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Architecte DPLG et refus du titre de « Paysagiste concepteur » : quand l’Etat commet une « erreur manifeste d’appréciation » !

CAA de PARIS, 3ème chambre, 03/10/2023, 22PA03444, Inédit au recueil Lebon

Avocat(s)
Me Frédéric RENAUDIN – SELARL CLAIRANCE AVOCATS

Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A… C… a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler la décision du 19 octobre 2020 par laquelle la ministre de la transition écologique a refusé de l’autoriser à utiliser le titre de paysagiste concepteur.

Par un jugement n° 2021471/6-1 du 27 mai 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 juillet 2022, M. C…, représenté par Me Renaudin, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 27 mai 2022 ;

2°) d’annuler la décision du 19 octobre 2020 de la ministre de la transition écologique ;

3°) d’enjoindre au ministre de la transition écologique de réexaminer sa demande dans le délai de deux mois ;

4°) de mettre à la charge de l’État la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

– la décision du 19 octobre 2020 n’est pas suffisamment motivée ;
– sa demande n’a pas été examinée de manière complète et impartiale ;
– la ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation dès lors notamment qu’il justifie de compétences et de références, dont il a fait état dans son dossier de candidature ainsi qu’auprès des premiers juges ;
– elle est entachée de détournement de pouvoir.

La clôture de l’instruction a été fixée au 24 mars 2023.

Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a produit un mémoire en défense le 6 septembre 2023, après la clôture de l’instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code des relations entre le public et l’administration,
– la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016,
– le décret n° 2017-673 du 28 avril 2017,
– l’arrêté du 28 août 2017 fixant les conditions de demande et de délivrance de l’autorisation d’utiliser le titre de paysagiste concepteur des personnes mentionnées au décret n° 2017-673 du 28 avril 2017 relatif à l’utilisation du titre de paysagiste concepteur,
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme B…,
– et les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C…, architecte diplômé par le gouvernement et urbaniste, a déposé en août 2020 une demande d’autorisation d’utilisation du titre de paysagiste concepteur, sur le fondement des dispositions transitoires prévues par l’article 174 de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Par une décision du 19 octobre 2020, la ministre de la transition écologique a rejeté sa demande. M. C… relève appel du jugement du 27 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l’article 174 de la loi susvisée n° 2016-1087 du 8 août 2016 :  » Seuls peuvent utiliser le titre paysagistes concepteurs, dans le cadre de leur exercice professionnel, les personnes titulaires d’un diplôme, délivré par un établissement de formation agréé dans des conditions fixées par voie réglementaire, sanctionnant une formation spécifique de caractère culturel, scientifique et technique à la conception paysagère. / Pour bénéficier de ce titre, les praticiens en exercice à la date de publication de la présente loi doivent satisfaire à des conditions de formation ou d’expérience professionnelle analogues à celles des titulaires du diplôme mentionné au premier alinéa. « . Aux termes de l’article 9 du décret susvisé n° 2017-673 du 28 avril 2017 relatif à l’utilisation du titre de paysagiste concepteur :  » Les personnes qui, à la date de publication de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 susvisée, exerçaient une activité de conception paysagère sans remplir les conditions prévues à l’article 1er peuvent, pendant une période de trois ans à compter de l’entrée en vigueur du présent décret, demander à être autorisées à utiliser le titre de paysagiste concepteur lorsqu’elles possèdent un diplôme sanctionnant une formation spécifique de caractère culturel, scientifique et technique à la conception paysagère autre que celui prévu à l’article 1er ou lorsqu’elles justifient d’une expérience professionnelle minimale d’un an dans le domaine de la conception paysagère. / La demande est présentée, dans les conditions prévues aux articles 2 et 3, au ministre chargé de la politique du paysage, qui statue après avis de la commission consultative pour l’utilisation du titre de paysagiste concepteur. / Les critères d’exigence relatifs au diplôme, au contenu des formations y conduisant et à l’expérience professionnelle sont fixés par arrêté conjoint des ministres chargés de la politique du paysage, de l’enseignement supérieur, de l’agriculture et de la culture. « . Et aux termes de l’article 2 du même décret :  » Pour les personnes mentionnées aux articles 4 et 9 du présent décret, le ministre chargé de la politique du paysage sollicite l’avis de la commission consultative pour l’utilisation du titre de paysagiste concepteur prévue à l’article 3. (…) « .

