun à verser à la commune de Saint-Jean de Marsacq au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu’une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la commune de Saint-Jean de Marsacq, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :
————–

Article 1er : Les décisions du directeur général de l’ONF du 5 septembre 2016 et du ministre chargé de l’agriculture du 20 janvier 2017 sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint à l’ONF et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation respectivement de proposer et d’approuver, dans un délai de six mois à compter de l’intervention de la présente décision, un règlement type de gestion correspondant à la ou aux catégories dont relèvent les bois et forêts de la commune de Saint-Jean de Marsacq.
Article 3 : L’ONF et l’État verseront une somme de 2 500 euros chacun à la commune de Saint-Jean de Marsacq au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de l’ONF présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Jean de Marsacq, à l’Office national des forêts et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Copie en sera adressée à la section du rapport et des études.

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