CAA de MARSEILLE
N° 14MA02488
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre – formation à 3
M. LASCAR, président
M. René CHANON, rapporteur
M. DELIANCOURT, rapporteur public
SCP VINSONNEAU-PALIES NOY GAUER & ASSOCIES, avocat
lecture du mardi 15 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le syndicat intercommunal d’adduction d’eau du Salaison a demandé au tribunal administratif de Montpellier d’ordonner à la société Orange France de quitter les lieux qu’elle occupe irrégulièrement sur le territoire de la commune de Jacou, lieudit » Lotissement Les Belvédères « , section AP n° 565, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter la notification du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 1201673 du 4 avril 2014, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande du syndicat intercommunal d’adduction d’eau du Salaison.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 juin 2014 et le 6 mai 2015, la communauté d’agglomération de Montpellier, venant aux droits du syndicat intercommunal d’adduction d’eau du Salaison, à laquelle s’est ensuite substituée Montpellier Méditerranée Métropole, représentée par MeB…, de la SCP Vinsonneau-Paliès Noy Gauer et Associés, demande à la Cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 4 avril 2014 ;
2°) de prononcer l’expulsion de la SA Orange ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner la SA Orange à régler à Montpellier Méditerranée Métropole l’intégralité des redevances dues au titre des années 2012, 2013, 2014 et 2015, avec intérêts au taux légal à compte de la première redevance due ;
4°) de mettre à la charge de la SA Orange la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– les premiers juges ont commis une erreur de droit en ce qu’ils ont méconnu, d’une part, le principe de la liberté contractuelle, le syndicat intercommunal n’ayant jamais donné son accord pour l’occupation de la parcelle en cause par la SA Orange, et, d’autre part, l’effet relatif des contrats par rapport aux tiers dans la mesure où le syndicat n’a jamais été partie à la convention d’occupation du domaine public conclue entre la commune de Jacou et la SA Orange ;
– le tribunal a entaché le jugement d’une erreur d’appréciation dès lors que ni le syndicat intercommunal, ni la communauté d’agglomération de Montpellier n’ont autorisé l’occupation de la parcelle par la SA Orange ;
– la SA Orange occupe sans droit ni titre une parcelle du domaine public, spécialement aménagée en vue d’assurer le service public de distribution d’eau potable ;
– l’expulsion du domaine public est également justifiée par l’absence de versement des redevances d’occupation du domaine depuis 2012 ;
– à titre subsidiaire, si la Cour confirmait le jugement, la SA Orange, qui n’a pas respecté ses engagements contractuels, devrait être condamnée à régler l’intégralité des redevances dues au titre des années 2012, 2013, 2014 et 2015, avec intérêts de retard.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 août 2014 et le 28 mai 2015, la SA Orange, venant aux droits de la SA Orange France, représentée par MeA…, de la SCP A…, conclut au rejet de la requête, à défaut à ce que la Cour se déclare incompétente pour connaître du litige, et à ce que les entiers dépens de l’instance ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative soient mis à la charge de Montpellier Méditerranée Métropole.
Elle fait valoir que :
– la commune de Jacou, partie en première instance, doit être mise en cause ;
– les moyens soulevés par Montpellier Méditerranée Métropole ne sont pas fondés ;
– subsidiairement, en cas de condamnation ou de la perte du site, elle se réserve le droit de présenter un recours en garantie à l’encontre de la commune de Jacou.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code civil ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Chanon, premier conseiller,
– les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
– et les observations de MeC…, représentant Montpellier Méditerranée Métropole, et de MeA…, représentant la SA Orange.