3. Par ailleurs, aux termes de l’article 2 de l’arrêté du 28 août 2017 fixant les conditions de demande et de délivrance de l’autorisation d’utiliser le titre de paysagiste concepteur des personnes mentionnées au décret n° 2017-673 du 28 avril 2017 relatif à l’utilisation du titre de paysagiste concepteur :  » En application de l’article 9 du décret susvisé, les connaissances et compétences du demandeur sont appréciées au regard des critères d’exigence suivants : /
– capacité à concevoir le paysage par une démarche de projet de paysage ; / – capacité à mobiliser des connaissances générales liées au paysage et à les articuler ; / – capacité à élaborer un diagnostic des territoires et à comprendre les enjeux territoriaux ; / – capacité à communiquer, à exprimer et à mener des médiations de situations paysagères ; / – capacité à anticiper l’évolution d’un paysage ; / – capacité à assumer une maîtrise d’œuvre opérationnelle et à travailler en équipe professionnelle pluridisciplinaire ; / – capacité à assumer plusieurs situations professionnelles. / Une description détaillée de ces critères d’exigence figure en annexe du présent arrêté. (…) « .

4. Pour rejeter la demande de M. C…, la ministre de la transition écologique a fait état de l’avis défavorable émis le 16 septembre 2020 par la commission consultative relative à l’utilisation du titre de paysagiste-concepteur et a relevé que les projets présentés dans son dossier, relatifs à l’aménagement urbain et au design de l’espace minéral et végétal, ne  » couvraient pas la palette des projets traités par un paysagiste concepteur, notamment les projets de grande échelle « , et qu’il ne démontrait pas sa capacité à  » concevoir le paysage par une démarche de projet de paysage « , ni sa capacité à  » élaborer un diagnostic des territoires  » et à  » comprendre les enjeux territoriaux « . Il ressort cependant des pièces du dossier que l’intéressé, qui justifie d’une expérience de plus de vingt ans en qualité d’architecte paysagiste, a fondé en 2007 une agence d’architectes, d’urbanistes et de paysagistes qui a mené de nombreux projets d’aménagement urbain et paysager en France et à l’étranger. M. C… établit notamment avoir conduit, en qualité de chef ou directeur de projet, des projets d’aménagement d’espaces publics intégrant une maîtrise d’œuvre d’espaces paysagers, dont plusieurs ont été menés à grande échelle, s’agissant par exemple de l’aménagement de la vallée de Bourgreg à Rabbat (Maroc), de l’aménagement du front de mer à Papeete (Tahiti), du réaménagement du cœur de ville de Chartres, d’études relatives à l’aménagement urbain et paysager d’un axe entrant dans l’agglomération de Toulouse, comportant dix-sept kilomètres linéaires, de l’aménagement du parc Cesaria Evora à Paris, de la rénovation de la dalle piétonne du front de Seine à Paris, ou encore de la réalisation d’un schéma directeur de la technopole de Sophia Antipolis sur deux mille quatre cents hectares. Le requérant produit en outre les études relatives à ces différents projets, élaborés sous sa direction, qui contiennent toutes une analyse ou un diagnostic urbain et paysager tenant compte des enjeux territoriaux. Par la production de ces éléments, M. C… établit qu’en refusant sa demande d’autorisation d’utilisation du titre de paysagiste concepteur, la ministre de la transition écologique a entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que M. C… est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision de la ministre de la transition écologique du 19 octobre 2020, et que cette décision doit être annulée.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

6. Eu égard à ses motifs, le présent arrêt implique nécessairement que, comme le demande M. C…, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires soumette son dossier à un nouvel examen. La commission consultative relative à l’utilisation du titre de paysagiste-concepteur, prévue par l’article 3 du décret du 28 avril 2017, n’ayant été instituée que pour une durée de trois ans, il doit être enjoint au ministre de réexaminer la demande de l’intéressé dans un délai de trois mois, en consultant cette commission dans la mesure où cela est possible, ou en suivant toute autre procédure appropriée.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État le versement de la somme de 1 500 euros à M. C… en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2021471/6-1 du 27 mai 2022 du tribunal administratif de Paris et la décision du 19 octobre 2020 par laquelle la ministre de la transition écologique a refusé d’autoriser M. C… à utiliser le titre de paysagiste concepteur sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de réexaminer la demande de M. C… dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, après avoir consulté la commission consultative relative à l’utilisation du titre de paysagiste-concepteur dans la mesure où cela est possible, ou à défaut en suivant toute autre procédure appropriée.
Article 3 : L’État versera à M. C… la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… C… et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l’audience du 12 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
– M. Ivan Luben, président de chambre,
– Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,
– Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2023.

La rapporteure,
G. B…Le président,
I. LUBEN
La greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
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N° 22PA03444

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