1. Considérant que, par convention du 8 novembre 1994, conclue pour une durée de douze ans tacitement renouvelable, la commune de Jacou a autorisé la société France Telecom à installer, mettre en service, exploiter et entretenir une station relais de télécommunication avec les mobiles sur la parcelle lui appartenant cadastrée section AP n° 350, ultérieurement devenue section AP n° 565 ; que, par acte notarié du 14 mars 2002, la commune de Jacou a cédé gratuitement cette parcelle au syndicat intercommunal d’adduction d’eau du Salaison ; que, par jugement du 4 avril 2014, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande du syndicat intercommunal tendant à ce que soit ordonné à la société Orange France, qui vient aux droits de la société France Telecom, de quitter les lieux qu’elle occupe irrégulièrement sur son domaine public, sous astreinte 100 euros par jour de retard à compter la notification du jugement ; que la communauté d’agglomération de Montpellier, venant aux droits du syndicat intercommunal d’adduction d’eau du Salaison, à laquelle s’est ensuite substituée en cours d’instance d’appel Montpellier Méditerranée Métropole, relève appel de ce jugement ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Considérant, que, lorsque le juge administratif est saisi d’une demande tendant à l’expulsion d’un occupant d’une dépendance appartenant à une personne publique, il lui incombe, pour déterminer si la juridiction administrative est compétente pour se prononcer sur ces conclusions, de vérifier que cette dépendance relève du domaine public à la date à laquelle il statue ; qu’à cette fin, il lui appartient de rechercher si cette dépendance a été incorporée au domaine public, en vertu des règles applicables à la date de l’incorporation, et, si tel est le cas, de vérifier en outre qu’à la date à laquelle il se prononce, aucune disposition législative ou, au vu des éléments qui lui sont soumis, aucune décision prise par l’autorité compétente n’a procédé à son déclassement ;
3. Considérant que l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques exige, pour qu’un bien affecté au service public constitue une dépendance du domaine public, que ce bien fasse déjà l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ; qu’avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l’appartenance d’un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné ;
4. Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’un réservoir d’eau est implanté sur la parcelle cadastrée section AP n° 565 ; qu’il est utilisé par Montpellier Méditerranée Métropole dans le cadre du service public de distribution de l’eau potable ; que, si la date d’installation de ce réservoir d’eau ne ressort d’aucune pièce versée au débat, ce réservoir constitue en tout état de cause tant un aménagement spécial qu’un aménagement indispensable au service public auquel il est affecté ; qu’il ne résulte pas des photographies annexées au constat d’huissier du 19 mars 2012 que la station relais de télécommunication serait installée sur une partie de la parcelle qui serait clairement délimitée et dissociable du reste de la parcelle ; que, dans ces conditions, la parcelle en cause doit être regardée comme constituant une dépendance du domaine public de Montpellier Méditerranée Métropole ; qu’il ne résulte d’aucun élément versé au débat qu’une décision de déclassement serait intervenue ; que, dès lors, c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la juridiction administrative était compétente pour statuer sur la demande d’expulsion présentée par le syndicat intercommunal d’adduction d’eau du Salaison ;
Sur les conclusions aux fins d’expulsion du domaine public :
5. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : » Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique (…) ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous » ; que l’autorité propriétaire ou gestionnaire du domaine public est recevable à demander au juge administratif l’expulsion de l’occupant irrégulier du domaine public ;
6. Considérant que la convention du 8 novembre 1994 ne peut être regardée comme étant opposable au syndicat intercommunal d’adduction d’eau du Salaison, et par conséquent à Montpellier Méditerranée Métropole, dès lors qu’elle présente un caractère personnel et que le nouveau gestionnaire du domaine public n’a pas donné son accord écrit à son transfert, notamment à défaut de toute mention expresse en ce sens dans l’acte de vente amiable du 14 mars 2002 ; que la société ne peut utilement invoquer sur ce point l’article III de la convention du 8 novembre 1994 stipulant que celle-ci » sera opposable aux acquéreurs éventuels de l’immeuble conformément aux dispositions de l’article 1743 du code civil « , ces dernières dispositions étant relatives à la vente d’une chose louée, alors que, en tout état de cause, l’acte de cession du 14 mars 2002 mentionne expressément que le bien cédé est » libre de location et d’occupation, ainsi que le cédant le déclare » ; que la SA Orange ne peut davantage, dans la présente instance, se prévaloir utilement de ce qu’elle n’a pas été informée par la commune de Jacou de la vente de la parcelle en cause ; que, dans ces conditions, la SA Orange occupe irrégulièrement le domaine public de Montpellier Méditerranée Métropole ;
Sur les conclusions à fin d’appel en garantie de la commune de Jacou présentées par la SA Orange à titre subsidiaire devant le tribunal :
7. Considérant qu’il y a lieu de statuer sur ces conclusions par l’effet dévolutif de l’appel et de les rejeter dès lors que le présent arrêt n’emporte aucune condamnation financière de la SA Orange ; que la réparation du préjudice subi par la société du fait du comportement de la commune de Jacou relève d’un litige distinct ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que Montpellier Méditerranée Métropole est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande du syndicat intercommunal d’adduction d’eau du Salaison ; que, par suite, d’une part, le jugement doit être annulé, et, d’autre part, il y a lieu d’enjoindre à la SA Orange de libérer la dépendance du domaine public de Montpellier Méditerranée Métropole qu’elle occupe sans droit ni titre ; que les conclusions à fin d’appel en garantie formulées par la SA orange doivent être rejetées ; que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Montpellier Méditerranée Métropole, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SA Orange demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’espèce, les conclusions de Montpellier Méditerranée Métropole présentées au même titre doivent être rejetées ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 4 avril 2014 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la SA Orange de libérer la dépendance du domaine public de Montpellier Méditerranée Métropole qu’elle occupe sans droit ni titre sur la parcelle cadastrée AP n° 565.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Montpellier Méditerranée Métropole, à la SA Orange et à la commune de Jacou.